Prophétie et mondialisation dans l’Apocalypse

 

 

 par Claude BAECHER1

 

A près un temps de familiarisation avec ce type de littérature, le lecteur de l’Apocalypse selon Jean est frappé par le nombre de références à l’économie. On y découvre la « mondialisation », la domination sans partage d’une ville, « Babylone la Grande » (14.8), mais également sa fin annoncée et l’émergence ultime d’une société universelle qui semble être la réponse divine, la ville de « l’Agneau », « la Nouvelle Jérusalem » (21).

 

Notons d’abord que ce n’est pas la mondialisation en elle-même qui est fausse, car les deux systèmes antagonistes cités ont une prétention hégémonique. Le visionnaire entrevoyait le temps d’une rédemption cosmique où « toutes les nations viendront et se prosterneront devant toi (Seigneur), parce que ta justice s’est manifestée » (15.4 voir aussi 14.6). L’ancien système monstrueux sur le point de disparaître fonctionne grâce à un savant mélange entre économie, contrôle totalitaire asservissant et religion. Des commerçants et des rois vassaux de l’époque marchent dans les combines de « Babylone » et en profitent : « … parce que toutes les nations ont bu du vin de la fureur de sa prostitution ; parce que les rois de la terre se sont prostitués avec elle, et que les marchands de la terre se sont enrichis par la puissance de son luxe » (cf. Ap 18.3, aussi v. 23).

 

 

 

Cette vision change : parlant de l’Agneau (Jésus) Jean dira : « Les nations marcheront à sa lumière, et les rois de la terre apporteront leur gloire » dans la Jérusalem céleste (Ap 21.24). Ce sera là sur le plan économique l’indice d’une rédemption à l’échelle du monde entier. Entre temps il fallait que les chrétiens restent fidèles à Jésus et à ses enseignements, et pratiquent une économie fraternelle.2

 

La « prostitution » dénoncée est une image des relations interdites avec des divinités païennes qui avaient un lien avec le système commercial et le luxe de certains. Ce même système faisait mettre à mort « les prophètes et les saints » (18.24), qui, témoignant de Jésus, refusaient de cautionner ce fonctionnement. Certains témoins de ce temps avaient payé le prix fort dans la province romaine d’Asie pour défendre ce point de vue, « témoigner » (Ap 2.13 ; 6.9-11 et 20.4). Voyez la situation économique inconfortable et imaginez la tentation de compromission des chrétiens ou des juifs ! « Car tous ceux qui refusaient la légitimité de ce pouvoir se retrouvaient soudainement sans pouvoir politique, social ou économique ».3

 

 

Au premier siècle, les citoyens de l’Empire romain profitaient des bienfaits du système : sa technologie avancée, son ordre, sa super-puissance, sa prospérité et son unité. D’autres, non citoyens, le subissaient dans la douleur. La gratitude des citoyens s’exprimait généralement par un patriotisme exacerbé qui se matérialisait par le culte rendu à l’empereur romain. Des serments d’allégeance, exigés pour l’exercice du pouvoir politique, militaire et économique, les liaient de gré ou de force, du plus faible au plus puissant.

 

 

De nos jours, on a du mal à imaginer le pouvoir énorme des prêtres du culte à l’empereur ; ils surveillaient la cohésion et la sécurité du système. Personne ne pouvait « acheter ou vendre » (13.17) sans avoir sur son front cette marque spécifique, celle du « monstre » comme l’appelle Jean dans ses révélations. Ce premier monstre mentionné est l’empereur romain divinisé. La seconde bête qui donnait vie à la première était un système religieux qui avait en apparence les traits de l’Agneau.

 

Apocalypse 18 fait référence à Tyr, à l’Egypte et enfin à Babylone qui fondaient leur assurance sur leurs œuvres  (Es 47.8) et ne se sont pas souvenus de leur fin, c’est-à-dire au fait de devoir rendre des comptes sur l’exercice de l’autorité (Es 47.7). Lorsqu’un système, une institution ou une nation pense qu’elle n’a pas à rendre de comptes, elle devient norme à elle-même, s’accommode d’une religion ou d’une philosophie qui justifiera ses agissements iniques profitant à des intérêts particuliers, met les récalcitrants au ban et devient ainsi « monstre » dans le plan divin.

