interview

Science et foi

 

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Entretiens avec Benoît DIEBOLD 1


Propos recueillis par Reynald KOZYCKI

 

 

dialogue1Servir : Ta profession et ta foi personnelle te placent au coeur du débat « science et foi ». Penses-tu à certains dangers dans ce débat sans fin?

 

BD : II me semble qu’il y a des dangers du côté du scientifique et du côté du croyant.

 

Pour le scientifique, le désir de compréhension du monde pousse à rechercher un schéma explicatif quitte à transformer un peu vite des hypothèses fortes en certitudes. A chaque époque, les découvertes les plus récentes donnent volontiers l’impression d’apporter, enfin (!) la réponse. Les idées anciennes sont facilement classées comme désuètes.

 

L’histoire des sciences est marquée par une succession de vérités qui ont, chacune, été perçues en leur temps comme établies. Il y a eu une succession de convictions fortes qui ont été contredites, parfois seulement cinquante ans plus tard. Certains scientifiques qui ont contribué considérablement à des progrès sur certains sujets se sont fortement opposés à d’autres innovations. Une lecture de l’histoire des sciences nous pousse à avoir une certaine retenue, une certaine humilité.

 

Au XIXème siècle, le positivisme triomphant avait pu donner l’impression qu’on irait tout expliquer par des équations mathématiques et que les éléments moins rationnels, comme ceux qui sont l’objet de la foi, seraient totalement balayés et ringardisés. Le « big bang» st venu donner cours à l’idée d’un monde ayant un début. Actuellement, au-delà de certaines apparences, il reste une forte interrogation scientifique : logiquement, il devrait exister une cohérence entre les recherches sur l’infiniment petit (sur la structure intime de l’atome et les éléments qui les constituent) et les recherches sur l’infiniment grand (tout ce qui est l’astrophysique, le développement de notre monde et des planètes).

 

Les scientifiques des deux bords ont du mal à trouver un schéma unique. Ce qui explique l’infiniment petit n’explique pas l’infiniment grand et dans l’autre sens ce qui explique assez bien l’infiniment grand est incompatible avec les théories les plus répandues sur l’infiniment petit. Cette mise en perspective de l’état de la connaissance montre qu’une démarche uniquement scientifique ne parvient pas à tout embrasser. Pour le croyant, le risque réside dans le fait de considérer qu’une démarche théologique peut devenir la référence scientifique. Entrer dans cette voie, c’est supposer que les Écritures nous ont été données pour expliquer le monde, c’est attribuer à la Parole de Dieu un rôle d’encyclopédie.

 

Cette démarche est très tentante pour beaucoup de croyants enthousiastes. Il est difficile d’accepter que le Dieu trinitaire ne réponde pas, dès maintenant, à toutes nos questions dans sa Parole. Le désir de description exhaustive est très intense. Au travers des âges, à plusieurs reprises, des conflits sont apparus et des polémiques ont été nourries entre des croyants et des scientifiques sur des sujets qui n’ont, finalement, aucun lien avec le message de la grâce et le plan du salut. In fine, on risque d’oublier que les Saintes Écritures elles-mêmes ne prétendent jamais fournir une explication rationnelle du monde, elles ne comportent aucune tentation d’équation d’aucune sorte, elles affirment à plusieurs reprises que beaucoup de choses ne nous ont pas été transmises et que notre connaissance ne deviendra complète que plus tard.

 

A titre d’exemple, certains textes ne respectent pas scrupuleusement l’ordre chronologique mais sont plutôt centrés sur un thème : lorsqu’on lit attentivement le livre des Actes, on remarque que les sujets ont plutôt été abordés par thème et que les périodes s’entrelacent. Dans les Actes des Apôtres (9.1 ; 9.26 ; 15.2) on a l’impression qu’il s’est passé peu de temps, mais dans l’épître aux Galates(2.1) l’apôtre Paul écrit qu’il s’est passé quatorze ans avant qu’il ne retourne à Jérusalem. Beaucoup de références nous suggèrent de nous satisfaire de l’idée selon laquelle les Écritures nous apportent une bonne nouvelle suffisante à notre pèlerinage terrestre.

