Les courants de pensée en islam

 loupe

par Scott Smith

 

 

 

 

Certains imaginent que le monde musulman, un cinquième de la population sur terre, est un monde homogène et unifié. Mais, comme toute grande religion, l’Islam couvre une mosaïque de multiples sectes et divisions, écoles et tendances. Nous nous bornerons à évoquer les principales. Nombreuses sont les sectes islamiques qui ont déjà disparu.

 

 

C’est très tôt dans l’histoire de l’Islam, en l’an 657, seulement 25 ans après la mort de Muhammad, que l’islam se divisa. La source du conflit était politique : la désignation du calife ou imam, successeur du Prophète à la tête de la communauté. Or Muhammad a eu des filles mais pas de fils. Qui donc allait diriger la communauté après sa mort ? Il n’avait pas donné d’instruction à cet égard.

 

Trois partis s’affrontèrent : Ali, quatrième calife et cousin (et gendre) de Muhammad, et ses partisans s’opposèrent aux Omeyyades, grands marchands caravaniers de la Mecque. Un arbitrage donna la victoire aux Omeyyades et la grande majorité des musulmans accepta leur pouvoir. Les SUNNITES sont « les héritiers spirituels des Omeyyades, fidèles à la Tradition (sunna) du Prophète. Le parti d’Ali ou chiat d’Ali, d’où le mot CHIITE, restait convaincu que l’imam ne pouvait qu’être Ali ou l’un de ses descendants.

 

Les autres vaincus rejetèrent Ali et les Omeyyades : ils sont appelés les KHARIJITES, les « sortants ». Ces fractures existent encore aujourd’hui :

 

 

TROIS GRANDS COURANTS THEOLOGIQUES ACTUELS

 

a) Les kharijites

 

(les moins nombreux) Ils sont représentés de nos jours par les Berbères du Mzab algérien et un fort pourcentage des ibadites d’Oman. La mentalité kharijite prend le Coran à la lettre, ce qui les amène à un rigorisme moral accentué. Dans leurs communautés, la loi du secret domine, et l’étranger, même musulman, n’y est pas admis.

 

b) Les chiites

 

Cette tendance a profondément marqué l’histoire de la pensée et de la culture islamiques, même si aujourd’hui moins de 10% des musulmans s’en réclament. Le chiisme est toujours vivant et actif surtout en Iran, mais aussi au Pakistan et en Inde, et en certains pays arabes tels que le Liban, la Syrie, et l’Irak. A l’intérieur même du chiisme, des courants divergent et se concurrencent : mais selon l’orientaliste Louis GARDET, les chiites gardent une mentalité commune marquée par quatre thèmes majeurs1.

 

1. Les chiites pratiquent le culte des imams. Cette dévotion, comprise comme nécessaire au salut, est la caractéristique principale de la mentalité chiite. Les morts tragiques d’Ali et de son fils Husayn, martyrisés, sont des modèles valorisés comme sacrifice ultime pour le bien de la communauté. Aux dates anniversaires du martyr des imams, des groupes de pénitents se flagellent jusqu’au sang.

 

2. C’est l’imam qui est le gardien et l’interprète autorisé du Coran. En règle générale, tout imam légitime est de droit impeccable, de sa naissance à sa mort.

 

3. Les chiites croient à un sens caché du Coran. Une interprétation mystique et mystérieuse du texte coranique est réservée à l’imam qui la communique aux initiés.

 

4. Les chiites croient aussi au retour à la vie de leur « imam disparu ». C’est le Mahdi attendu qui reviendra pour régner sur terre avant la fin du monde et le jugement final.

 

Les courants chiites

 

Le chiisme est divisé en 3 grands groupes : les zaydites2, les Ismaéliens et les imamites. Les deux derniers sont les plus importants.

 

Les Ismaéliens sont restés fidèles au 7ème Imam ISMAÏL qui est devenu leur « imam disparu ». Les Ismaéliens eux-mêmes sont divisés en de multiples sectes bien différentes, qui ont en commun le goût du secret et des hiérarchies ésotériques3.

