La violence sous l’éclairage biblique

 

 bible-bougie

par Reynald Kozycki

 

 

La violence « est une caractéristique constante du développement humain » écrit un spécialiste1. Dans ses expressions les plus diaboliques, on pense au terrorisme, aux guerres, aux génocides… (le 20e siècle a été décrit comme « l’ère de l’épouvante 2»). Dans ses expressions plus courantes, nous la côtoyons au travers des images répétitives des journaux télévisés, de la délinquance de nos quartiers, ou peut-être des déchirements familiaux de notre entourage3

 

En approchant le projecteur dans notre direction – bien que les pailles des autres se voient mieux que nos propres poutres – la violence et l’agressivité sont aussi en nous-mêmes. Dans certaines situations de stress, d’irritation, une force incontrôlée peut nous saisir. Une statistique dit que 70 à 90 % des hommes et 40 à 60 % des femmes avouent avoir éprouvé l’envie de tuer quelqu’un, un jour ou l’autre4.

 

 

L’homme bon ?

 

Si certains, comme Jean-Jacques Rousseau, ont osé soutenir que l’homme est bon, rationnel et volontaire, la majorité des penseurs est plus pessimiste. Freud le décrit comme possédant une bonne somme d’agressivité. Thomas Hobbes écrivait que, dans son état de nature, l’homme est un être violent, égoïste et calculateur5.

 

Malgré les nombreuses théories échafaudées sur la violence, elle garde un côté mystérieux : « Tant que nous ne saurons pas ce qu’elle est, au plus intime de nous-mêmes, nous ne saurons la soigner » précisait un article du Monde des débats6.

 

 

Dans la Bible

 

Ce livre est une prodigieuse méditation sur la condition humaine. Par un éclairage divin, elle en dévoile quelques aspects cachés. En simplifiant beaucoup, la violence apparaît comme une manifestation – parmi d’autres – d’un profond dysfonctionnement appelé le péché. Jésus en souligne la dimension intérieure : « Car c’est du dedans, c’est du coeur des hommes que sortent les mauvaises pensées, prostitutions, vols, meurtres, adultères, cupidité, méchanceté…7 ».

 

Dans l’épître aux Romains, Paul démontre l’universalité du péché. Il le fait remonter à la désobéissance d’Adam : « Par un seul homme, le péché est entré dans le monde et par le péché, la mort8 ». Ce péché s’est amplifié : « Connaissant Dieu, ils ne lui ont rendu ni la gloire ni l’action de grâce qui reviennent à Dieu ; au contraire, ils se sont fourvoyés dans leurs vains raisonnements et leur coeur insensé est devenu la proie des ténèbres » (Rm 1.21-22).

 

La « nature » humaine est désormais profondément altérée9. Sa préoccupation se caractérise par une rébellion et une agressivité sournoises et irrécupérables : « La chair tend à la mort…, car le mouvement de la chair est révolte contre Dieu, elle ne se soumet pas à la loi de Dieu, elle ne le peut même pas.10 ». En se coupant de celui qui est la vie, la mort spirituelle a gagné l’humanité pour la placer sous l’influence d’une nature corrompue et des forces de ténèbres11.

 

La réponse à ce grave problème est dans le plan divin de salut. Mais pour diverses raisons, le monde ne peut le saisir. Le Seigneur, malgré tout, n’abandonne pas ceux qu’il a créés. Avant de développer quelques aspects de ce salut, arrêtons-nous brièvement sur des soins palliatifs à la violence, accessibles à tous.

 

 

Gérer la violence sans Dieu

 

Par une « grâce commune ». Dieu accorde une certaine sagesse à la société afin que le mal n’atteigne pas trop vite des proportions ingérables comme ce sera le cas dans les temps de la fin12. Yves Michaud écrit : « Tout le processus de civilisation consiste à adoucir sa violence par la politesse ou l’usage des calmants, à la rediriger avec le sport et les jeux du stade, à la réprimer par la prison ou à l’utiliser dans la guerre. Le contrôle social doit s’imposer à la violence. Mais la tâche est infinie13 ». Pour adoucir la violence, il faut aussi comprendre ce qui peut l’amplifier comme :

 

1. Les problèmes d’éducation : « Les délinquants chroniques sont des individus qui n’ont pas appris le contrôle de soi, la réciprocité et la capacité d’entretenir avec autrui des relations pacifiques souvent du fait de l’incompétence parentale » écrit un spécialiste en criminologie14. Cette absence du contrôle de soi développe souvent une fragilité face à certaines dépendances comme l’alcool ou la drogue. Une spirale maléfique entraîne alors ces personnes vers le bas. Dans ce sens, le problème croissant des décompositions familiales laisse présager de mauvais jours.