 

dialogue1Servir : Vois-tu un parallèle entre démarche scientifique et démarche de foi ?

 

BD : Les scientifiques doivent, avant de démarrer un travail scientifique, « faire la littérature », c’est-à-dire se référer à des « textes écrits » considérés comme approuvés, publiés dans les bonnes revues et en proposer une synthèse. A la lumière de la lecture de ces textes, ils proposent une problématique. Le plan typique d’un article scientifique comporte une introduction précisant la situation «scripturaire» du sujet, les objectifs de travail, puis une description des méthodes mises en oeuvre pour atteindre cet objectif, une présentation des résultats et une discussion à la lumière des publications antérieures. Il existe, donc, un respect des écrits scientifiques. Dans ce contexte, il est frappant de voir de temps en temps, dans un monde qui se veut scientifiquement rigoureux, que des gens lisant les mêmes références, citant les mêmes articles peuvent arriver à des conclusions divergentes.

 

Les travaux théologiques, publiés par des exégètes, suivent parfois des plans semblables à ceux des travaux scientifiques. Beaucoup plus près de nous, si on envisage l’utilisation des textes bibliques vis-à-vis d’un sujet, notamment un problème éthique, une attitude protestante évangélique de soumission aux Écritures nous pousse vers une démarche assez « scientifique », avec la définition du problème, l’identification, l’ensemble des textes devant être pris en compte, leur analyse et la discussion des résultats, parfois en les comparant à des travaux antérieurs.

 

Nous partageons donc une même démarche de soumission à des « textes écrits », en rappelant, néanmoins, que le poids des textes est à nos yeux variable : les paroles de la Bible gardant la primauté sur les analyses de nos devanciers, même ceux de notre congrégation. Il est frappant de voir que, parfois, des croyants peuvent avoir la même dérive que certains scientifiques : ils sont attirés par une interprétation particulière en disqualifiant les textes qui les gênent, au lieu de rester dans un humble respect de l’ensemble des « écrits ».

 

dialogue1Servir : Un petit mot de témoignage personnel. Par rapport à ton travail, la foi est-elle une aide pour affronter les combats de la vie ? Quel lien fais-tu entre la foi et la vie professionnelle ?

 

BD : Le fait de travailler dans le monde médical doit être considéré comme un privilège. C’est un domaine où les valeurs de dévouement et de service devraient être fortes et on aurait aimé que le reste de ce qui existe sur terre ne soit pas présent. Depuis la chute on sait que le travail n’est pas toujours un chemin de rosés, ou du moins s’il y a des rosés elles ont des épines.

 

Le monde de la santé est un monde humain avec tout ce que cela suppose. Il peut y avoir des moments où on est déçu de voir que c’est un monde humain normal où des ambitions s’affrontent, où les choses ne se passent pas comme on aimerait, où la réalité est conforme à certaines descriptions des Psaumes et des Proverbes. A ce titre, la foi et les enseignements bibliques sont un support important pour « gérer » les démarches, les attitudes, voire les émotions.

 

C’est néanmoins, comme quelques autres, un domaine d’activité dans lequel on a l’occasion, voire le devoir, d’être particulièrement à l’écoute des gens qui sont à des grands carrefours de la vie. Il faut aussi en avoir conscience, l’intégrer dans nos démarches, avec retenue mais aussi avec clarté tout en respectant bien entendu la laïcité des structures qui nous embauchent. La dimension de service de ce secteur est une sorte de privilège, d’autres l’expriment en dehors de leur travail.

 


NOTE

 

1.  Benoît DIEBOLD est professeur en cardiologie, membre d’une Église protestante évangélique.