Archéologie

 

La période patriarcale

 

 

par Pierre WHEELER

 

 

 

Dans notre dernier article sur l’archéologie biblique (Servir, n° 3, mai 1988) nous avons considéré les onze premiers chapitres de la Bible. Nous désirons maintenant relever certains faits concernant la période patriarcale, celle d’Abraham, d’Isaac, de Jacob et des autres patriarches.

 

 

Des traces des patriarches ?

 

De leur pays d’adoption, Canaan, appelé ensuite Palestine et maintenant Israël, il ne nous vient que peu de documents archéologiques. Des objets – lampes à huile, vases, pots, armes, ivoires et quelques stèles, oui ! – mais peu d’écrits, sauf des sceaux, certains scarabées ainsi qu’un nombre limité d’ostraca.1

 

Ce fait est dû au climat relativement humide du pays. Papyrus et parchemins ne peuvent résister. A ce propos, les rouleaux de la mer Morte sont une grande exception. Leur conservation dépendait du climat local, exceptionnellement sec des bords de la mer Morte.

 

puitsLes archéologues ne s’attendent donc pas à trouver des traces directes des patriarches. Certes un puits ou deux près de Beer-Scheba, ou encore celui dit « de Jacoc », à Sychar, près de Sichem, pourraient avoir été creusés par ces hommes, et les ruines des villes2 , près desquelles ils habitaient, subsistent encore, mais toute piste directe de leur passage en Canaan a disparu. Cela se comprend : ils étaient nomades et ne construisaient rien, sauf ces autels.3

 

C’est pourquoi, afin d’avoir quelques échos archéologiques de leur genre de vie, nous devons aller vers leur pays d’origine, la Mésopotamie.

 

 

 

 

 

 

Les noms des patriarches

 

Feu André Parrot, conservateur au Louvre, dans son cahier d’archéologie sur les vestiges de Mari4 , confirme en quelque sorte l’origine mésopotamienne de certains patriarches, en nous apprenant que des noms semblables aux leurs étaient assez répandus dans la région de Mari.5

 

Dans la bibliothèque royale de cette ville, arrosée de l’Euphrate et florissante au début du deuxième millénaire avant Jésus-Christ, donc de l’époque patriarcale, des tablettes en cunéiforme ont parlé d’individus portant des noms, tels que A-ba-ra-ma (Abraham), Sharratu (Sara), Laba-an (Laban), et peut-être Bené-iamina (Benjamites), tandis que d’autres noms patriarcaux sont d’origine assyrienne, Nakhur (Nachor), Malkatu (Milkah).

 

Evidemment il ne s’agit pas des personnages bibliques, mais cette information tend aussitôt à placer les patriarches dans un contexte historique.

 

Les tablettes de Mari nous apprennent aussi que beaucoup de clans et de peuplades étaient alors en migration, voyageant souvent le long de l’Euphrate, tout comme la Bible le dit concernant Abraham et Térah son père. Peut-être que ce clan était considéré comme l’une des tribus des Habiru.6

 

Les chapitres de la Bible qui rapportent ces faits nous aident à comprendre que ces récits ne sont donc pas des légendes comme certains exégètes libéraux le proposent. Leur vie s’inscrit dans un cadre vécu, bien connu maintenant, grâce aux fouilles archéologiques.

 

 

Le droit successoral

 

Un troisième domaine nous fait aussi constater la réalité physique des patriarches. Il s’agit de tout ce qui se rapporte à leurs héritiers. Nous en avons déjà parlé un peu dans notre premier article (Servir, janvier 1988) où nous avons évoqué l’influence du code d’Hammourabi sur Abraham et Sara vis-à-vis de leur postérité.

 

Disons d’emblée que les patriarches avaient de réels problèmes à ce sujet d’héritier. La difficulté fut d’autant plus importante à cause des promesses données par Dieu dont l’accomplissement dépendait d’une postérité, qui était, d’ailleurs, plus d’une fois, temporairement… inexistante !

 

Nous pensons qu’au point de vue humain, la raison était due à leur proche parenté (Sara, demi-soeur d’Abraham, Isaac et Rébecca cousins, Jacob et Léa petits cousins. Peut-être même Esaü était-il un peu anormal physiquement, puisqu’à sa naissance il était tout velu « comme un manteau de poil »). Toujours est-il qu’Esaü et Jacob furent jumeaux et ce fait compliquait encore la question d’héritier légal.

 

Bien sûr Esaü fut l’aîné, car « ensuite sortit son frère », nous dit le texte biblique, mais, en s’agrippant au talon d’Esaü, ce « talonneur » (sens du nom « Jacob ») talonnait son frère surtout dans deux domaines : ceux du droit d’aînesse et de la bénédiction paternelle d’Isaac. Jacob voulait à tout prix les deux ! Rébecca avait-elle raconté à son « petit préféré » la prophétie prononcée pendant sa grossesse que « le plus grand serait assujetti au plus petit » ? C’est bien probable.

