L’incarcération

 bastille

par Rose-Marie ERB 1

 

 

 

La prison vue par les membres de la CEDEF2 qui exercent un ministère d’aumônier protestant dans des prisons de la région parisienne.

 

 

La prison est un sujet qui occupe assez fréquemment la une de nos journaux, éclaboussant notre « bonne société bien pensante » de malaise et de culpabilité. « La prison est un pourrissoir d’hommes » a dit Alain Peyrefitte. Les délinquants ont-ils mérité mieux ou pire, ou carrément autre chose ? C’est une question qui regarde aussi les chrétiens : la Bible nous donne des repères dans ce domaine également et c’est une bonne nouvelle…

 

 

La prison n’est un bon endroit pour personne

 

Tout le monde en convient généralement. Cependant, à ce jour, on ne peut envisager de supprimer les 160 prisons de France et d’en libérer les 57.000 détenus (dont 4% de femmes). De plus, la libération du détenu n’a rien d’un simple déménagement : 50% des sortants récidivent ! Il faudrait donc humaniser les prisons et en faire des lieux d’apprentissage de la vie, du respect de soi et des autres ; bref, des lieux de socialisation… au lieu de les laisser devenir des pourrissoirs et la haute école du crime… (cf. Véronique Vasseur in Médecin Chef à la prison de la Santé).

 

Pourtant des améliorations ont été apportées par différents gouvernements. On peut se réjouir de la mise en place des ateliers, des visiteurs, du relais Parents Enfants. Il y a en effet des citoyens qui se mobilisent, notamment chez les femmes et les jeunes. La prison idéale n’existe pas et on n’a pas le droit de faire l’impasse sur la réinsertion.

 

 

Un pourrissoir d’hommes

 

J’entends telle ou telle détenue me dire avec un mélange de frayeur et de fierté : «vous savez, mon mari, pour être tranquille à la douche, il y va toujours avec sa fourchette…» Etant donné l’organisation du parc carcéral, la promiscuité homosexuelle est florissante et nettement privilégiée, sinon forcée, en prison. Pour beaucoup, cela va créer des problèmes supplémentaires dans leur vie. On voit en effet se former des couples de femmes (ou d’hommes) pour vivre dans la même cellule et s’habituer à ce style de relation.

 

Par ailleurs, il existe encore beaucoup d’inertie administrative, brisant parfois les derniers liens affectifs familiaux par des refus de parloir ou de rapprochement : « Ah, il fallait qu’elle réfléchisse avant », me dit-on parfois quand j’interviens pour faciliter les relations au sein d’un couple ou d’une famille.

 

 

La nécessité d’une écoute

 

« On observe chez certains détenus une prise de conscience » dit Jeanne Sylvestre, aumônier à Fleury Mérogis. « Ils avouent : j’ai fait une c… et c’est pour ça que je suis ici ». D’autres n’ont pas, ou plus la notion de la faute ni de la sanction. Ils se sentent alors enfermés comme des animaux et réagissent parfois comme tels. C’est par un travail d’écoute active de l’autre qu’on peut le comprendre, l’aider à voir plus clair en lui-même et obtenir un changement positif d’attitude, voire de comportement.

 

Ces hommes et ces femmes, derrière les barreaux, ont besoin d’oreilles qui les écoutent et de repères pour la vie : l’aumônier y va avec la Parole de Dieu. Même si parfois ils n’ont plus de demande à formuler, on peut travailler avec eux l’espérance. La prison est un lieu de souffrance et c’est elle, qui permet d’envisager un changement de vie quand il y a un accompagnement adéquat. C’est à ce niveau que je situe la parole de Jésus : J’étais en prison et vous êtes venus me voir (Mt 25.36).

 

Ce lieu de « mal être » peut aussi devenir terreau de changement. C’est ce qui est arrivé à Christophe Boumard, un des membres de la CEDEF qui connaissait bien les prisons de l’intérieur et dont la biographie (à lire absolument) vient de paraître « Domicile fixe : la rue3».