 

2. L’injustice dans la société, et d’abord dans le sens où une catégorie de personnes peut subir des injustices. N. Sarkozy écrivait : « Je crois au plus profond de moi-même que l’humiliation conduit à toutes les violences et à toutes les incompréhensions15 ». Par le mot justice, on entend aussi un juste châtiment. La répréhension juste des fautes, appliquée à tous sans favoritisme est indispensable. Elle est, en théorie, à la base des « sociétés de droit »

 

3. Le fanatisme religieux peut aussi être une source d’amplification de la violence16. Il est incontestable que la religion a souvent été utilisée dans ce but, mais pas plus que d’autres systèmes idéologiques « non-religieux » (on pense aux massacres républicains qui ont suivi la Révolution française, sans parler du communisme ou du nazisme).

 

Au rayon de la « grâce commune ». mentionnons les témoignages parfois étonnants de non-croyants qui apaisent la violence. La parabole du bon samaritain nous montre aussi, qu’en dehors de toute appartenance religieuse, il existe une compassion qui devrait être le lot de tous les humains créés en image et en ressemblance de Dieu17.

 

 

Réponses bibliques

 

Les trois points précédents ne sont pas inconnus de la Bible. Même si ce ne sont que des soins palliatifs, nous ne devons pas les négliger.

 

1. L’Ecriture met un accent particulier sur la famille et une éducation ferme, respectueuse et aimante18.

 

2. Les proverbes bibliques martèlent que la pratique de la justice est une bénédiction tant pour l’individu que pour une nation19.

 

3. La Bible ne cache pas l’usage destructeur qui peut être fait de la « religion » : les ennemis acharnés de Jésus étaient principalement les chefs religieux.

 

Un résumé biblique des causes de l’amplification de la violence serait : « Ne vous y trompez pas : on ne se moque pas de Dieu. Ce qu’un homme aura semé, il le moissonnera aussi20 ».

 

 

Alors, y a-t-il un remède plus radical à la violence ?

 

Oui, par le salut ou la rédemption. La première facette en est d’ordre juridique. La Bonne Nouvelle (ou Evangile) nous enseigne que Dieu a payé un prix infini pour que la dette de notre violence et de notre péché soit réglée. C’est par exemple le thème de la justification en Ro 3-4. La deuxième facette du salut annonce une transformation de la nature humaine (Ro 5-8…).

 

Ezéchiel prédisait depuis des siècles ces vérités : « Je vous purifierai de toutes vos souillures et de toutes vos idoles. Je vous donnerai un coeur nouveau… et je mettrai mon Esprit en vous…21 » . Mais il faut ajouter que cette transformation ne se manifeste pas instantanément, de manière magique. Il y a un long processus de croissance spirituelle afin de nous permettre d’être conduit, non plus par notre nature ancienne, mais la puissance de l’Esprit de Dieu.

 

colombeA l’Eglise de Galatie qui manifestait une grande immaturité dans ses relations, Paul doit rappeler que la violence peut encore se manifester de manière honteuse dans les Eglises : « Mais si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde que vous ne soyez détruits les uns par les autres » (5.15). Il met en opposition ensuite le désordre résultant d’une vie conduite par la «chair », avec une vie conduite par l’Esprit de Dieu : « Les oeuvres de la chair sont évidentes, c’est-à-dire… hostilités, discorde, jalousie, fureurs, rivalités… , mais le fruit de l’Esprit est : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur, maîtrise de soi » (Gal 5.19-22)

 

La réponse à la violence est avant tout « individuelle ». Plus nous vivrons une pleine dimension de la vie du Christ en nous par son Esprit, plus notre caractère sera transformé. Nous pourrons ainsi être ces « ouvriers de paix » (Mt 5.9) en nous associant d’une part à l’oeuvre de la grâce commune qui cherche à réduire la violence dans la société, mais aussi en étant des communicateurs de la paix de Dieu à travers l’Evangile.

