Est-ce bien biblique ?

 

Par Marcel Reutenauer

 

 

«Lorsqu’on examine l’Eglise contemporaine, on ne voit pas seulement la communauté du peuple de Dieu, on trouve aussi une prolifération d’organisations ecclésiastiques locales, de dénominations, d’institutions, d’agences, d’associations, etc. Toutes ces structures n’ont bien sûr aucun fondement biblique explicite. Que faut-il en penser ? »1

Il est évident que nous ne trouvons pas de mention d’œuvres institutionnelles dans le Nouveau Testament, que ce soit dans le livre des Actes ou dans les Épitres. Par contre, nous pouvons affirmer que l’Eglise et les hommes et femmes qui la constituent ont pour vocation d’être « sel de la terre » et « lumière du monde »2… sans préjuger de la manière dont cette mission se concrétise. Les « œuvres bonnes que Dieu a préparées d’avance pour que nous les pratiquions »3 ne sont pas précisées. Être témoins du Christ consiste aussi bien en proclamation de la Parole qu’en attitudes et en actes conformes aux valeurs chrétiennes.4
 

 

Eglise et présence au monde

 
 
Dans une étude du texte d’Ephésiens 4.1-16 à propos des ministères donnés par le Christ « pour que ceux qui appartiennent à Dieu soient rendus aptes à accomplir leur service en vue de la construction du corps du Christ », Jacques BUCHHOLD5 distingue deux types d’activités : d’une part, celle de « l’Eglise réunie », c’est-à-dire le service dans la communauté chrétienne locale et, d’autre part, celle de « l’Eglise dispersée », par quoi il désigne les ministères qui s’exercent hors les murs des églises et donc particulièrement dans le cadre d’œuvres chrétiennes. Il réfute l’attitude du congrégationalisme strict selon laquelle « si l’Eglise locale avait été fidèle à sa mission, il n’y aurait pas d’œuvres missionnaires, de mouvements d’évangélisation, d’instituts bibliques ou de facultés de théologie. »
 
 
En effet, argumente l’auteur, si tout chrétien a au moins un charisme, il s’agit donc de trouver à chaque croyant une responsabilité dans la communauté qui lui permette d’exprimer ce charisme […] Cela soulève le problème du lieu d’exercice des charismes dont les croyants ont été « gratifiés ». Sont-ils appelés à les pratiquer au sein de l’Eglise réunie ou dans l’Eglise dispersée ?
 
 
Jacques BUCHHOLD nous invite à nous demander si notre conception de l’exercice des ministères, éventuellement renforcée par le congrégationalisme, n’induit pas un « enfermement du service » des croyants. Et il écrit : « Il est clair, selon Éphésiens 4.11-12, que certains, peu nombreux, ont été donnés par le Christ à l’Église « pour que ceux qui appartiennent à Dieu soient rendus aptes à accomplir leur service en vue de la construction du corps du Christ » (v. 12). Le ministère de ces chrétiens-articulations s’exerce principalement dans l’Église réunie. Mais le corps, par ses différentes parties que compose la majorité des croyants, est appelé à « fonctionner » et à servir dans son environnement : la communauté chrétienne, certes, mais aussi la création de Dieu dans ses structures familiales, sociales et professionnelles, avec sa richesse et sa corruption. N’est-ce pas précisément ce que Paul souligne dans la suite de son épître, en 4.25- 6.9, versets dans lesquels pratique communautaire et pratique sociale sont imbriquées ? 
 
 

Réalités du terrain

Une réalité quasi générale est aussi que toutes les oeuvres institutionnelles que nous connaissons ont été organisées et structurées à la suite de ministères individuels qui se sont développés et ont nécessité une organisation spécifique.
Dans nos sociétés contemporaines, le développement d’une activité (budget,engagement de personnel, possession d’un patrimoine immobilier, etc.) oblige à l’enregistrement juridique et à l’identification des instances dirigeantes.
La Loi française de 1905, relative aux associations cultuelles, oblige même à inscrire les actions diaconales et missionnaires dans le cadre d’une association selon la Loi de 1901.
A la base d’une oeuvre ou d’une institution, il y a chaque fois un homme ou une femme, appelés, équipés de dons pour le service particulier qui lui a été confié par Dieu. C’est le développement du ministère et la nécessité de le pérenniser qui obligent ensuite à l’organiser.
 
 
  • William BOOTH n’a pas d’abord fondé l’Armée du Salut, mais il a été poussé à s’engager dans le témoignage auprès des alcooliques et des prostituées6
  • Georges MULLER7 n’a pas commencé par fonder des orphelinats, mais il a été profondément touché par le drame des enfants de la rue et a été amené à pourvoir à leur hébergement.
  • Frère André8 n’a pas fondé d’abord la mission « Portes Ouvertes », mais il a eu à cœur de faire parvenir des Bibles aux chrétiens persécutés derrière le rideau de fer.

 

On pourrait citer des exemples à l’infini… Mais pour ce qui concerne nos œuvres des CAEF, le scénario a été le même dans bien des cas. Je citerai seulement deux exemples :

  • Si les Editions CAEF ont été fondées, c’est pour pérenniser le ministère de ceux qui, au départ, ont eu la vision de l’évangélisation par le moyen des calendriers bibliques
  • Une œuvre comme celle du Centre de Jeunes de St-Lunaire9 a été suscitée, l’origine, par le désir de Dimitri et Monique KALIOUDJOGLOU de présenter le message du salut aux jeunes par le moyen des centres de vacances.

 

 

Des bras reliés au corps

 
Avant de conclure, il faut affirmer l’indispensable lien entre l’Eglise réunie et l’Eglise dispersée selon la terminologie employée par J. Buchhold. Une organisation chrétienne se doit d’être étroitement reliée à l’Eglise. Sa structure devra préciser selon quelles modalités la pérennité de ses objectifs spirituels pourra être sauvegardée malgré les changements de dirigeants qui interviendront au cours des années. La continuation de l’activité à tout prix, la primauté des facteurs économiques au détriment du maintien des valeurs chrétiennes, la trop faible proportion de permanents ayant une foi authentique, etc. seraient des signes indicateurs de la sécularisation d’une œuvre, même si son nom comportait le terme « chrétienne » ou « évangélique ».
 
M.R.
 
 
 
 

NOTES

 

 

1. Howard A. SNYDER, « La forme de l’Eglise », article du cours ITEA – Collection RESPONSABLE – Série COMPETENCE « Les Actes :Etablissement et expansion de l’Eglise au premier siècle et aujourd’hui » (Section 5m, p 13) – ITEA – Institut de Théologie Appliquée – 1, rue d’Asswiller – 67320 DRULINGEN France

 
2. Mt 5.13-14
 
 
3. Ep 2.10
 
 
4. Cf. 2 Tm 4.2 ; 1 Pi 2.12 et ss
 
 
5. BUCHHOLD Jacques, « Les articulations et les membres : un corps pour le monde », publié dans le dossier du S.E.L. « L’Amour se dit – l’amour se vit »
 
 
6. On peut émettre quelques réserves aujourd’hui sur les développements de l’AS en France avec l’existence de la congrégation AS d’une part et la Fondation de l’AS d’autre part.
 
 
7. A relire : « L’audace de la foi », Editions Emmaüs, 13,80 €
 
 
8. « Le contrebandier », Frère André, Editions Portes Ouvertes, 10,70 €
 
 
9. « Il était une foi … Cap St-Lu », Monique Kalioudjoglou, 12,00 €, à commander chez l’auteur : Le Pont – 35800 St-Lunaire