 

Les imamites célèbrent le culte des douze imams, dont le 12ème, MUHAMMAD AL MAHDI, est leur « imam disparu ». Depuis le XVIe siècle, l’imamisme, qui représente la grande majorité du monde chiite, est la religion officielle de l’Iran. Il est aussi très présent en Irak et au Liban, mais lui aussi est divisé en de nombreuses écoles et tendances4

 

c) Les sunnites

 

90% des musulmans sont sunnites. C’est au VIIIe siècle que les sunnites, ont pris conscience de leur identité en tant que communauté distincte des kharijites et des chiites. Ils sont appelés « les hommes de la Communauté et de la Tradition ». Les sunnites ont un esprit communautaire très large et une solidarité étendue. Pour eux, quiconque prie tourné vers la Kaaba de la Mecque est musulman.

 

Le seul critère revendiqué est la Tradition du Prophète Muhammad. Il faut rester fidèle aux traditions établies. Il y a une vénération totale du Coran, le centre de toute piété sunnite ; mais il ne contient pas de sens caché comme chez les chiites. Leur centre théologique et intellectuel est l’Université d’AL AZHAR au Caire en Egypte.

 

Dans le sunnisme, l’élaboration du droit musulman s’est faite par ce qu’on appelle des ECOLES JURIDIQUES qui interprètent et appliquent le Coran et la sunna dans les lois et la pratique. D’une vingtaine d’écoles différentes, il en reste quatre agréées. Chacune a comme fondateur direct un grand maître et représente une mentalité différente :

 

1. L’école hanafite est la plus ouverte, la moins contraignante et la plus attachée à la stabilité politique. De tendance plus intellectualiste et plus psychologique, elle laisse du champ au jugement personnel. Il y a la recherche du mieux, et une souplesse en jurisprudence. C’est l’école que les musulmans non arabes favorisent5.

 

2. L’école malékite accorde une large place aux coutumes et pratiques locales imprégnées de superstitions. Elle admet le jugement personnel et insiste également sur le principe d’utilité publique6. Une tendance (dite asharite) domine dans les grandes mosquées-universités : elle défend la pure et nue transcendance divine, niant les causes secondes et donc la liberté humaine. Cette école est en partie responsable du fatalisme de l’Islam, ce qui a fortement marqué le Maghreb.

 

3. L’école chafiite est proche de la précédente, mais valorise plutôt la sunna comme source de droit et se méfie du jugement personnel7.

 

4. L’école hanbalite est stricte, traditionaliste et piétiste. Elle est suivie par l’Etat wahhabite de l’Arabie Saoudite. Le wah-habisme applique la chari’a et enseigne un retour aux sources de l’islam, un islam pur et dur, rejetant toute innovation.

 

En plus de toutes les distinctions ci-dessus, il faut ajouter un courant mystique qui traverse le monde musulman :

 

 

Le soufisme

 

Les soufis sont les mystiques de l’Islam. Environ 40% du monde musulman, sunnite et chiite, sont liés à une quelconque fraternité soufie. Le soufisme s’est développé en Islam parmi ceux qui cherchaient des relations plus affectives avec Dieu.

 

Chaque confrérie a son maître-guide spirituel. Par les exercices, comme la danse des derviches-tourneurs, la récitation de litanies et la flagellation, ils cherchent à entrer en extase pour s’unir directement à Dieu.

 

Parlant en des termes poétiques qui scandalisaient les docteurs de la Loi sunnites et chiites, ils étaient autrefois jugés hérétiques et combattus. C’est AL-UHAZALI au XIIe siècle qui a réconcilié l’Islam classique avec les courants mystiques, ce qui a permis l’apparition des grandes confréries.

 

L’Espagnol IBN ARABI, mort en 1240, est considéré comme le plus grand maître soufi.

 

 

Les courants islamistes fondamentalistes

 

Depuis plus d’un siècle il y a une multiplication de courants nouveaux qui cherchent à réformer l’Islam, soit par une modernisation de la foi musulmane, soit par un retour à la foi des Anciens, soit par un retour au Califat, soit par une islamisation de toutes les institutions et gouvernements.

 

Nous sommes témoins aujourd’hui de la naissance de multiples courants islamistes plus radicaux les uns que les autres qui cherchent à étendre la domination islamique dans le monde entier par le jihad.