 

R.K.

 


 

NOTES

 

 

 

1. Yves Michaud. « Violence », Encyclopédie Universalis. Dans cet article, nous donnerons au mot violence le sens de déchaînement d’agressivité tourné contre les autres (ou parfois contre soi). Nous n’aborderons pas la violence « mesurée » de certains cas de légitime défense ni celle vécue par ceux qui passent par des catastrophes naturelles, maladies ou des accidents. Sur ce dernier point, nous renvoyons par exemple au livre de John Blanchard, Où est Dieu quand rien ne va plus ?, Europresse. 2005 ; ou à une réflexion personnelle sur les catastrophes http://epepalaiseau.free.fr/etudes/catastrophes.html

 

2. En particulier à cause des cauchemars des arméniens en 1915. des paysans ukrainiens en 1933. d’Auschwitz en 41-45. des Cambodgiens des années 70. du Rwanda en 94. Voir par exemple Bernard Bruneteau, « Génocides, de l’Arménie au Rwanda », Hors Série de Sciences Humaines, n°47, janvier 2005, p. 68. abrégé désormais par HSSH.

 

3. Voir par exemple le dossier des Assises 2004 de la Fédération Protestante www.protestants.org/textes/violence/introduction.htm ou la brochure de l’Alliance biblique française, Comment la Bible interpelle notre violence, déc. 2004.

 

4. « Trois regards sur la violence », HSSH, p. 20.

 

5. Hobbes, Léviathan, 1651 ; Freud. Malaise dans la civilisation, cité dans HSSH, p. 20.

 

6. Interviews de L. Croc. G. Dumont. A.-J. Fulgeras, R. Girard. M. Jullian, M. Moisnard. J.-M. Aighourlian, Juillet-Août 1994, n°21. p. 38.

 

7. Mc 7.21-22. Le Nouveau Testament va sur ce point, plus loin que l’Ancien. Par exemple, à propos du meurtre ou de l’adultère qui étaient condamnés dans la loi de Moïse. Jésus relève que l’intention cachée – ou manifestée simplement en paroles – est comparable à l’acte lui-même (Mt 5.21-28).

 

8. Rm 5.12. On peut déduire de Gen 2-3 qu’en cédant à la suggestion du Serpent d’être comme des dieux connaissant bien-et-mal. l’homme s’est pris lui-même pour mesure, refusant la dépendance du Créateur. Voir par exemple S. Lyonnet. « Péché ». Vocabulaire de théologie biblique, Le Cerf. 1988 ; ou Henri Blocher. « Péché » ou « Chute » dans Le Grand Dictionnaire de la Bible, où il écrit : « Les maux qui affligent l’humanité procèdent de la folle volonté, partagée par l’homme et la femme, de devenir ‘comme des dieux, connaissant (maîtrisant) bien-et-mal’ ».

 

9. Paul la désigne sous le mot « chair ».

 

10. Voir Rm 8.7 TOB.

 

11. Voir Ep 2.1-3 ; A propos des ténèbres, la Bible laisse penser que la « chute » de l’homme a été précédée d’une révolte contre Dieu de plusieurs créatures célestes, dont Satan (Jude 6 ; 2 Pi 2.4…).

 

12. Pour la grâce commune voir par exemple Act 14.16-17 : 1 Tim 4.10 ; pour la crise des temps de la fin voir Mt 24.12 : 2 Th 2.3-12…

 

13. « L’être humain n’est pas un animal tendre ». HSSH, page 19.

 

14. Maurice Cusson. « Le crime un choix rationnel ». HSSH, p. 55.

 

15. Nicolas Sarkozy, La République, les Religions, l’Espérance, Cerf 2004, p. 110. Voir l’article de Didier Chastagnier dans ce même numéro.

 

16. Voir par exemple Mark Juergensmeyer « Quand la religion devient théologie de la rébellion », HSSH, p. 62.

 

17. Voir Luc 10.30-37.

 

18. Pr 3.12 ; 22.6. 15 ; Eph 6.1-4.

 

19. Par exemple les chapitres 10 à 29.

 

20. Gal 6.7.

 

21. Ez 36.25-27.