Vocation et perplexités

 Question

 

 

par Daniel Mattioli

 

Dante et le paradis

 

Au début du 14e siècle, Dante Alighieri a écrit Le Paradis ; il y traite de la félicité céleste des hommes. Avec l’aide de Béatrice, son guide, l’auteur entreprend un voyage (imaginaire) pour visiter le ciel. Il est d’abord conduit dans la région la plus basse, puis, étape après étape, il découvre les régions les plus élevées, pour finir au centre du paradis où se trouve la Sainte Trinité. Chemin faisant il rencontre des hommes illustres de l’histoire, les questionne afin de savoir comment ils sont arrivés là. Il croise, entre autres, généraux, choristes, danseurs, flûtistes, philosophes et théologiens.

 

 

paradisParmi les éléments qui ont fait la grandeur de l’œuvre de Dante, l’un d’eux est le fait qu’il indique que le paradis n’est pas un but en soi ; il n’est pas en premier lieu, pour l’homme. Si ce dernier croit que le paradis est la récompense suprême que Dieu désire lui offrir, il n’a qu’à déchanter ; le paradis est d’abord le lieu de Dieu, et pour Dieu.

 

Ainsi, selon Alighieri, Dieu aurait créé le paradis non pour l’homme, mais pour lui-même. Et les hommes qui y sont n’y sont pas pour eux-mêmes, mais pour glorifier Dieu. Dieu cherche sa gloire et l’homme cherche la gloire de Dieu.

 

 

 

 

Ma vocation, pour quoi ?

 

Ce dernier aspect pose la question du mobile des actions des hommes. Ma vocation, et plus exactement l’exercice de ma vocation, de qui vient-elle et vers qui va-t-elle ? De moi et pour moi, ou de Dieu et pour Dieu ? Alors que j’étais jeune pasteur, un missionnaire à la retraite m’avertissait : « Prends garde à ne jamais basculer dans le service pour le service ». Oh combien la tentation est quotidienne !

 

La vocation, clairement, est de Dieu et pour Dieu. Jean-Baptiste, obstinément, a existé pour nous servir de mémoire. Son passage parmi les hommes rappelle que la vocation, puis la consécration du chrétien ont pour objet Dieu, rien d’autre. Là a résidé la réussite du prophète, là demeure la nôtre.

 

 

La vocation de Jean-Baptiste

 

A quoi ressemble l’exercice de la vocation du Baptiste ? C’est en prison que l’analyse se fait. Notre homme vient d’avoir trente ans, l’heure est à la réflexion. Ses parents lui ont toujours dit qu’il était l’enfant du miracle, qu’il avait une mission à laquelle il ne devrait jamais déroger, aplanir la route du Messie. Il a grandi avec cela, une sorte de mandat divin auquel il ne pouvait échapper. Au lieu d’apprendre un métier et de vivre une foi paisible, il a été choisi par le Tout-Puissant, il est un être spécial. Est-ce sans mal qu’il a dit non à sa jeunesse pour servir ?

 

Toutes ces années pour Dieu et rien pour lui. En matière de vocation, ne devrait-on pas y réfléchir à deux fois ? La situation de prisonnier dans laquelle Jean-Baptiste se trouve ne montre pas franchement qu’il est oint : pour ce qui est des bénédictions en retour de l’obéissance, on se serait attendu à quelque chose de moins râpeux ! Et si les histoires que ses parents lui ont racontées n’étaient que fables ? Et si son parent, Jésus, n’était pas le Christ tant attendu par Israël ?

 

 

L’authentification de sa vocation

 

Est-ce qu’elle tient compte des apparences ? Ces dernières années, le Baptiste a vécu en marginal, dans les déserts. Pas grand chose à voir avec la vie amoureuse qu’il aurait pu vivre avec Myriam, ni avec l’indicible bonheur de jouer avec un petit Simon. Jean-Baptiste est au contraire maigre comme un roseau, il n’a pas d’argent, juste une prédication qui ne rapporte guère plus que quelques insultes. Il semble ne que sauterelles faméliques et miel. Comme menu il doit exister mieux !

 

Son occupation principale est de haranguer les passants pour leur signaler leur perdition éternelle ; de dire aux gens ce qu’ils ont à faire et à ne pas faire, à penser et à ne pas penser ; d’aller dire au tétrarque de la Galilée que sa relation incestueuse avec la femme de son frère était répréhensible. Avait-il vraiment besoin d’aller le lui préciser ? Et maintenant les bruits courent, que cette femme veut sa tête. Si cela se trouve, elle finira par l’avoir.

 

 

Questions et réponses

 

Résolument, le « baptiseur » fait part de ses doutes quant à sa vocation ; il désire savoir si Jésus est celui qui doit venir ou s’il doit en attendre un autre.1

 

Jésus a une opinion sur la vocation de son précurseur, il lui fait dire ce qu’il pense de lui et, surtout, désire le rassurer quant à la pertinence de son service.

