La grâce est gratuite, mais pas bon marché 1

 dette


par François-Jean Martin

 

 

 

La grâce à bon marché

 

 

C’est l’ennemie mortelle de nos vies de chrétiens, de nos vies d’Eglise, de notre Eglise. La grâce à bon marché, c’est la grâce considérée comme une marchandise à liquider, le pardon au rabais, la consolation à bas prix, la cène ou le baptême banalisés. C’est la grâce servant de magasin intarissable à l’Eglise et où des mains inconsidérées puisent pour distribuer ou obtenir sans hésitation et sans limite. C’est la grâce non tarifée, la grâce qui ne coûte rien. Par nature même, la facture est d’avance et définitivement réglée. Avec une telle doctrine, comprise comme grâce à bon marché, nous fabriquons un voile – et de plus un voile « sanctifié » – pour couvrir nos péchés, péchés dont nous ne nous repentons pas et dont nous ne tenons pas à être libérés. Au fond, la grâce à bon marché est la justification du péché et non du pécheur.

 

Puisque la grâce fait tout, toute seule, tout peut rester comme avant (Ep. 2.8-9). Pourquoi changerions-nous quelque chose dans nos vies ? Et puisque au fond, là où le péché abonde la grâce surabonde, poussons jusqu’au bout le raisonnement et disons : continuons donc de pécher afin que la grâce de Dieu puisse pleinement s’exercer et qu’ainsi cette grâce apparaisse encore plus glorieuse ! Voilà à quoi conduit Sa grâce à bon marché. C’est la prédication du pardon sans repentance, c’est le baptême et l’appartenance à une Eglise sans discipline ecclésiastique, c’est la sainte cène sans confession des péchés.

 

La grâce à bon marché, c’est la grâce que n’accompagne pas l’obéissance, c’est la grâce sans la croix.

 

 

La grâce oblige

 

La grâce est le trésor caché dans le champ : à cause de lui l’homme va et vend joyeusement tout ce qu’il a. C’est la perle de grand prix : pour l’acquérir le marchand abandonne tous ses biens. C’est la seigneurie du Christ à laquelle on se soumet : à cause d’elle, l’homme s’arrache l’œil qui est pour lui une occasion de chute. C’est aussi l’appel de Jésus-Christ : en l’entendant, le disciple abandonne ses filets, ses tables de péage, ses maîtres à penser, et le suit.

 

A nous d’avoir la même attitude : nous sommes morts vis-à-vis du péché ; considérons-nous donc comme morts à l’égard de ses tentations, sans relation avec lui. Notre « vieux Moi » a été cloué à la croix avec Christ afin que notre vieille nature soit réduite à l’impuissance et que le corps, instrument docile du péché, soit neutralisé. Nous avons été crucifiés avec Christ pour que le mal n’ait plus prise sur nous, et que nous n’ayons plus besoin d’obéir comme des esclaves à ses sollicitations : en effet, un mort est quitte envers le péché, il est dégagé de sa responsabilité ; le mal a beau l’appeler, un « mort » ne répond plus.

 

Regardons-nous uniquement comme vivants pour Dieu dans une communion ininterrompue. La grâce qui coûte, c’est la relation avec Dieu qu’il faut toujours chercher, toujours demander, c’est la porte (Christ) à laquelle il faut sans cesse frapper, c’est-à-dire appeler, réclamer, aspirer, souhaiter.

 

Cette grâce offre à l’homme le cadeau de la vie, de la vie éternelle en relation harmonieuse avec Dieu, et elle justifie le pécheur. Mais elle coûte parce qu’elle appelle à l’obéissance à Jésus-Christ. Elle coûte parce qu’elle condamne le péché. Elle coûte surtout parce que Dieu en a payé le prix fort : l’incarnation et la mort de Jésus (1 Co 6.20, 7.23 ; 1 Pi 1.18ss).

 

La Parole de Dieu nous atteint sous la forme d’un appel miséricordieux à suivre Jésus sur la voie de l’obéissance : Ainsi votre espérance, aussi bien que votre foi est fondée sur Dieu. Par votre obéissance à la vérité… (1 Pi 1.21-25). C’est pour cela que la grâce coûte cher : elle contraint l’homme à se soumettre au joug de l’obéissance à Jésus-Christ, joug qui est une grâce, joug dont Jésus dit qu’il est doux (Mt 11.30). Jésus s’adresse à ceux qui sont fatigués et chargés en leur disant de venir à lui, d’apprendre de lui, afin d’avoir du repos. Ainsi ce repos passe par une démarche d’obéissance.

 

 

L’exemple de Pierre (Mc 1.17 et Jn 21.22)

 

A deux reprises Pierre a entendu l’appel Suis-moi. Ce fut la première et la dernière parole adressée par Jésus à son disciple, alors que celui-ci exerçait son métier de pêcheur. Entre les deux situations il y a toute une vie de disciple, avec au centre la confession de foi de Pierre rapportée en Mt 16.16 : Tu es le Christ, le Fils du Dieu Vivant et l’obéissance à l’appel. Appel de grâce, appel gratuit, don offert par Jésus mais grâce qui lui coûte l’abandon de sa vie antérieure, bien des larmes de repentance, et qui va conduire l’apôtre à conformer sa vie à celle du Christ jusqu’à l’obéissance finale, l’ultime communion, celle du martyre.