 

 

Quelques courants marginaux

 

Pour terminer rappelons encore quelques courants islamiques considérés comme des sectes hérétiques. :

 

1. Le bahaïsme qui annonce qu’un nouveau prophète expliquera l’enseignement de Muhammad et révélera de nouvelles Ecritures. Il veut réconcilier toutes les croyances et promouvoir une religion humanitaire de l’amour universel. Le centre principal des Bahaïs est à Haïfa en Israël où se trouve leur Temple d’Or. Le bahaïsme compte six millions d’adhérents.

 

2. Les ahmadiyyas ont comme fondateur un certain Ghulâm Ahmad au XIXe siècle, qui s’est proclamé le Messie Jésus revenu sur terre ainsi que la réapparition de Muhammad lui-même8 (quelques millions d’adhérents).

 

3. La Nation de l’Islam est apparue aux USA suite aux conditions sociales et politiques des Africains noirs. Les « Black Muslims », anglophones, descendants d’anciens esclaves, ont voulu forger leur propre identité face aux Blancs chrétiens en se convertissant à un islam militant9.

 

L’Islam est donc loin d’être monolithique. Même s’il paraît soudé lorsqu’on le considère de l’extérieur, il est divisé en de multiples tendances rivales dans lesquelles les non musulmans ont bien de la peine à s’y retrouver10.

 

S. S.

 


NOTES

 

1. Louis GARDET, Les hommes de l’islam, approche des mentalités, Paris, 1977, Hachette, pp. 228-233.

 

2. Le zaydisme s’est formé au moment du Sème Imam Zayd qui est devenu leur imam disparu. Le Yémen est la terre privilégiée du zaydisme.

 

3. Parmi les Ismaéliens on peut noter les druzes au Liban et en Jordanie, et les khôjas en Iran, en Inde et en Syrie. La secte des druzes a été fondée par Hakim, un imam Ismaélien qui s’est proclamé l’incarnation de Dieu. C’est dans la dévotion à cet imam que se trouve le salut. Les khôjas sont des disciples de l’Imam Aga-Khan. Aujourd’hui ils ont une forte influence sur la vie sociale et économique au Pakistan et en Afrique orientale. Ils ont laissé entrer bien des pensées hindoues.

 

4. Les plus grands centres religieux et culturels du chiisme imamite sont Najaf et Kerbela, villes saintes dans le sud-ouest de l’Irak où sont vénérés les tombeaux d’Ali et de son fils Husayn.

 

5. Elle domine en Irak, en Syrie, en Afghanistan, au Pakistan, en Inde, en Chine et en Turquie. Il est à noter que la Turquie est le seul pays musulman avec un gouvernement officiellement laïc, ce qui s’explique en partie par la mentalité hanafite.

 

6. Elle domine en Haute-Egypte, au Soudan, au Maghreb et en Afrique occidentale.

 

7. Elle se trouve en Basse-Egypte, parmi la plupart des peuples arabes du Proche Orient, au Caucase, en Indonésie, en Malaisie et aux Philippines.

 

8. L’une des affirmations des ahmadiyyas est que Jésus a été crucifié seulement en apparence, et qu’il est venu en Inde où il a vécu comme un homme normal et enfin est mort, enterré à Srinagar. A sa mort, deux groupes se sont formés, tous les deux centrés à Lahore, Pakistan, et dont un est très missionnaire. Ils envoient des missionnaires en Europe et aux Etats-Unis pour convertir les gens à un islam modernisé. La mosquée ahmadiyya de Londres est célèbre. Les ahmadiyyas sont rejetés par l’Islam, surtout l’Islam sunnite. En 1974 le Pakistan a retiré aux ahmadiyyas des deux groupes le statut de musulman. Depuis, les 4 millions de fidèles y sont persécutés.

 

9. Elijah Muhammad, qui était le dirigeant suprême, a cultivé le culte de sa personnalité par sa proclamation d’être un divin messager aux Afro-Américains, et il a enseigné des déviations doctrinales provoquant des critiques des orga-nisations islamiques orthodoxes. Le dirigeant actuel est Louis Farrakhan. The Nation of Islam compte environ trois millions de fidèles.

 

10. Le Quid (Ed. Laffont) est très riche en définitions, renseignements historiques et statistiques sur l’Islam, et sur ses nombreuses tendances, organisations et sectes.