 

Il lui fait savoir qu’il le considère comme un prophète, et même plus. Il estime que, de tous les hommes, le Baptiste est le plus grand. Il le considérait de si noble valeur que, quand il avait dû choisir un fils d’Adam pour se faire immerger, il l’avait choisi, lui.

 

Pour rassurer son disciple, Jésus renvoie aux promesses concernant la venue du Messie. Il lui fait savoir qu’il prend soin des boiteux, leur donne la faculté de marcher. Il s’occupe des lépreux, les lave de leurs plaies et leur donne de pouvoir se réinsérer dans la société. Il s’investit auprès des sourds, leur fait cette grâce d’entendre à nouveau le bruissement du vent. Des pauvres il s’occupe tout particulièrement en les nourrissant et en leur rendant quelque dignité. Et il redonne la vie aux morts.

 

 

Celui qui laisse …

 

Comme pour la femme syro-phénicienne, Jésus a ici encore une réponse déconcertante. Car la question de Jean visait peut-être à connaître comment Jésus allait faire pour le sortir d’affaire. Or Jésus ne semble pas du tout se préoccuper de la situation carcérale du nouvel Elle ; il dit à son ami de se réjouir que d’autres que lui retrouvent la vue, l’ouïe, la réinsertion sociale.

 

Il incombe à Jean-Baptiste d’accepter pour sa vocation terrestre ce que Dante proposait en terme de vocation céleste. Il lui appartient de suivre et de servir le Fils de Dieu, non en raison d’un profit personnel, mais parce que le Christ est celui qu’il est, souverainement. Le chrétien adhère à Jésus pour Jésus, et non parce que cela lui rapporte. Le serviteur vit pour Dieu, parce que cela est profitable à Dieu et non parce qu’il en retire quelque bénéfice. Paradis et vocation ont la même finalité, la gloire de Dieu.

 

 

… recevra…

 

Jesus-enseigneSur la Montagne, Jésus a dit quelque chose d’analogue, rechercher Dieu premièrement.2 Là est le point de départ obligé de toute vocation. Mais là ne s’arrête pas l’appel divin : il faut entendre la suite de la maxime : toutes choses sont données par-dessus. Cause, effets. Une vocation de Dieu, pour Dieu, avec des retombées nécessaires. Car si assurément Dieu cherche avant tout sa gloire, celle-ci n’est idéale à ses yeux que si elle s’étend au bien de l’homme.

 

Dieu crée l’homme pour sa gloire personnelle, mais cette gloire connaît un ricochet et vise le bonheur de l’homme. Il en est ainsi du salut : pour la gloire de Dieu puis pour l’homme ; ainsi du paradis : pour la gloire de Dieu puis pour l’homme ; ainsi de la vocation …

 

Il reste à identifier en quoi, pour Jean-Baptiste cette recherche de la gloire de Dieu a eu un effet rémunérateur. Trois applications se dessinent :

 

– II s’agit, d’abord, de la satisfaction paisible de celui qui vit en accord avec sa vocation. A celui que Dieu sauve, en même temps, l’offre est faite d’une vocation pour laquelle il est équipé de dons particuliers. Le Baptiste a eu l’avantage de demeurer constant dans sa vocation ; c’est la raison pour laquelle son Seigneur est si fier de lui, l’éloge fourni est éloquent. Il m’incombe ainsi de repérer quels sont mes dons, puis de les mettre en oeuvre, pour Dieu. Seule la pratique de la vocation reçue semble garantir le rebond promis par Jésus : toutes ces choses vous seront données par-dessus.

 

– Le deuxième bénéfice pour le Baptiste se comprend à partir de la réponse que Jésus lui fait, les morts ressuscitent. Quand bien même Jean devrait mourir, cette mort ne serait que provisoire, furtive, éphémère. Le détenu apprend que si son cousin est en train de s’occuper des autres, il s’occupe aussi de lui. Bien sûr d’une manière moins immédiate qu’espérée, mais néanmoins une atten-tion indéfectible. La fidélité dans la vocation reçoit de Jésus lui-même l’assurance de la résurrection.

 

– Enfin, relativement aux différentes récompenses promises au paradis, le Baptiste, par sa fidélité et son statut de persécuté – à cause de Jésus -, pourrait être l’un de ceux qui recevront le trophée ou la permission d’être assis avec Christ sur son trône. Bien que le chrétien n’œuvre pas à sa vocation pour la récompense, mais seulement en guise de reconnaissance, il sait que la place qu’il occupera au ciel est le plaisir de son Roi. Ce rang, il le veut pour la gloire de Dieu, ici et là-bas.

 

D.M.

 


 NOTES

 

1. Mat. 11 :2-15

 

2. Mat. 6 : 33