Dialogue et témoignage

 

dialogue3

 

par Jean-Pierre Bory

 

 

 

Quand un croyant s’adresse à un croyant…

 

 

Les articles précédents nous ont donné quelques éclairages sur l’origine, l’histoire, l’enseignement actuel de l’islam, et ses divers courants de pensée. L’islam détermine les esprits et les comportements du musulman (bien plus que ne le fait le christianisme pour la grande majorité de ceux qui sont répertoriés comme « chrétiens »). Le musulman est pratiquant.

 

Le Coran puise largement dans l’A.T. : Adam, Noé, Abraham, Moïse, les prophètes… et comme Daniel priait en direction de Jérusalem, le musulman le fait en direction de la Mecque. Bien que nous sachions que le contenu de sa foi n’est pas celui que définit la Bible, oublier que parler avec un musulman est parler avec un croyant, c’est l’offenser.

 

C’est vers ce croyant monothéiste (musulman signifie « celui qui se soumet1 » à Dieu), que nous sommes appelés à témoigner de Jésus-Christ.

 

 

La nature du dialogue

 

Dialoguer n’est pas évangéliser

 

« Au départ, dans le dialogue inter religieux, nous avons le désir de partager notre foi et de la faire découvrir à d’autres. Cela fait partie de l’Evangile2 ». Cependant si l’objectif de notre conversation est de le convaincre d’emblée, cela va rapidement dériver vers une tentative de confrontation entre ce que l’on croit être vérité et ce qui nous semble mensonge.

 

Paul savait qu’une telle démarche était vouée à l’échec : les disputes relatives à la loi ? « sont inutiles et vaines » (Tt 3.9). Le dialogue n’est pas une confrontation entre le christianisme et l’islam.

 

Dialoguer est une voie pour communiquer

 

A Athènes Paul trouva un pont de communication pour parler aux Grecs gavés de philosophie et d’ésotérisme : un épisode de l’histoire de la ville vieux de 650 ans, l’intervention d’Epiménide avec son «dieu inconnu» (Ac 17.26). Si la majorité des Athéniens se moqua de Paul, Damaris, Denys et plusieurs autres devinrent les premiers membres de l’Eglise d’Athènes, parce que Paul avait su ouvrir le dialogue avec eux en parlant leur langage.

 

Dialoguer n’est pas viser un consensus

 

Dans une recherche d’unité, on peut être tenté de « faire chacun un bout de chemin », de proposer que de chaque côté on abandonne ce qui est inacceptable pour l’autre. Aujourd’hui affirmer que chaque religion contient une part de vérité est de bon ton. On dira que l’islam peut être un autre chemin pour conduire à Dieu.

 

Or « on ne peut vider l’Evangile de sa substance, à savoir la foi en la personne de Christ, vrai homme, vrai Dieu3 ». Dialoguer n’est pas chercher à créer des liens avec l’islam.

 

Dialoguer permet de s’informer et de comprendre

 

Dialoguer pour s’informer des croyances d’un musulman, pour partager ses joies et ses souffrances, pour écouter son espérance et ses doutes, est la porte qui permettra de comprendre ses craintes et sa méfiance du christianisme.

 

Le musulman reste blessé par le souvenir des croisades « chrétiennes », il ne comprend pas les guerres contre l’Irak, le soutien aux Israéliens.

 

Dialoguer sur la foi lui permettra peut-être de faire la différence entre « occident chrétien » et Eglise de Jésus-Christ, et à nous chrétiens, de distinguer Jihad et terrorisme. Mieux connaître la religion de l’autre est un bon moyen de le comprendre.

 

Dialoguer n’est pas relativiser les différences

 

La pierre d’achoppement dans le dialogue, c’est le relativisme. « Aujourd’hui, il faut trouver l’équilibre entre la recherche sincère de la vérité sans renoncer à risquer un jugement sur des conduites et des doctrines. Il faut … « admettre cette tension entre la recherche de la vérité et le fait de tolérer l’autre dans ce qu’on pense être ses errements4 ».