 

 

L’exemple de Lévi (Marc 2.14-15a)

 L’obéissance

 

Quel en est le contenu, quelles en sont les limites ? Suis-moi ! Marche derrière moi ! C’est tout.

 

Etrange, n’est-ce pas ? Ce n’est pas un programme de vie dont la réalisation pourrait apparaître chargée de signification, ce n’est pas un but, un idéal, une cause enthousiasmante à première vue. En outre l’acte lui-même ne se voit pas attribuer en soi la moindre valeur.


L’appel à l’obéissance est donc un attachement à la personne de Jésus-Christ seul, la rupture de tous les légalismes par la grâce de celui qui lance l’appel. On n’est pas au niveau des idées, des conceptions, on se situe dans une relation personnelle avec une personne vivante. Une foi sans obéissance est une foi privée de l’essentiel, à savoir de Jésus-Christ vivant, comme le dit Jacques quand il parle de la foi et des œuvres.

 

 

L’appel est fait à tous

 

aller vers les autresEt la question se pose pleinement à tous aujourd’hui, non pas sous forme de recettes, de trucs à faire ou ne pas faire le dimanche matin, mais comme principe de vie pour tout instant. Notre foi est fondée sur l’Evangile dont le but est l’obéissance en paroles et en actes (Rm 15.16-18).

 

Ce qui revient à se poser la question suivante : « Notre foi est-elle en Jésus-Christ vivant ou en Jésus-Christ mort ? » C’est toute la différence entre la vraie foi et la religion ou la morale ou une philosophie de la vie. Proclamer «Je crois en Jésus-Christ ressuscité» signifie que je crois qu’il est vivant et qu’il est là, dans ma vie, et que je dois Lui obéir. Sinon nous sommes à l’image de ceux dont le Christ dit (Luc 6.46-49) : Pourquoi m’appelez-vous : Seigneur, Seigneur ! et ne faites-vous pas ce que je dis ?

 

L’écoute est liée à l’obéissance concrète, c’est-à-dire à la mise en pratique. Notre génération écoute dans les meilleurs cas, mais elle ne veut pas payer le seul prix possible à la grâce : l’obéissance. Jésus-Christ l’a payé en se rendant obéissant jusqu’à la mort sur la croix.

 

Nous sommes trop souvent des hommes et des femmes ne bâtissant pas nos vies sur le roc mais à côté. Nous ne sommes pas conséquents. Le roc, nous allons nous y promener seulement de temps en temps ; et quand la tempête survient, tout est emporté et la ruine est grande.

 

Nous vivons dans un monde qui est à l’image de ceux qui le composent : simultanément à l’image de Dieu, et marqué par la désobéissance à Dieu par notre rupture humaine avec le Créateur. Ainsi notre siècle présent n’est peut-être pas pire que d’autres depuis la venue du Christ, mais il nous est demandé d’y être conséquents par rapport à l’appel concis du Christ qui nous y atteint.

 

Dans son épître aux Romains, Paul conclut, après avoir développé le thème de la grâce gratuite, mais qui n’est pas bon marché et qui entraîne l’obéissance : (Rm 12.1-2) Donc (à cause de ce qui précède) je vous exhorte, frères et sœurs, à cause de la bonté que Dieu vous a témoignée, de lui consacrer votre être entier ; que votre corps, vos forces et toutes vos facultés soient mis à sa disposition comme une offrande vivante, sainte et digne d’être acceptée. Ainsi toute votre vie servira Dieu. C’est là le culte nouveau qui a un sens, un culte logique, conforme à ce que la raison vous demande. Ne vous coulez pas simplement dans le moule de tout le monde. Ayez votre identité. Soyez virils, dit la Parole. Il en est de même en 1 Co 16.13.

 

Si nous, chrétiens, ne prenons pas conscience du besoin d’être conséquents vis-à-vis de notre foi, ce que j’ai essayé de traduire par la formule «la grâce est gratuite mais n’est pas bon marché», si nous n’entrons pas dans le prix obligatoire qu’est l’obéissance, alors nous serons une Eglise orthodoxe, avec une pure doctrine de la grâce, et non plus une Eglise fidèle, une Eglise de professants ; à chacun de vivre en chrétien de nos jours, tous les jours, tout le jour.


Bienheureux ceux pour qui obéir à Jésus-Christ n’est rien d’autre que vivre de la grâce et pour qui la grâce n’est rien d’autre que l’obéissance.

 

F.-J. M.

 


 NOTE

 

1. Résumé d’une formation à l’étude biblique dispensée aux responsables de l’église de la Bonne Nouvelle de Lingosheim, dispensée sur la base de l’épître aux Romains. Le titre est inspiré de quelques pages du « Prix de la Grâce » de Dietrich Bonhoëffer