Le chrétien contemporain dans la vie économique et politique

 

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Interview de Sir Catherwood par Esther Buckenham

 

 

Nous tenons à exprimer notre reconnaissance à Sir Fred CATHERWOOD qui a bien voulu partager avec nous ses réflexions sur un sujet qui nous préoccupe particulièrement ces temps-ci. Sir Fred Catherwood a été conseiller économique du gouvernement de Harold Wilson en Grande-Bretagne, cadre supérieur principal de la firme « British Aluminium », et membre fondateur du Parlement Européen, dont il fut un temps vice-président. Il est la preuve vivante qu’un chrétien évangélique peut occuper des postes de responsabilité de premier ordre dans le monde économique et dans le monde politique.

 

 


Conférencier très demandé, il a participé en France aux cérémonies de commémoration du 3ème Centenaire de la Révocation de l’Edit de Nantes à Paris. Il est l’auteur de plusieurs livres, parmi lesquels The Christian in industrial society. The Christian Citizen, First things first, et At the cutting Edge.

 

 

 

 

dialogue-2Servir : Le rôle du chrétien dans la vie économique et dans la vie politique a souvent fait l’objet de débats sans conclusions unanimes. Quelle est votre pensée dans l’état actuel de la société ?

 

Sir Fred Catherwood : Le monde a beaucoup changé en quelques courtes années. Il me semble important d’essayer de définir notre responsabilité en tant que chrétiens face aux crises que connaît notre société. Il ne suffit pas d’évoquer avec nostalgie les jours (… pas si éloignés !) où presque tout le monde avait un travail et un foyer stables, où la famille restait ensemble, où les enfants étaient assidus et respectueux à l’école, où tout le monde attendait avec confiance des jours encore meilleurs…

 

 

 

dialogue-2S. : Ce n’est certainement pas le cas aujourd’hui ! Comment définir le problème ?

 

F.C. : A l’heure actuelle ce ne sont pas seulement les maux du matérialisme qui affectent notre société, mais aussi l’affaiblissement des trois grandes institutions qui depuis plus de mille ans en assuraient la cohésion : la FAMILLE, l’EGLISE, l’ETAT.

 

Peut-être faudrait-il plutôt constater que la famille et l’Eglise ont beaucoup moins de pouvoir, moins de force, laissant ainsi à l’Etat une tâche impossible.

 

L’Eglise était déjà faible il y a une trentaine d’années. Mais il y avait persistance de l’illusion que la foi chrétienne restait le fondement de l’ordre moral de la société, alors qu’aujourd’hui il est « politiquement correct » de croire qu’il n’y a plus ni bien ni mal – rien n’est « bon », rien n’est « mauvais ». La tolérance est à la mode, il n’y a plus de dogme.

 

dialogue-2S. : Est-ce que la situation est sans espoir ?

 

F.C : Ma réponse est nécessairement brève – il n’est pas possible ici de faire une liste complète de tout ce qui « ne va plus… »: on pourrait parler d’homosexualité, d’avortement, de pornographie, de divorce, des familles monoparentales, de la drogue, des crimes crapuleux qui nous bouleversent. Face à ce déferlement, nous pourrions être atteints par un sentiment de totale impuissance.

 

Je crois cependant que si l’Eglise du Seigneur Jésus-Christ est fidèle à ses fondements, elle peut encore inspirer la loyauté qui a été sa force depuis maintenant 2 000 ans. 2 000 ans durant lesquels elle a tenu ferme, face à la philosophie grecque, à l’impérialisme romain, au paganisme des tribus nordiques… C’est une loyauté qui doit être gagnée : elle ne peut pas être imposée ! Nous devons la mériter sur « la place du marché »…

 

La plupart des chrétiens évangéliques croient que le seul salut possible pour leurs pays respectifs viendra au travers d’un réveil, par le moyen d’évangélistes du genre de Wesley, Whitefield, Spurgeon dans les siècles derniers…

 

Le dernier ordre donné par le Christ à ses disciples, a été de PRECHER L’EVANGILE – offre du pardon de Dieu pour nos péchés, pour notre rébellion. Le salut éternel a plus de valeur que quoi que ce soit dans cette vie. Malheureusement la société dans laquelle nous vivons en 1998 ne croit plus au péché – et de ce fait ne ressent plus le besoin de pardon ou de salut. Notre société contemporaine voit l’Eglise au mieux comme un club, au pire comme une secte dangereuse.

