Dans la peau de l’étranger

 negatif-1negatif

 

par Françoise LOMBET

 

 

 

 

Voici deux ouvrages un peu anciens, mais qui ont le mérite d’être des enquêtes, des documents vécus sur le terrain et de l’intérieur ; ce que l’on appellerait aujourd’hui des « reportages-réalité ». Peut-on dire que les situations ont évolué positivement depuis ces époques ? Ce n’est pas sûr. Il reste toujours des progrès à faire dans la communication et la compréhension entre les hommes.

 

Dans la peau d’un Noir

 

de John Howard GRIFFIN

 

En 1959, un Blanc J.H. Griffin, hanté par le problème de la ségrégation raciale, décide d’aller au fond du problème en devenant lui-même un Noir.

 

Ayant coupé les ponts avec sa famille et ses amis, il se métamorphose en Noir en cinq jours avec l’aide d’un médecin, d’un médicament et d’une lampe à rayons ultraviolets. Du 7 novembre au 14 décembre, il sillonne le Mississipi, l’Alabama, la Nouvelle-Orléans empruntant tous les moyens de locomotion, dormant dans les taudis réservés aux gens de couleur, mangeant, vivant avec eux, comme eux, avec toutes les contraintes et les interdictions (toilettes, restaurants, églises, bibliothèques, cinémas, écoles…) les concernant, leur parlant d’égal à égal puisqu’il est noir.

 

L’évolution de John Griffin le conduit à s’identifier à la condition de Noir. Il a compris immédiatement « la lutte sournoise qui mettait perpétuellement aux prises les Noirs et les Blancs ». Il dit : « La seule chose qui sauve le Noir du désespoir complet est sa conviction que ces choses ne lui sont pas destinées personnellement, mais à sa race, à sa pigmentation. » « Je n’ai pas été chargé de défendre la cause des Noirs. J’ai cherché ce qu’ils avaient d’inférieur, et je n’ai pas trouvé. »

 

Lorsqu’il reprend son identité d’homme blanc, après 7 semaines passées dans la peau d’un Noir, c’est le même chemin qu’il lui faut parcourir à rebours. Il subit l’hostilité de son entourage, les menaces, la peur, la haine mais aussi des félicitations pour avoir osé cette expérience. Il avoue même « demeurer en partie Noir ». Il conclut : « Les Noirs ne comprennent pas plus les Blancs que ceux-ci ne comprennent les Noirs. La plus désolante conséquence de cette absence de communication est l’accroissement du racisme chez les Noirs, justifié jusqu’à un certain point. »

 

 

« Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus-Christ. »

Galates 3 : 28

 

 

 

Tête de Turc


de Gunter Wallraff

 

Journaliste, Gunter Wallraff s’est rendu célèbre en Allemagne par ses dossiers explosifs et notamment sur les méthodes du journalisme à sensation, pratiquées par l’important quotidien Bild Zeitung, où il s’était infiltré sous une fausse identité.

 

Paru en 1985, « Tête de Turc » a connu un succès sans précédent dans l’histoire de l’édition allemande : 2 millions d’exemplaires vendus en 4 mois.

 

Pendant deux ans, Wallraff a vécu comme un Turc, trimé comme un Turc. Pour gagner sa vie, il est prêt à faire tous les boulots « même les plus durs, les plus insalubres ». Il sera successivement journalier dans une ferme, homme à tout faire chez McDonald’s, manoeuvre dans le bâtiment, OS dans les aciéries, cobaye dans l’industrie pharmaceutique, chauffeur d’un marchand d’esclaves, membre d’un « commando suicide » chargé d’aller colmater une fuite dans une centrale nucléaire, etc.

 

Il a subi les brimades et les discriminations qui constituent le lot de nombre d’immigrés dans cette démocratie qu’est la RFA. Le titre original de cet ouvrage est « Tout en bas ! ». Cette enquête se lit comme un roman. Wallraff s’est « fait turc » pour découvrir et faire découvrir au public allemand après lui, ce que peut être le racisme quotidien dans une démocratie européenne.

 

Gunter Wallraff aura imposé la réhabilitation des Turcs immigrés en racontant, après l’avoir si longtemps partagé, leur enfer quotidien. Il faut rappeler qu’il verse les deux tiers de ses droits d’auteur à un « Fonds de solidarité avec les étrangers » qu’il a créé.

 

F.L.