Conte de noel  

cadeaux

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jacques

 

  

 

par Annick WAECHTER

 

 

 

Le regard dans le vide, Jacques est assis dans son fauteuil préféré au salon.

 

 

En début d’après-midi, il avait empilé toutes les boîtes à chaussures, soigneusement, sous l’escalier. Elles attendraient là, à l’abri des regards, la fin de la période des fêtes. Ensuite il y rangerait les guirlandes, les boules, les jolis petits oiseaux multicolores, les bougies… tout le nécessaire utilisé chaque année pour décorer le sapin, et qu’il descendrait précautionneusement à la cave ; jusqu’à l’année suivante.

 

Les années passaient, mais ce rituel ne changeait pas. Tout comme le cadeau, présent sous le sapin, année après année. Le même. Avec son papier banal, ocre, et son ruban doré.

 

La première année, quand Jacques l’avait vu, il avait été très curieux de savoir ce qu’il contenait. Des amis à lui en avaient reçu un semblable, et en avaient été enthousiasmés : ils disaient qu’il avait changé leur vie. Et c’était vrai ; du moins à ce que Jacques avait pu voir. Enfin, est-on jamais sûr de ces choses-là ! C’est tellement personnel, subjectif. En fait, rien ne prouvait leurs dires.

 

La deuxième année, Jacques avait mis un point d’honneur à ignorer le paquet, qui était cependant de nouveau présent la troisième année.

 

Puis Jacques n’avait plus compté ; il s’était habitué à voir le cadeau trôner sous le sapin.

 

Mais depuis quelques années, depuis qu’il avait fêté ses soixante-dix ans, Jacques était angoissé dès que décembre arrivait. Et si… si le cadeau ne revenait pas ? Et si Jacques n’avait plus l’occasion de l’ouvrir avant de mourir ?

 

Evidemment, la question du cadeau était dérisoire par rapport à celle de la mort ; mais Jacques liait ces deux événements, comme si l’un dépendait de l’autre, sans savoir auquel attribuer la dépendance. Avec ses amis qui, eux, avaient ouvert le cadeau, il en parlait peu, voire plus du tout. Au début, ils avaient essayé de l’encourager à sauter le pas, à prendre le risque de le déballer ; mais Jacques avait rigolé, s’était même un peu moqué d’eux et de leurs enfantillages : croire à un cadeau gratuit, merveilleux même à les entendre, sans contre partie, fallait pas rêver ! De rigolades en rebuffades, Jacques était resté seul avec son cadeau fermé, prisonnier de son refus.

 

Et quand il avait voulu l’ouvrir, il avait eu peur : peur de voir qu’il aurait mieux vécu avec que sans, peur de constater son échec, peur, tout simplement peur… Et plus personne pour l’encourager, ou même lui en parler, persuadés qu’ils étaient, tous, que Jacques n’en voulait pas !

 

Jacques en était là de ses réflexions, voûté dans son fauteuil usé mais si confortable. Les yeux fixés sur le fameux cadeau emballé si simplement, la vue brouillée par ces fichues larmes qui se pointaient à chaque fois que la gorge de Jacques se nouait… Et ce n’était pas la première fois, non, pas la première fois.

 

Mais ce soir, Jacques attendait quelques amis de longue date ; ils venaient pour parler du bon vieux temps, se raconter les histoires qui les faisaient rire, et boire une coupe du Champagne qu’on lui offrirait invariablement en cadeau, comme chaque année à Noël, comme à l’habitude.

 

Un instant, Jacques eut l’envie irrésistible de prendre le cadeau et de l’ouvrir ; ou de le poser bien en vue, sur la table, pour que tout le monde le voie et qu’on en parle, qu’ils l’aident enfin à le déballer !

 

Mais non, Jacques n’osait plus ; il était trop vieux, c’était trop tard. En soupirant, il s’extirpa de son fauteuil, se frotta vigoureusement le visage, et alla ouvrir au premier coup de sonnette.

 

L’air un peu gêné, ils se tenaient emmitouflés dans leur manteau, chapeau, cache-nez. Laurent, en tête, tenait un cadeau dans les mains : pas une bouteille de Champagne, non ; mais un cadeau au papier banal, ocre, avec un ruban doré. Jacques sentit son cœur battre fort tout à coup, et ses mains se mirent trembler ; il releva les yeux, et regarda ses amis sans oser prononcer une parole. Laurent lui tendit timidement le paquet, ne sachant pas si Jacques avait toujours le sien, s’il l’avait perdu, s’il y pensait toujours, s’il voulait bien l’ouvrir, avec eux. Jacques sourit sans se soucier des larmes qui lui coulaient généreusement sur les joues, et les fit entrer.

 

A.W.