Vouloir

Panneau-questions 

 

par Alfred KUEN1

 

 

Je veux faire ta volonté, ô Dieu,

et ta Loi est gravée tout au fond de mon cœur

(Ps 40.9).


 

 

Nous connaissons tous autour de nous des « gens de bonne volonté » sincèrement désireux de faire le bien – et qui le font aussi dans une certaine mesure. Il y a en l’homme des trésors de dévouement et d’altruisme qui se manifestent par exemple par des actes de solidarité et d’entraide lors de catastrophes naturelles ou de guerres, des hommes et des femmes qui s’engagent corps et âme dans des œuvres humanitaires pour venir au secours des déshérités. C’est certainement une trace de l’étincelle divine qui sommeille en tout homme. La volonté humaine aurait-elle le pouvoir de « faire le bien » c’est-à-dire la volonté de Dieu ?

 

 

L’homme peut-il accomplir la volonté de Dieu ?

 

Bien des auteurs antiques ont constaté l’inanité de leur volonté en face de certaines tendances qu’ils trouvaient en eux : « Le désir me conseille une chose, la raison une autre. Je vois bien le parti le meilleur, et je l’approuve, mais je suis (sequor, suivre) le plus mauvais » (Ovide). « Je savais bien comment je devais être, mais, malheureux que je suis, je ne pouvais le faire » (Plaute). « Qu’est-ce donc qui, lorsque nous tendons d’un côté, nous entraîne de l’autre ? » (Sénèque). « Celui qui pèche (hamartanôn) ne fait pas ce qu’il veut et fait ce qu’il ne veut pas » (Epictète). Platon comparait l’âme humaine à un chariot attelé à deux chevaux qui le tirent, l’un vers le haut, l’autre vers le bas.

 

Buridan de Béthune (14ème siècle) prétendait que « La volonté est l’intelligence, et l’intelligence est la volonté ». Ce serait beau si la volonté accomplissait toujours ce que la raison approuve, mais Shakespeare constate aussi (par York dans La vie et la mort de Richard II) que souvent « tout conseil vient en retard quand la volonté se révolte contre la raison » parce qu’elle est mue, non par l’intelligence, mais par les sentiments, les pulsions instinctives et ce que la Bible appelle « les désirs incontrôlés de la nature humaine ».

 

C’est l’apôtre Paul qui a dépeint le plus clairement ce conflit entre le vouloir et le pouvoir dans Rm 7 14-25. En effet, le verdict de la Parole de Dieu est tranchant et sans appel : L’Ecriture dit : « II n’y a pas de Juste, pas même un seul, pas d’homme capable de comprendre, pas un qui cherche Dieu Ils se sont tous égarés, ils se sont corrompus tous ensemble, il n’y en a pas qui fassent le bien, non, pas même un seul » (Rm 3 10-12)

 

Aux yeux de Dieu, aucun homme ne satisfait à ses exigences de manière à  être  déclaré juste, même les actes les plus méritoires ne compensent pas la corruption foncière du cœur humain. Personne ne sera déclaré juste devant Dieu parce qu’il aura accompli les œuvres demandées par la Loi (de Moïse) (Rm 3.20) ni par aucune autre loi.

 

 

Le salut gratuit et la volonté de l’homme

 

Donc tous les hommes sont-ils condamnés et rejetés loin de Dieu ?

 

Oui, mais Dieu a pris l’initiative de « justifier » certains d’entre eux, c’est-à-dire de les déclarer justes et les considérer comme tels Sur quelle base ?

 

Dieu déclare les hommes justes par leur foi en Jésus-Christ, et cela s’applique à tous ceux qui croient, car il n’y a pas de différence entre les hommes (Rm 3 22).

 

C’est là qu’intervient la volonté : dans l’acte de foi qui accepte ou refuse ce don de Dieu. En effet, le salut a beau être gratuit et offert, comme un cadeau, il n’est imposé à personne : seuls ceux qui le souhaitent, qui veulent le recevoir en bénéficient.

 

Veux-tu être guéri (Jn 5.6) ? Cette parole, adressée au malade de Béthesda qui attendait depuis 38 ans sa guérison, pourrait aussi s’appliquer sur le plan spirituel à ceux qui souffrent de la maladie du péché. Le salut est gratuit, mais il n’est pas automatique. Dieu demande que nous en exprimions au moins le désir, c’est-à-dire la volonté de guérir, et que nous fassions le geste de la main qui s’avance pour prendre le cadeau. Ce geste, c’est la foi qui s’empare de ce qui lui est propose.

 

Jésus a relevé cet aspect lorsqu’il a dit : Demandez, et vous recevrez, cherchez, et vous trouverez, frappez, et l’on vous ouvrira … Entrez par la porte étroite (Mt 7 7,13-14).