 

dialogue-2S. : Que devons-nous enseigner ?

 

F.C : Notre enseignement doit suivre étroitement celui du Christ et des apôtres – ceux-ci précisant que « la foi sans les œuvres est morte ». Nous devons montrer notre foi par nos œuvres, et nous sentir concernés comme l’était le Christ, et comme avant Lui l’étaient les prophètes, par les injustices et les blessures de ce monde. Nous avons la tâche de rectifier – quand c’est possible – et d’aider à combler toujours les besoins des pauvres, des malades, des nécessiteux, des très jeunes, des très vieux, de tous ceux qui se trouvent dans l’impossibilité de s’aider eux-mêmes. Il est vrai que le Christ a enseigné les foules – mais II les a aussi guéries et nourries. Beaucoup ont été prêts à l’écouter parce qu’il leur avait montré son amour par ses gestes. Ils l’ont cru lorsqu’il leur a parlé d’un besoin spirituel qu’ils ignoraient avant qu’il ne le leur démontre.

 

dialogue-2S. : Comment peut-on définir la responsabilité du chrétien dans le monde contemporain ?

 

 

 

F.C : Premièrement, NOUS DEVONS AIMER NOS VOISINS ! Quand un homme, qui voulait certainement voir délimiter le nombre de ses « voisins », a posé au Christ la question: « QUI est mon voisin ?… », la réponse de Jésus a été de raconter la parabole du « Bon Samaritain ». Il faut en conclure que nos « voisins » ne sont pas seulement les personnes qui fréquentent notre Eglise, ou qui sont de notre race, ou qui pensent comme nous ! Au contraire, nos voisins sont ceux qui ont besoin de notre aide.

 

Deuxièmement, NOUS SOMMES LA LUMIERE DU MONDE. Nous rendons visible à tous l’amour de Dieu, un amour qui se rend perceptible au travers de nos actions. Nous prêchons l’amour de Dieu dans nos Eglises, c’est vrai ; mais si nos vies ne sont pas la démonstration de cet amour, comment est-il possible de croire dans le Dieu que nous annonçons ?

 

selterreTroisièmement, NOUS SOMMES AUSSI LE SEL DE LA TERRE, un sel qui sauve la terre de la corruption. Dans nos relations et dans nos actions nous devons suivre de très près l’enseignement de notre Seigneur, même si, et surtout si, cela va contre le courant de l’opinion publique. Nous sommes appelés à être les meilleurs médecins, infirmiers, enseignants, ouvriers… Si nous sommes hommes ou femmes d’affaires, nous devons être les plus honnêtes et cesser de geindre, de nous plaindre, et au contraire travailler plus dur, avec un maximum d’efficacité et de bonne humeur.

 

Nous devons être parmi les meilleurs citoyens, prenant au sérieux le pouvoir que la démocratie et la liberté d’expression nous accordent. N’oublions jamais que notre monde est l’oeuvre et la propriété de Dieu. Dieu nous l’a confié en gérance, afin qu’il soit préservé et légué à nos enfants dans le meilleur des états ! Nous avons tous été créés à l’image de Dieu : il nous est donc commandé de respecter la dignité de chaque individu – de respecter les autres races – de respecter l’autorité (Rm 13),de payer nos taxes (!), de rendre à César ce qui lui est dû…

 

dialogue-2S. : En tant que membre du Parlement Européen pendant 15 ans (et vice-président pendant un temps), comment envisagez-vous l’avenir ?