 

Dialoguer avec un musulman amène fatalement à mettre en évidence des conceptions différentes de Dieu et de Jésus dans le Coran et dans la Bible. Il faut éviter un angélisme idéaliste qui fait croire que l’islam et le christianisme se rejoignent.

 

 

conflitDes obstacles au dialogue

 

Le Coran nie avec force la divinité de Jésus

 

« Dieu n’a point de fils ; et il n’y a point d’autre Dieu à côté de lui » (sourate 23.92). Jésus n’a pas été crucifié (sourate 4.157). Il n’est pas ressuscité (Voir plus haut l’article : « Christ dans le Coran »).

 

Allah décrit dans le Coran n’a pas la même personnalité que le Dieu de la Bible

 

La Bible présente un Dieu unique et trinitaire, se présentant à nous sous trois personnes, Père, Fils, Saint-Esprit. Chacune des trois est pleinement divine et contient les deux autres : Moi et le Père, nous sommes un, disait Jésus.

 

Le Saint-Esprit est appelé Esprit de Dieu, et Esprit de Christ… Mais le Coran ordonne : « Ne dites point : il y a Trinité, car Dieu est unique » (4.169).

 

 

« La Bible insiste sur l’usage de la raison, le Coran sur l’obéissance5 ».

 

« Le coeur de l’islam est la soumission à Dieu et à ses commandements6 ». Le Dieu de la Bible demande l’obéissance sans l’exiger : déjà dans l’A.T., Dieu laissait l’homme libre d’obéir : j’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie… (Dt 30.19) ; Dieu est amour (2 Ch 9.8). Il est devenu notre Père céleste, nous sommes adoptés comme ses fils (Gal 4.7).

 

L’islam et le christianisme « ne jouent pas avec les mêmes règles »

 

Le principe de réciprocité n’entre pas en ligne de compte. Les musulmans dans les pays démocratiques peuvent librement exprimer leur foi et inviter des non musulmans à rejoindre l’islam, mais l’évangélisation des musulmans est interdite et dans de nombreux pays islamistes punie de lourdes peines de prison.

 

Une Déclaration islamique universelle rédigée en 1981 à Paris proclame la liberté de croyance, mais accompagnée de la peine de mort pour apostasie (abandon de l’islam pour un musulman). Un musulman converti est un martyr en puissance. Les pays islamiques refusent l’édification d’églises chrétiennes chez eux, mais revendiquent l’autorisation de construire des mosquées dans les pays non musulmans.

 

L’islam fusionne le religieux et le politique, le christianisme les distingue

 

mosqueeII faut être conscient que « la mosquée n’est pas une église musulmane, mais un lieu où la communauté se rassemble pour examiner tout ce qui la concerne : questions sociales, culturelles, politiques7 ».

 

Le musulman place le religieux au-dessus du politique, le Coran est source du dogme, de la vie mystique, mais aussi code juridique. Et force est de constater que la démocratie politique n’a de fait jamais existé en terme d’islam. Et les droits de l’individu n’y sont pas reconnus8.

 

Au contraire, l’Evangile parle d’abord du rapport de l’homme avec Dieu, et affirme une claire transcendance entre le Dieu créateur et l’ordre de la création qui permet de ne pas confondre pouvoir politique et autorité divine.

 

Péché et pardon

 

Le christianisme affirme la libération spirituelle de l’individu, une transformation intérieure radicale grâce à la mort de Christ sur la croix. William Campbell, relève de nombreux textes du Coran qui montrent comment l’islam lie le salut à la qualité des oeuvres de l’homme pendant sa vie terrestre ; il cite de nombreuses confessions de grands hommes de l’islam, angoissés devant la mort, incertains de leur sort devant Dieu9.

 

Dans le Coran, Abraham lui-même, Moïse et les anges «espèrent la miséricorde et craignent son châtiment» (17.57). Dieu peut gracier mais l’homme n’a pas l’assurance de son pardon.