 

Dans une thèse de doctorat2 intitulée La volonté et la vie de la foi, Albert Gaillard a analysé la contribution des différents éléments humains de la foi dans la conversion et la sanctification. Sa thèse principale se résume ainsi : « Loin de détruire la volonté, la foi normale la respecte, l’utilise et la fortifie ». « L’essentiel de la conversion » qui dure et qui transforme, dit-il, n’est ni un sentiment ou une émotion, m un automatisme, une contrainte extérieure, mais « une attitude de la volonté ». II ne s’agit pas de sentir ou d’« être agi », mais de « consentir et d’agir ». II cite Charles Finney qui a été à l’origine de nombreux réveils en Amérique, et qui dénonce la portée très faible des émotions dans les conversions : « Des multitudes de personnes sont influencées presque uniquement par leurs émotions. Elles sont très zélées pour la religion tant que leurs émotions sont ardentes et vives. Mais leur piété n’aura pas de consistance. Elles ne seront pieuses que lorsqu’elles y seront contraintes par débordement de sentiment. Mais ce n’est pas la vraie piété ».3 Elles peuvent même devenir de vraies « toxicomanes de l’émotion »4, une toxicomanie qui finit souvent par désorganiser la personnalité. Et lorsque l’émotion s’en va, la foi part avec elle. Ce fut le cas dans la « déconversion » de Renan.

 

 

La sanctification et notre volonté

Valorisation de la volonté

Dieu valorise notre volonté : il y fait appel pour notre salut comme pour notre sanctification, car elle est le gage de notre liberté, c’est-à-dire de notre dignité humaine.

 

II est question de la volonté de la fiancée (Gn 24.57), du père de famille (Mt 20.14), de la fille d’Hérodiade (Mc 6.25), de la chair et de l’homme (Jn 1.13 ; Ep 2 3).

 

Mt 11.27, Jn 7.17; 1 Tm 6.9 : « Tous ces passages et les mots employés montrent clairement que l’homme est toujours considéré comme un être responsable, libre de vouloir en harmonie avec la volonté divine ou contrairement à elle (Jn 5.40 : Vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie) »5

 

Au contraire, libéré de la tyrannie de ses instincts et de son subconscient, l’homme est capable de décider librement d’obéir à son souverain bien qui se confond pour lui avec la volonté de Dieu telle qu’elle nous est révélée dans la Parole (Mt 26.39).

 

La première application de la volonté sera surtout une application négative dire non aux tendances de notre vieille nature. « Vouloir vraiment, c’est vouloir ce qu’on ne veut pas » (Ch. Renouvier) c’est-à-dire résister à ses désirs et ses velléités primaires.

 

Légalisme ou laxisme ?

Il fut un temps où l’enseignement chrétien insistait sur ce que les croyants devaient faire pour plaire à Dieu. Aujourd’hui, le balancier a viré du côté opposé : on ne parle que de la grâce, des bénédictions et des promesses de Dieu, et l’on taxe volontiers de légalisme ce qui a été enseigné hier Dieu est amour. Nous sommes ses enfants. Tout ce que nous avons à faire, c’est de le louer, de le remercier pour ses dons et de jouir de sa bonté Alléluia !

 

C’est vrai ! Nous pouvons jouir de la bonté de Dieu et nous réjouir de ce que nos noms soient écrits dans les cieux si nous avons accepté Jésus comme notre Sauveur, mort pour nous sur la croix. Nous devrions aussi saisir avec plus de foi les nombreuses promesses de la Parole de Dieu. Mais est-ce là tout le message chrétien ?

 

Certainement pas. Si nous considérons l’ensemble du message apostolique tel qu’il nous apparaît dans les épîtres du Nouveau Testament, nous constatons qu’il se présente sous deux aspects :

 

–  ce que Dieu a fait pour nous,

–  ce qu’il attend de nous.

 

Le paradoxe biblique

Si Dieu nous a tout donné, je n’ai donc plus rien à faire. Mais si je dois faire tous mes efforts, c’est que mon salut et ma sanctification dépendent de moi. Pourtant, on nous dit que « tout est grâce », cela ne dépend pas de vous, c’est le don de Dieu, car en expirant sur la croix, Jésus s’est écrié : Tout est accompli.

 

Puisque Dieu nous a tout donné, il peut aussi nous demander de faire tous nos efforts pour cultiver ce don et le faire fructifier. Ne pas le faire, serait témoigner de notre mépris pour le don et le Donateur. Dans toute sa Parole, Dieu fait appel à notre volonté pour valoriser les dons qu’il nous a faits.

