La jeunesse n’est plus…

 

…ce qu’elle n’a jamais été !1

 

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par François-Jean MARTIN

 

 

Un concept récent

 

L’adolescence est un concept relativement nouveau. Elle recouvre la période allant de l’enfance à l’âge adulte. De nos jours encore, dans certaines sociétés cette période n’existe pas en tant que telle : l’individu passe sans transition de l’enfance au monde des adultes. Ce passage se fait grâce à une série de rites qui ont principalement une fonction symbolique et identitaire.

 

 

L’idée de jeunesse, elle-même, a été inventée au XIXe siècle. Une création qui était liée au fait que les jeunes étaient libérés de la production économique et d’autre part du fait de leur perte de responsabilité sociale. On commença alors à concevoir la jeunesse comme un temps prohibé, une phase pendant laquelle on est exclu de la participation au monde des adultes.

 

 

Des subcultures juvéniles

 

Cette marginalisation a rendu possible voire nécessaire la création de subcultures juvéniles. L’adhésion à une telle subculture permet aux jeunes de vivre avec leurs semblables des problèmes qui leur sont communs et de trouver ainsi le soutien et la sécurité nécessaires pour la construction de leur identité. C’est le phénomène des bandes, du groupe.

 

L’exode rural, l’urbanisation, la diminution de la taille des familles n’a fait qu’accélérer ce phénomène.

 

Le marketing moderne s’est emparé du marché de la jeunesse : marques de vêtement, chaussures, logos, jusqu’à la musique rap, rock, affaires souvent juteuses. Ne pas porter la bonne marque exclut du groupe. Le monde des adultes n’a pas cherché les vrais besoins des jeunes.

 

La consommation de vêtements, très forte au regard des autres catégories de biens disponibles, est signe de fréquents changements intérieurs, de la recherche d’une identité.

 

 

La précarité du travail en perspective

 

Les fameuses « Trente Glorieuses » sont loin, et les jeunes ont grandi dans la réalité de la crise économique, de la mondialisation, de la délocalisation. Nous apprenons à nos élèves qu’il faudra se déplacer pour suivre le travail, devenu denrée rare et précaire.

 

Ainsi, un jeune sur trois n’est ni scolarisé ni titulaire d’un emploi stable, un sur quatre est chômeur, un sur six est salarié à temps partiel. Un jeune sur quatre seulement entre 15 et 19 ans a un emploi normal, un sur deux entre 20 et 24 ans.

 

La précarité, source d’angoisse, domine la vie et la conscience d’une majeure partie de la jeunesse. La jeunesse hésite à s’engager dans le contrat social du mariage, inventant toutes sortes de modalités de cohabitations adaptées à un emploi et un revenu évanescents, rompt facilement un lien matrimonial contractualisé, hésite aussi à participer aux institutions de la cité. D’où une perte de motivation pour se battre, on rêve de modèles inaccessibles : américain, vie de stars… Celui qui n’entre pas dans le monde d’un travail valorisant mesure le vide de l’existence car le temps, l’espace, presque tous les éléments de la vie quotidienne s’organisent en fonction du travail. La personne se définit (s’identifie) par ce qu’elle gagne : « je vaux tant ! ».

 

 

Un petit bonheur individuel

 

Le rapport au monde a changé, on recherche un petit bonheur individuel et égoïste, un cocon que les parents offrent volontiers par amour ou par peur personnelle de vieillir. On vit plus longtemps, célibataire, chez papa et maman et à leurs crochets. Ce cocooning nie toute responsabilité face au corps social, mais il ne fait pas pour autant disparaître l’angoisse environnante. Les adolescents traversent un « mal vivre » très fort. Le désenchantement provoque un recentrage sur la satisfaction immédiate des besoins. Que va-t-on leur offrir ? Va-t-on passer de la phase jeune directement à la phase rentier R.M.I. ?

 

 

L’euphorie perpétuelle et la réalité

 

Face à l’euphorie perpétuelle qui nous est proposée, toujours au top niveau, jamais déprimés, toujours beaux et battants et capables de le prouver par des stages de l’extrême, se pose la question de nos « carrières corporelles » (nos sociétés font leur crise spiritualiste, être normal, être triste, être malade est péché, il faut au moins le cacher). Quelles sont nos attitudes face à la corporalité et à l’usage du corps ? Inexpérience de la marginalité, de ne pas avoir d’horizon, le fait d’être astreint à des normes qui conceptualisent l’adolescence comme une transition sont les préconditions sociales par lesquelles le besoin intensif et légitime de vivre soi-même se transforme en un comportement à haut risque.

 

 

La sexualité comme ressource

 

Les adolescents n’ont souvent d’autres options dans la vie quotidienne pour assurer leur propre existence que d’investir dans leur corps, leur sexualité. Ils manifestent un rapport gaspilleur vis-à-vis de leurs ressources corporelles et sont ainsi disponibles pour toutes sortes de manipulations de leurs états psychiques et physiques.

 

 

Le vide

 

L’échec des idéologies, l’écroulement des religions ouvrent la voie au relativisme, au scepticisme. On ne croit plus au politique et un certain nombre d’hommes d’Etat ont fait ce qu’il faut pour cela. La science n’est plus toute puissante, elle n’offre plus de voie royale.

 

La faible sociabilité de voisinage aggrave la difficulté de relation que les jeunes éprouvent à l’égard des adultes empressés, en retour, à fréquenter des jeunes qui ne sont pas (pas encore) dans la norme.

 

Enfin, la proportion, relativement importante, des suicides, et de faux suicides que sont beaucoup d’accidents, manifeste le désespoir de certains à jamais parvenir à une insertion sociale normale.

 

 

La jeunesse, une nouveauté à prendre en compte

 

La jeunesse n’a longtemps existé que comme un privilège marginal réservé aux minorités aisées. Elle est devenue depuis peu un phénomène de masse, une véritable classe d’âge, en même temps que s’étendaient ses limites vers le bas et vers le haut.

 

C’est donc une nouveauté, une transition nouvelle entre deux âges de la vie survenant sans précédent séculaire, à un moment de crise générale des valeurs. Le monde adulte, sur la défensive, rebelle à la nouveauté en raison de son vieillissement, vise, inconsciemment ou non, à un amenuisement à long terme de la part de la jeunesse dans la société.

 

Il se fait finalement peu accueillant à la spécificité d’une jeunesse qui aspire à la fois à la différence et à la fusion. Le fameux « dialogue des générations » demeure à inventer.

 

F-J. M.

 


Note

 

1. : D’après entre autre Gérard BEROUD et Richard MULLER, Les Cahiers Médico-sociaux (Genève).