 

 

L’évangélisation

 

Elle n’est plus dialogue, mais appel :

 

Le Christ a ordonné à ses disciples d’annoncer l’Evangile à toutes les nations. Un Evangile qui est à la fois prédication de la croix et compassion concrète envers son prochain.

 

Le Coran aussi ordonne au musulman de convertir le chrétien à l’islam.

 

Mais la situation diffère :

 

Dans les démocraties laïques, l’expression de sa pensée et de sa foi est un droit, qu’elle soit chrétienne ou islamique.

 

Dans la plupart des pays islamiques. l’évangélisation est proscrite, le musulman risque la mort en se convertissant à Christ. Les évangélistes étrangers n’entrent que comme laïcs et leur marge d’action est très limitée.

 

L’intolérance de la religion

 

L’islam (sunniste surtout) ne tolère ni le christianisme, ni les mouvements de pensée musulmans qui s’éloignent du Coran, et il sévit.

 

Le message de l’Evangile lui-même est intolérant, car il n’y a qu‘un seul Sauveur et médiateur entre Dieu et les hommes (Ac 4.12 ; 1 Ti 2.5). Le péché, quel qu’il soit est mal. Seule la Bible est Parole de Dieu. Mais on a vu que le Dieu de Jésus-Christ laisse l’homme libre de son choix.

 

Le risque de la liberté

 

La connaissance des autres religions n’a pas conduit Paul au syncrétisme. Dans nos pays de libre pensée, il s’agit de « résister au relativisme ambiant, fils de l’universalisme 10». Paul Wells donna une conférence à l’Institut Emmaüs en 1994 qu’il intitula : « Plaidoyer pour l’intolérance ».

 

On ne doit pas se laisser impressionner par certains textes légaux qui qualifient de manipulation mentale « tout effet de persuasion envers autrui » ; le message de l’Evangile doit être proclamé pour que chacun puisse choisir ; se taire, c’est priver son prochain de la possibilité de choisir entre la vie et la mort. « Pas d’évangélisation, c’est à terme la mort de l’Eglise qui oublie sa vocation missionnaire ».

 

« Il ne faut pas donner au public l’impression que tout revient au même. Nous n’avons pas le droit de nous dérober, surtout à l’heure actuelle, où tant de conflits en Inde, au Soudan, en Indonésie engendrent le dégoût de la religion 11».

 

Apprenons à connaître les obstacles que les musulmans doivent franchir pour accepter Christ comme Fils de Dieu, afin de savoir comment entrer en dialogue avec eux. Et gardons comme objectif final d’être auprès d’eux des témoins de Christ, des ambassadeurs chargés d’un appel à trouver le vraie vie en Christ le seul Sauveur, appel que notre Roi adresse à tous les hommes.

 

J.-P. B.

 


NOTES

 

1. «Qui donc professe une meilleure religion que celui qui se soumet à Dieu, qui fait le bien, celui qui suit la religion d’Abraham ? » (sourate 4.25)

 

2. J. Blandenier.

 

3. J.-R Dassonville, «Regards chrétiens sur l’islam», dans Construire ensemble, jan. 1999.

 

4. Jean Baubérot, Le Christianisme au 20ème s. du 3 janvier 1998.

 

5. Id.p.78.

 

6. Martin Goldsmith, La croix et le croissant, p. 77.

 

7. Le père Samir, jésuite égyptien, prof, d’islamologie à l’Institut pontifical oriental de Rome.

 

8. Jacques Rollet, professeur de science politique à l’université de Rouen. Il vient de publier Religion et politique, le christianisme, l’Islam, la démocratie, édit. Grasset, octobre 2001,226p.

 

9. William Campbell, Le Coran et la Bible, p. 293-310.

 

10. Jean-Paul Willaime, Christianisme au 20ème s., octobre 2001.

 

11 . J.Blandenier, dans le Christianisme au 20ème s. du 8 avril 2000.