 

Le programme de Dieu

Lorsqu’il parle de faire tous nos efforts pour ajouter à notre foi telle et telle vertu, l’apôtre Pierre dresse tout un programme à notre sanctification (2 Pi 1.5-7). Le point de départ est la foi ; donc il s’adresse à des chrétiens, enfants de Dieu, et il leur demande de faire tous leurs efforts pour ajouter 7 aspects caractéristiques d’une vie chrétienne normale :

 

1. la force de caractère (Sgd : la vertu, FC : la bonne conduite),

 

2. la connaissance,

 

3. la maîtrise de soi,

 

4. l’endurance dans l’épreuve (Sgd : la persévérance, FC : la patience),

 

5. l’attachement à Dieu (Sgd : la piété),

 

6. l’affection fraternelle,

 

7. l’amour.

 

Car si vous possédez ces qualités, et si elles grandissent sans cesse en vous, elles vous rendront actifs et vous permettront de connaître toujours mieux notre Seigneur Jésus-Christ (v.8).

 

Devant chaque aspect, la formule : faites tous vos efforts pour ajouter est sous-entendue. Ce passage nous permet donc de voir quel rôle Dieu assigne à notre volonté dans l’édification de notre personnalité chrétienne.

 

« Démission de la volonté »6

Le but de la civilisation semble avoir été de rendre la vie plus facile – et nous en sommes bien reconnaissants. Des tâches qui exigeaient autrefois beaucoup de temps et de forces se font maintenant chez nous en jouant.

 

Au cours de ma vie, j’ai assisté à la mutation de la plupart des activités humaines : déplacements, chauffage, travail du bois ou du fer, agriculture, industrie, commerce, de l’épicier du village aux achats par Internet, du manuscrit donné à l’imprimeur qui composait le livre au plomb sur sa Linotype à la composition par ordinateur. Partout, les opérations se font plus facilement, plus vite et mieux.

 

Aussi n’est-il pas étonnant que « plus facile » soit devenu synonyme de progrès, et que la facilité ait été élevée au rang de vertu cardinale, critère de réussite dans tous les domaines : « L’anglais sans peine », « Le grec sans larmes », « Les mathématiques en jouant ». Et que l’effort soit considéré comme signe de quelque chose de retardataire, de dépassé.

 

Mais avec la facilité croissante, la faculté de maîtriser des obstacles s’est atrophiée, comme un muscle qui n’a plus l’occasion de s’exercer. N’ayant plus besoin de faire des efforts pour se surmonter et pour vaincre les difficultés, l’homme devient incapable de vouloir faire cet effort.

 

Le chrétien vit dans le même monde que les autres hommes. Il a subi dès son enfance les mêmes influences et la même éducation. Aussi a-t-il tendance à transposer les dominantes de son époque sur le plan spirituel.

 

 

 

Comment fortifier sa volonté ?

S’exercer à renoncer

Une part importante de la lutte contre le péché consiste à dire non aux tentations et aux sollicitations de notre vieille nature. S’exercer à dire non, à renoncer pourrait être un premier moyen – négatif – d’exercer sa volonté. Nous avons vu que la vie moderne nous offre de plus en plus de facilités. Certaines sont fort appréciables et il serait sot d’y renoncer. Je ne renoncerai pas à l’ordinateur sous prétexte qu’en écrivant à la main ou en tapant à la machine à écrire j’exercerai davantage ma volonté. D’autres, par contre, ne sont pas indispensables : je ne suis pas obligé de prendre toujours la voiture ; en partant un peu plus tôt, je peux fort bien faire le même trajet en bicyclette ou à pied – et je polluerai moins l’atmosphère.

 

Un autre renoncement que la Parole de Dieu elle-même nous indique est le jeûne. Le jeûne est tombé en discrédit dans les milieux évangéliques, en partie parce qu’il a été utilisé dans les religions et dans le catholicisme médiéval comme un moyen d’obtenir des grâces. L’idée est encore répandue, même chez des chrétiens évangéliques, que l’on pourrait forcer Dieu à nous accorder certains exaucements de prière par le jeûne. D’autre part, nous dit R. Poster, nous avons été convaincus par la propagande qu’il nous faut trois bons repas par jour – plus quelques extras entre eux – pour ne pas dépérir. « Conjugué avec la croyance populaire que nous devrions satisfaire tous les appétits humains, cela a rendu le jeûne tout à fait obsolète »7.

 

S’entraîner à des actions positives

CourseNous savons tous qu’un peu d’exercice physique est utile (1 Tm 4.7) – même si son utilité est limitée et relative par rapport à l’exercice de l’attachement à Dieu. Mais il demande un peu de temps et de volonté. Nous prétextons parfois que notre temps est trop précieux pour cela. Sommes-nous certains que c’est la vraie raison pour renoncer à ce que tous les médecins estiment utile, voire nécessaire, pour maintenir notre corps (le temple du Saint-Esprit) en bon état ? L’exercice physique est en même temps un bon exercice de la volonté.