 

Quiconque interroge l’histoire se rend compte que la situation décrite et les réponses données sont récurrentes. Le message et l’appel à la fidélité sont restés d’actualité en bien des siècles et en bien des lieux. Bien sûr, la manière de comprendre cet enseignement est différente, selon qu’on le lit de la perspective de quelqu’un profitant du système de « Babylone », ou d’une personne qui vit dans l’un des pays vassaux exploités ou encore d’une personne qui refuse de cautionner son fonctionnement inique… La chute du système sera pour l’un une très mauvaise nouvelle et pour l’autre une très bonne.

 

Les nations d’aujourd’hui se battent toutes d’abord pour leurs propres intérêts et leur propre niveau de vie, et selon mon observation sans exceptions. Les nations modernes avancent des idéologies comme valeurs suprêmes, communisme, libéralisme économique, liberté-égalité-fraternité, etc. et justifient par elles leurs démarches hégémoniques, s’appuyant sur des moyens militaires, économiques et politiques.

 

Mais au fond, les richesses, qu’elles soient offshore ou non, convergent toutes vers les versions actuelles de « Rome ». Il vaut la peine d’être fidèle au projet d’économie de communion4 proposé par le Christ, non seulement parce que les empires ont une fin soudaine prophétisée, mais encore car c’est juste et bon pour les humains, et la volonté divine que nous la pratiquions. Jean nous livre sa vision d’une « Nouvelle Jérusalem » descendant du ciel d’auprès de Dieu (Ap 21.2 et 10), tout autre chose qu’un « ciel » de pure abstraction. Elle contient un arbre de vie dont les feuilles apportent « la guérison des nations » (22.2).

 

À l’heure de la mondialisation, nous tous sommes partie prenante d’un monde de compétition et de conquête. Babylone bouge encore. L’appel de sortir du milieu d’elle (Ap 18,4) signifie un recentrage sur le Christ et la pratique d’une économie fraternelle qu’il préconise à l’échelle mondiale. Des choix réfléchis et concrets, individuels et communautaires, rendront visibles déjà ici et là quelque chose de la « Nouvelle Jérusalem ». Cette économie l’emportera. Nous devons être généreux peu-justice. « Aurions-nous si peur que Dieu ne veille pas sur nous si nous renonçons à des biens injustes ? » demandait à juste titre Markus MEURY5, l’un des fondateurs de Christnet, en 2005.

 

C.B.

 


NOTES
 

 

1. Claude BAECHER est enseignant de confession évangélique mennonite, ancien d’une Eglise à Saint-Louis dans le Haut-Rhin, Directeur du département francophone du CeFoR Bienenberg (en Suisse près de Baie), institut de formation pour adultes en vue du service. Il est l’auteur de « Grâce et économie. Plaidoyer biblique pour une attitude généreuse », Editions Mennonites, Montbéliard, série Dossier de Christ Seul 1/2006, 75 pages.

 

2. Voir note n° 4 : économie de communion

 

3. Nelson KRAYBILL a livré une analyse du contexte économique et commercial de l’Apocalypse, tel qu’il apparaît dans 13, 16-17 et 18, 11-18. Voir son livre Impérial Cult and Commerce in John s Apocalypse, Journal for the Study of the New Testament Supplement Séries, N132 (Sheffield, Angleterre, Sheffield Académie Press, 1996, pp. 34 et 38.Copyright by the Christian Century Foundation; used by pe

 

4. Economie de communion : orientation d’entreprises ou de groupes humains qui cherchent à harmoniser le mieux possible efficacité et solidarité. Fruit d’une culture du don plutôt que de l’avoir, La personne humaine reste au centre de tout, qu’il s’agisse des collaborateurs, des clients ou des fournisseurs-producteurs.

 

5. Cité d’après des notes personnelles. Ses articles sont en général sur le site www.christnet.ch