Faut-il lutter contre la mondialisation ?

 

 

par François-Jean MARTIN


 

 

 

 

 

 

 

L’existence de nombreuses langues est une réalité incontournable

 

II y a environ trois mille langues parlées et cent qui s’écrivent1 et, même s’il en disparaît régulièrement un certain nombre, cela reste une réalité incontournable qui paraît une entrave à une réelle mondialisation qui réclamerait une langue unique.

 

Si les différences physiques entre les groupes humains existent, elles n’empêchent ni le don de sang ni le don d’organe entre eux, alors que les différences de langues coupent toute communication. Nous nous devons de reconnaître que cela joue comme un frein pour l’expansion de l’Evangile dans le monde, pour la croissance de l’Eglise et pour les échanges.

Le débat est particulièrement vif dans notre monde vivant le phénomène de mondialisation, entre l’unité et la diversité, entre partisans du communautarisme et défenseurs de l’universalisme. On retrouve des aspects de cette réalité entre congrégationalisme et synodalisme et même entre Eglises multiraciales et Eglises ethniques.

 

Ces polémiques touchent aussi la question de la langue primitive et de sa recherche, comme une recherche du paradis perdu et le mythe d’un langage originel parfait correspondant exactement à la réalité et dans lequel il aurait été impossible de mentir.2

 

Des approches très différentes entre tenants d’une conception universaliste et ceux d’une conception particulariste des langues entraînent des positionnements forts en matière de traduction et pour nous de traduction de la Bible. En effet selon la vision universaliste « les différences entre les langues n’affecteraient que la surface laissant présent en profondeur l’essentiel commun à tous » et donc accessible à tous, alors que « dans la vision particulariste, les disparités n’affecteraient pas seulement la surface mais toucheraient au cœur même de la langue, de sorte que toute traduction ne serait qu’une aventure hasardeuse ».3

 

 

Les textes bibliques : Genèse 11

 

Comme souvent dans ces grands débats, les chrétiens vont chercher dans les textes bibliques une confirmation de leur positionnement, mettant ainsi la charrue avant les bœufs et oubliant de laisser parler le texte. Et le texte de la tour de Babel est un des textes-clés de ce thème. Deux lectures opposées suivant les positions de départ sont ainsi faites. Soit l’unicité est un bien et la diversité apparaît comme punition, soit l’unicité est un mal et la diversité un remède de Dieu pour rattraper la faute de l’homme. Je voudrais vous proposer une lecture autre en revenant au texte et en le laissant parler. 4

 

Le travail sur le vocabulaire est très fort et ne laisse planer aucun doute. L’entreprise des humains est un acte de désobéissance manifeste et délibérée, une forme de sacrilège. Monsieur Emile Nicole rappelle à juste titre le parallélisme entre ce texte et celui de Genèse 3 qui marque la fin du récit de la faute en Eden. Et si nous n’ignorons pas les besoins de construction et de structure qui encouragent ce type de similitude dans de tels textes, nous ne retrouvons pas toutes celles-ci dans d’autres parties de la Genèse où il est aussi question de désobéissance.

 

Ainsi, une même structure en trois temps introduits par des termes identiques – le constat de la situation causée par la faute (voilà) ; la prévision des conséquences (maintenant) ; l’intervention de Dieu – et le même pluriel de délibération dans la divinité (3.22 et 11.7) soulignent que Babel est bien une nouvelle tentative de l’être humain de se faire l’égal de Dieu.

 

S’il est évident que le texte montre que l’intervention de Dieu et ce que certains conçoivent comme sanction aboutit à la diversité des langues qui rend leur entreprise impossible, je ne suis pas convaincu pour autant que cela souligne que Dieu est contre l’uniformité et pour la diversité. Ce qui est condamné n’est pas la langue unique mais l’usage qui en est fait. Le texte est explicite « Ainsi ils sont un seul peuple, ils parlent tous la même langue et ce n’est là que le commencement de leurs œuvres ! »(11.6). Un peu comme si Dieu disait voilà les atouts, les dons qu’ils ont en main et voilà ce qu’ils en font et ce n’est là que le début.

 

Dans ce sens, la réaction de Dieu paraît évidente et nécessaire, la multiplicité des langues arrête la communication et donc l’œuvre commune. La diversité apparaît comme un remède, un outil pour empêcher les conséquences néfastes du choix humain et permettre un avenir qui rend à l’homme et à l’individu son libre arbitre personnel et sa dignité.

 

Ainsi une telle lecture ne condamne pas la langue unique, ni ne la rend nécessaire.

 

 

Les textes bibliques du Nouveau Testament

 

Les textes du Nouveau Testament en particulier le texte parallèle de la Pentecôte sont à prendre en considération. Ainsi si la Pentecôte est la réponse de Dieu à Babel, elle ne nous ramène pas pour autant à un avant Babel, à une situation de langue unique, mais nous offre un dépassement de la diversité des langues (Ac 2.7-8). Ainsi, soit parce que Dieu accepte de travailler dans la réalité humaine, soit parce qu’il ne souhaite pas revenir dessus, Pentecôte souligne que l’unité est possible dans la diversité.