 

Jésus se levait avant le jour pour aller prier dans un lieu désert. Il aurait certainement aussi apprécié de pouvoir dormir un peu plus longtemps le matin, mais l’entretien avec son Père céleste était plus important pour lui. Il nous donne en cela un exemple qui est à la fois un acte de volonté et un exercice de la volonté. Il connaissait les Ecritures, bien qu’il n’ait pas « étudié » (c’est-à-dire suivi un enseignement rabbinique). Cela veut dire qu’il devait encore prendre du temps sur ses loisirs pour se rendre à la synagogue où ces Ecrits étaient déposés pour les étudier et les mémoriser.

 

Nos facultés mentales s’entraînent comme nos facultés physiques. Si nous les laissons en friche, elles s’étiolent. Si nous les développons par des exercices réguliers, elles s’adaptent à des demandes de plus en plus astreignantes. Si, par exemple, nous avons l’habitude de lire le soir un récit ou un roman, nous pouvons aussi nous astreindre à remplacer la première demi-heure de cette lecture par l’étude d’un livre plus difficile: un commentaire, une étude biblique ou doctrinale. Au début, notre esprit aura de la peine à se concentrer, mais si nous persévérons, nous nous apercevrons qu’il y parvient fort bien, et nous allongerons le temps de la lecture de livres qui nous feront vraiment avancer sur le plan spirituel.

 

Exercer sa volonté dans les rapports sociaux

Le chrétien est par définition un non-conformiste (Rm 12.2). Il est souvent obligé de se « singulariser » par son comportement qui ne répond pas à celui de M. Tout-le-monde, il doit nager à contre-courant et refuser ce que la majorité pense et fait. Pour cela, il lui faut une bonne dose de volonté. Dans ce cas, pourquoi ne pas exercer sa volonté précisément sur ce terrain-là : en prenant le contre-pied de la grande masse dans des domaines où cela ne porte pas à conséquence. Un chrétien, une chrétienne, n’est pas obligé de s’habiller à la toute dernière mode, d’avoir lu le livre dont tout le monde parle, d’avoir vu tel film ou telle émission à la télévision, il n’est même pas obligé d’avoir la télévision. On fait grand cas actuellement du « droit à la différence » : c’est l’occasion pour les autres de montrer qu’ils nous l’accordent effectivement.

 

Jésus a aussi pris position contre les injustices et les hypocrisies, même des gens haut placés. Il a toujours dit la vérité, quitte à s’attirer des ennuis. Ce n’est certainement pas du jour au lendemain que lui est venu le courage de chasser les vendeurs du Temple. L’entraînement à des actions courageuses dans les autres rapports sociaux a fortifié sa volonté pour le rendre capable d’actions d’éclat lorsqu’elles s’imposaient.

 

Il en est de même de sa résistance aux moqueries, aux coups et aux insultes lors de sa passion – alors qu’il aurait eu le pouvoir de pulvériser tous ses ennemis. L’accomplissement des prophéties d‘Esaïe 53 (« homme de douleur, habitué à la souffrance… comme la brebis muette devant ceux qui la tondent, il n’a pas dit un mot ») a été pour lui le résultat d’une longue maîtrise de ses réactions.

 

La maîtrise de soi (lit. : la force en soi) est un fruit de l’Esprit et une qualité que Pierre nous engage, nous, à ajouter à notre foi. La maîtrise de soi est, au fond, un autre mot pour la volonté. Ce verset de 2 Pierre 1.6 est une justification biblique de l’éducation de la volonté comme étant une tâche qui nous incombe.

 

A.K.


NOTES

 

1. Résumé fait par Annick Waechter, d’une conférence donnée au week-end d’Eglise de la Bonne Nouvelle de Lingolsheim en 1998.

 

2. Non publiée, soutenue à la Faculté de théologie de Montpellier au début des années 40.

 

3. Discours sur les réveils religieux, p 409.

 

4. P.Janet, De l’angoisse à l’extase, tome II, p 489.

 

5. W.L.Walker, International Bible Encyclopédia, vol 5, p 385.

 

6. Complète en quelque sorte l’expression utilisée par Francis Schaeffer pour qualifier notre époque : Démission de la raison (le titre original Escape from reason : « échapper à la raison » est encore plus parlant).

 

7. Voir à ce sujet le livre de Yan Newberry : Disponible devant Dieu, Une étude sur la pratique du jeûne biblique, p. 41-42).