 

Ces deux aspects de la vie des patriarches, c’est-à-dire le droit d’aînesse et la bénédiction paternelle, sont attestés par des documents mésopotamiens. De nouveau c’est André Parrot qui nous fait part d’un certain Tarmiya qui invoque la bénédiction reçue de son père mourant, lui donnant le droit d’épouser une esclave Zululi-Ishtar, ce que ses deux frères contestaient. Cette bénédiction patriarcale était revêtue d’une autorité suprême. C’est l’une des 20 000 tablettes de Nuzu, en Iran, découvertes par Edward Chiesa dans les années 1920, qui nous en parle7 . Et nos patriarches bibliques savaient en plus que leurs bénédictions portaient un sens très clairement prophétique.

 

Peut-être que la question où l’archéologie nous éclaire plus pertinemment encore se rapporte au marché conclu par Jacob avec Esaü. L’écrivain inspiré termine cette anecdote (Gen. 25.29-34) par le court commentaire : « C’est ainsi qu’Esaü méprisa le droit d’aînesse ». L’auteur de la lettre aux Hébreux (12.15-17) confirme la gravité de cet acte d’Esaü en appelant cet homme « impudique » et « profane » et dit que plus tard, à cause de cette « vente », son repentir, malgré ses pleurs, ne put avoir aucun effet.

 

Un marché semblable fut une fois conclu entre un certain Tupki-Tilla et un dénommé Kurpazah. Mais le prix donné pour le droit d’aînesse était de trois moutons8 , ce qui valait certainement deux ou trois mois de salaires. Trois moutons !

 

soupeD’accord, il s’agit d’un prix valable, mais… un bol de soupe ? Quel mépris ! Quel prix indigne ! On ne cède pas un tel droit divin pour une « somme » aussi dérisoire. C’était un péché impardonnable de la part d’Esaü qui en a payé les conséquences sa vie durant.

 

Il y a ici une leçon pour nous, que soulignent les données archéologiques. Nos pères en la foi nous ont légué un riche héritage spirituel, qu’ils avaient gagné parfois au prix de leur sang : la liberté de pouvoir adorer Dieu librement, l’Ecriture Sainte dans notre propre langue, un enseignement permettant la création d’assemblées libres de dogmes et de liturgies stéréotypées… Le délaisserions-nous pour un plat de lentilles ?

 

« Retiens ce que tu as, dit l’Esprit à l’Eglise, afin que personne ne prenne ta couronne »

 

Esaü a perdu la sienne. Et nous ?

 

P.W.


 

NOTES

 

1. Les ostraca sont des tessons dont on s’est servi pour écrire. C’était de loin le « papier à écrire » le moins cher dans l’Antiquité. L’humidité de la terre dans laquelle ils étaient enfouis souvent effaçait l’écriture, mais quelques ostraca toujours intacts ont été retrouvés.

 

2. Nous pensons à Sichem, Béthel, (Jéru)Salem, Hébron, Beér-Scheba. Pour certaines de ces villes, il n’y a que des ruines qui restent ; pour d’autres, les villes modernes recouvrent les villes connues des patriarches.

 

3. A Hébron il pourrait éventuellement se trouver quelques vestiges « en dur ». Un grand mausolée (59 m x 34 m), construit très probablement par Hérode le Grand, abrite six sarcophages (ceux d’Abraham, de Sara, d’Isaac, de Rébecca, de Jacob et de Léa). Peut-être qu’en-dessous de ce mausolée se trouve la caverne de Macpéla, achetée par Abraham pour enterrer Sara (Gen. 22). Seulement, toute fouille est interdite car il s’agit d’un lieu saint. A. Parrot, Abraham et son temps, Delachaux et Niestlé, 1962, chap. IX.

 

4. A. Parrot, Découvertes des mondes ensevelis, Delachaux et Niestlé, 1955.

 

5. Mari se trouvait sur l’Euphrate, en notre Iraq d’aujourd’hui.  Elle a été fouillée de  1933 à  1960, principalement par A. Parrot, qui a mis à jour une ville-état extrêmement riche de vestiges de l’époque patriarcale, ce qui nous aide à mieux comprendre la vie de ces hommes.

 

6. Autrefois certains archéologues pensaient que les Habiru, dont parlent quelque 200 textes archéologiques, étaient les Hébreux. Aujourd’hui on pense que les Hébreux auraient pu faire partie des Habiru, mais que ceux-ci n’étaient pas tant une seule ethnie qu’un nom générique donné à des peuples sémitiques, nomades et guerriers.

 

7. A. Parrot, Abraham et son temps, Delachaux et Niestlé, 1962, p. 94.

 

8. Ibid.,p. 93.