 

Mais là encore l’Esprit Saint travaillant dans la réalité humaine ne me paraît pas condamner une langue unique au profit de leur diversité, il me semble que le sujet n’est pas là. Il faut signaler d’ailleurs que cette diversité entraîne très vite de sérieuses difficultés entre les cultures grecques et araméennes (Ac 6.1ss). Monsieur Emile Nicole rappelle que « même lorsque ce n’est pas la tour de Babel que l’on construit, mais le temple spirituel, l’édifice du Dieu vivant, la division de Babel reste un obstacle douloureux, une déchirure profonde. N’oublions pas que Pentecôte est un miracle… »5

 

On peut tenir la même thèse pour le texte de l’Apocalypse (7.9). Ainsi il me semble que dans cette vision de la phase finale de l’histoire de l’humanité, s’il n’y a pas de retour vers une langue unique, le rassemblement est bien constitué d’humains « de toute nation, de toute tribu, de tout peuple et de toute langue ». Reste là encore un miracle à venir, réalisé par le sacrifice du Christ. (Ap 5.9)

 

Emile NICOLE6 rappelle que cette formule est empruntée aux proclamations des administrations babyloniennes et perses, qu’on les retrouve dans le livre du prophète Daniel et que si Israël sous Cyrus en a bénéficié, elle n’en provient pas moins d’un des empires bestiaux qui prétendent gouverner le monde tout en respectant la diversité.

 

La formule dans l’Apocalypse utilisée sept fois7 n’est pas réservée qu’aux rachetés ou à la diffusion de la parole divine mais aussi aux pouvoirs mauvais.

 

Pour terminer, il nous faut remarquer que si le Saint-Esprit a veillé à ce que chacun entende parler dans sa langue maternelle des merveilles de Dieu, il a fait écrire les auteurs du Nouveau Testament dans une langue commune qui n’était pas toujours leur langue maternelle permettant ainsi au maximum d’avoir accès au message. Cela souligne le danger que l’on court à embrigader l’Evangile pour la cause de l’une ou de l’autre. C’est l’intérêt de l’Evangile qui prime.

 

 

La mondialisation : oui ou non

 

Dans l’histoire humaine, des chrétiens au nom de leur désir honorable de fidélité à Dieu se sont opposés à la vaccination, à l’existence des dinosaures dans le passé, à l’électricité, à la télévision, à l’énergie nucléaire, à internet…

 

Bien sûr plusieurs de ces choses peuvent avoir une face négative, un emploi néfaste voire mortifère, mais ils ont aussi des aspects positifs dont l’emploi est source de vie, de guérison, de bien-être.

 

Ainsi tout comme pour beaucoup d’autres choses, c’est ce qui sort du cœur de l’homme, ses motivations, ses objectifs qui sont en cause. Nous savons que le cœur de l’homme est tortueux avant tout mais que Dieu n’a pas abandonné sa créature pour autant.

 

La mondialisation est porteuse de deux aspects opposés et si on voit bien qu’elle se construit souvent aux dépens de l’être humain et non pour son bien, qu’elle est conduite par Mamon (le dieu-argent) et non par Dieu, on en aperçoit aussi des progrès et des biens possibles. Mais la leçon des textes bibliques porte sur le danger d’absolutiser comme bien ou mal l’unité ou la diversité en dehors de Dieu. Je rends à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu à savoir l’être humain. L’apôtre Paul évoquant son glorieux héritage culturel finit par dire qu’il « regarde toutes ces choses comme de la boue afin de gagner Christ » (Ph3.8).

 

Aussi dans la réalité que constitue la mondialisation, œuvre humaine, veillons à servir Dieu d’abord, et à ne pas nous égarer dans de faux combats. Nous devrons nous opposer à certains objectifs et conséquences de la mondialisation et en utiliser librement et soutenir d’autres.

 

« Diversité et uniformité se combattent mutuellement tout au long de l’histoire des hommes, et ne cesseront de le faire jusqu’à l’avènement du Seigneur, suivant les périls du jour l’une apparaissant comme une sauvegarde contre l’autre. Le chrétien instruit par la parole de Dieu, évitera de tomber dans le piège de l’allégeance à l’une ou à l’autre, du combat acharné contre l’une ou l’autre, vue comme l’incarnation du mal.

 

Se considérant lié par Jésus seul et sa parole, il pourra se mouvoir dans ce monde où l’uniformité recèle toujours une menace d’oppression et la diversité une rupture et une blessure. Il goûtera le prix de la liberté acquise par le Christ à l’égard de toutes ces chaînes, témoignant de l’œuvre de salut accomplie par lui, portant son regard et son attente vers le grand rassemblement des croyants de toute tribu, de tout peuple et de toute langue devant le trône de Dieu et de l’Agneau. ».8

 

F-J.M

 


 

NOTES

 

 

 

 

1. Régis DEBRAY, Cours de médiologie générale, Paris,  Gallimard, 1991, p.115

 

2. Voir article de Emile NICOLE, « Babel et la culture », in Théologie évangélique Vol 4 n°2, 2005, p13-22. Il faut signaler que dans le texte de la Genèse, il n’y a pas d’arguments forts pour soutenir cette thèse que la langue primitive était si parfaite qu’elle empêchait le mensonge. La langue à l’image de l’homme qu’elle caractérise en grande partie est un outil de ce dernier qui a un libre choix au commencement et qui est marqué par la chute ensuite.

 

3. Ibid. p.14

 

4. C’est ce que nous avons fait dans l’article intitulé « Une étude du texte de la tour de Babel en Genèse 11 » paru dans « Servir » n° 4-2007, p. 27-30.

 

5. Ibid. p.21

 

6. Iibid. p.22

 

7.  Apo 5.9 ; 7.9 ; 10.11 ; 11.9 ; 13.7 ; 14.6 ; 17.15

 

8. Je me suis permis d’emprunter sa conclusion à M. Emile Nicole (ibid. p.22), qu’il en soit ici remercié. Il n’est bien sûr pas responsable de mes propos ni même de l’utilisation que j’ai pu faire de son texte.