 

 

Une école du mal pour beaucoup

 

Voici ce que dit aussi Christophe Boumard de la prison : « Nous devons savoir que la prison est un lieu d’exclusion où la société se débarrasse de ceux qui la menacent. Pendant longtemps, les prisons étaient construites dans le centre des villes. Peut-être pour avoir un impact sur la population ? Mais il nous faut reconnaître qu’une société qui ne sanctionne pas la délinquance et le crime, est une société qui se suicide… Implantée avec ses hauts murs, ses gardiens et ses miradors, c’est une école du crime où l’on trafique, où l’on vend, où l’on trouve le sexe, la drogue et le caïd. Mais on y trouve aussi la dépression, le suicide et parfois le meurtre. S’ajoute à toutes ces misères l’existence d’une hiérarchie de fait entre détenus.

 

Et nous, chrétiens, que pouvons-nous apporter dans les prisons ? Déjà nous informer sur ces lieux d’incarcération. Nous devons savoir que la prison abîme le détenu et le déresponsabilise : aucune initiative personnelle, tout se décide à sa place : l’heure du réveil, du repas, de la promenade, le jour de la douche, l’entrevue avec l’avocat, etc. En arrivant, on lui donne un numéro d’écrou : plus d’identité, il est un numéro que l’on peut changer de cellule selon le bon désir du surveillant ».

 

 

Un lieu hors de la vie

 

La vie du prisonnier est rythmée par les tours de clés dans la serrure et il faut attendre et attendre que l’on vienne vous chercher pour pouvoir sortir de la cellule. Il ne se passe rien pour le détenu, à part une bagarre ou la visite d’un avocat. Cet homme, cette femme sont en situation d’échec et d’exclusion par rapport au monde : des êtres blessés, pauvres et malheureux, révoltés ou angoissés, d’autant plus qu’il leur manque le plus souvent les repères culturels, éthiques et spirituels.

 

L’administration pénitentiaire devrait absolument concilier sécurité ET réinsertion. L’encombrement des prisons est réel : en 1975, pour 1000 habitants en France il y avait 50 détenus contre 84 en 1999 ! La prison doit nous interpeller comme champ de Mission. Pourquoi ne pas devenir visiteur, aumônier ou correspondant… ?

 

 

L’aumônerie

 

En veillant à la qualité relationnelle avec ses collègues aumôniers, catholiques notamment, mais aussi juifs et musulmans, sans oublier bien sûr le personnel pénitentiaire sur place, l’aumônier protestant peut exercer son ministère dans une liberté tout à fait exceptionnelle. Si les détenus le trouvent intéressant, il réunit dans son culte bien plus que le pourcentage moyen de la France protestante.

 

L’expérience de Georges Prenel, aumônier à Nanterre, est intéressante (MAHS) : « Un nouvel aumônier catholique arrive et je découvre un homme très ouvert, ayant le souci des détenus. Il me propose un travail en commun basé sur le respect mutuel. Je vais donc pouvoir exercer mon ministère auprès de l’ensemble des invités de l’aumônerie et non seulement pour quelques rares protestants qui veulent bien se faire connaître : un véritable travail œcuménique dans le bon sens du terme. Les détenus apprécieront avec joie cette collaboration qui permettra des célébrations en commun d’une grande qualité. Ils sont sans grand espoir, déçus de la société qui les rejette et bien souvent abandonnés des leurs.

 

Je vais découvrir petit à petit la triste réalité de ces vies incarcérées dont la seule espérance sera de trouver du secours auprès du Seigneur. Je me souviens de ce garçon (je le retrouverai plus tard dans mon Eglise) qui m’assurait avoir rencontré Jésus en prison et qui voulait, dès sa sortie, le servir. Il achevait 5 ans de prison. Après plus de 10 ans de liberté, il est toujours fidèle au Seigneur. Il a échappé à la récidive par la grâce de Dieu ». Ce n’est pourtant qu’une goutte d’eau sur la pierre brûlante des besoins.