 

 

 

F.C : Membre de ce Parlement, j’ai été inspiré par l’idéal d’une Union Européenne – une union qui devait mettre fin à notre longue histoire de querelles nationales. J’ai œuvré en vue d’une acceptation mutuelle, d’une possibilité de discussions et de compromis compatibles avec nos institutions démocratiques. Je crois à la Déclaration Européenne des Droits de l’homme : cette déclaration, quoique laïque dans sa présentation, est entièrement chrétienne dans son contenu surtout en ce qui concerne le respect de la dignité humaine.

 

Je crois que les pays riches du monde devraient aider les plus pauvres. Pendant mes deux dernières années au Parlement Européen, j’ai fait tout mon possible pour promouvoir l’idée d’un « Plan Marshall » pour l’Europe de l’Est. Après beaucoup de travail et un premier examen de son utilité, et des possibilités pratiques d’application, la proposition a été acceptée à l’unanimité par le Parlement.

 

Une réduction des dépenses de l’OTAN (150 milliards de Dollars sont consacrés annuellement à la production des armements nécessaires à la « guerre froide » !) aurait rendu possible la mise en œuvre de ce plan. Malheureusement le Conseil des Ministres n’a pas voulu l’adopter. Il a même ignoré la proposition. Et comme nous l’avions clairement prévu, la Russie est maintenant en danger de sombrer dans le chaos : elle n’a même pas les ressources financières qui seraient nécessaires pour la neutralisation des stations nucléaires en péril !

 

Quand, à la fin de la deuxième guerre mondiale, l’Europe se trouvait pratiquement détruite, ce fut la générosité de l’Amérique qui permit aux Européens de se relever, donnant une assise aux nouvelles démocraties de l’Europe Occidentale : notre dette est grande ! Nous souffrons aujourd’hui d’une diminution de l’esprit d’amour chrétien pour nos voisins. Il n’est donc plus possible d’accorder l’aide qui permettrait un développement démocratique en Europe de l’Est. Le développement des ressources naturelles énormes de ces pays est lui-même compromis. Nous aurions pu « ouvrir l’Est » tout comme les Etats-Unis d’Amérique ont « ouvert l’Ouest » au siècle dernier…

 

Nos voisins d’Europe Centrale auront besoin de plus d’aide que nous ne sommes prêts à leur offrir pour qu’ils puissent devenir membres de l’Union Européenne et être dotés de gouvernements stables. Au sein même de l’Union Européenne, l’influence des nationalismes – peu prononcée à l’heure actuelle, mais en croissance graduelle – risque de ralentir les progrès. C’est déjà le cas en Grande-Bretagne.

 

dialogue-2S. : Un dernier mot ?

 

F.C : Face à toutes ces considérations, les chrétiens ne doivent pas sous-estimer le pouvoir de Dieu. Face au matérialisme, au racisme, à la superstition, il faut dans notre société une Eglise forte et vivante. Les signes d’un réveil sont là – en particulier parmi les plus jeunes. Comme nous l’avons évoqué plus haut, l’Eglise de Jésus-Christ a surmonté la philosophie grecque ainsi que le pouvoir de l’Empire Romain et les invasions des tribus païennes, avec pour résultat un si grand nombre de conversions à Jésus-Christ parmi les Goths et les Francs !

 

Souvenons-nous aussi des heures que Jésus a passées seul avec Son Père dans la prière. Nous avons en Lui l’exemple parfait : suivons-le ! L’avenir de l’Europe dépend de LUI, maintenant comme jadis. Il est lié aussi à notre collaboration avec LUI, à notre foi, à nos actions. Que Dieu nous fortifie pour cette tâche !

 

dialogue-2S. : Merci beaucoup Sir Fred !

 

 

Propos de Sir Fred CATHERWOOD recueillis par Esther BUCKENHAM.