 

Cependant, on ne peut aider toujours et une part de responsabilité appartient à chacun. Selon l’Ecclésiaste il y a un temps pour toute chose, un temps pour se perdre et un temps pour se retrouver. A contretemps, rien n’avance, ce qui nous rend humble ; nous ne pouvons pas aller plus vite que l’autre le permet…

 

La peine de mort approuvée par certaines Eglises aux Etats-Unis me paraît anachronique. Le film « Death man walking » est bouleversant. C’est encore d’autant plus difficile à comprendre quand le condamné s’est repenti. Mais n’est-ce pas là un fonctionnement de certaines Eglises évangéliques qui estiment l’exclusion plus efficace que la repentance ? Peut-être même que dans un certain sens, elles ont raison mais, pourtant, ce n’est pas biblique, ce n’est pas le chemin de l’amour que Dieu nous demande. Il y a 50 ans environ que l’Armée du Salut a été associée à la fermeture du Bagne en Guyane : elle défendait ainsi le principe biblique que « toute personne est récupérable ».

 

 

Le rôle des Eglises

 

Les Eglises, ces lieux de nourriture spirituelle, pourraient être également (et sans sortir du contexte biblique) des ateliers d’apprentissage à la vie et au service du prochain. Pourquoi ne pas privilégier dans l’Eglise un groupe de jeunes, les accompagner utilement dans ce monde de mille convoitises. Ce sera aussi de la prévention pour certains « jeunes en danger ». Apprendre à vivre, ce qui inclut : grandir, prendre des responsabilités, se tromper, se repentir et redémarrer… sans se faire exclure, ce qui est déjà une certaine « mise à mort » du pécheur lapidé par des jugements hâtifs, et pratiquée peut-être trop fréquemment (non seulement aux Etats-Unis !).

 

La Bible nous atteste que les premiers chrétiens avaient « de la compassion pour les prisonniers ». A ce jour, dans des prisons en France, il reste encore trop de postes vacants dans l’aumônerie protestante. La prière pour les détenus et le monde carcéral doit rejoindre le culte dominical et aussi notre prière personnelle (cf. calendrier de prière ci-joint).

 

Rose Marie ERB, Aumônier
Présidente de la CEDEF

 


NOTES

 

1. Aumônier, Présidente de la CEDEF.

 

2. CEDEF : Commission d’Entraide auprès des Détenus Et de leurs Familles

 

3. Christophe BOUMARD, Domicile fixe : la rue. Editions Empreinte.

 

 

Pour plus de renseignements, demandez le dépliant de la CEDEF, B.P 3909,
75421 PARIS CEDEX 09
C.C.P de la CEDEF : 12.956.55 B PARIS

 

 

QUAND VOUS PRIEZ … PENSEZ AUX DETENUS

 

DIMANCHE – LES DETENUS : des mois et des années de séparation d’avec leur famille, la perte de l’emploi et l’isolement. Pour une démarche spirituelle dans ce temps d’isolement.

 

LUNDI – LES SORTANTS DE PRISON : un logement, un travail, retrouver leur famille, un lieu de culte. Changer de fréquentations pour ne pas récidiver.

 

MARDI – LES FAMILLES DES DETENUS : leur vie bouleversée. Tristesse, révolte, solitude et problèmes matériels.

 

MERCREDI – LES FONCTIONNAIRES DE LA JUSTICE : action rapide, dans la justice et la sagesse de Dieu dans leur action.

 

JEUDI – LES VICTIMES : leur souffrance, leur peur, le sentiment d’être trahies par le système judiciaire, leur besoin d’une aide appropriée.

 

VENDREDI – L’EGLISE ET LA SOCIETE : leur rôle dans la prévention et l’accompagnement. Des relations humaines et spirituelles.

 

SAMEDI – LES AUMONIERS DES PRISONS : trop peu nombreux (besoin de vocations !), et leur besoin de sagesse et d’humilité dans l’exercice de leur ministère.