Traduire le nom de Dieu

 

rouleau

 

par Serge Oberkampf de Dabrun1

 


La piété juive interdisait de prononcer le nom de Dieu YHWH : on effleurait des yeux YHWH et l’on prononçait un autre nom : Adonaï. Chouraqui, dans sa traduction, pour aider le lecteur français à saisir cette façon de lire, a créé le graphisme ci-dessous :

 


 

Le nom propre du Dieu d’Israël est YHWH. Soit quatre consonnes en hébreu, qu’à un moment donné de son évolution la piété juive s’est interdit de prononcer. Jusque vers le huitième siècle de notre ère, le texte hébreu de la Bible est seulement composé de consonnes. Quand, au huitième siècle, les Massorètes élaborent le système de vocalisation, par adjonction de points et de traits, ils portent sur ces quatre lettres, les voyelles d’un autre mot hébreu, « adonay », qui signifie « le Seigneur », afin d’indiquer que lorsque l’on rencontre YHWH, il faut dire adonay, puisque l’on ne doit pas chercher à prononcer le nom de Dieu. Lorsqu’on lit YHWH avec les voyelles d’adonay, on obtient « Jéhovah », ce qui constitue une espèce de monstre linguistique.

 

Dans la version grecque (la Septante), à partir du 3ème siècle avant notre ère, YHWH est rendu par kyrios, ce qui signifie « le Seigneur ». C’est dans la Septante que lisaient la plupart des premiers chrétiens, et la majeure partie des citations de l’Ancien Testament dans le Nouveau Testament en sont extraites. Certaines argumentations, notamment chez Paul en Romains 10, ne peuvent se comprendre que s’il lit déjà « le Seigneur ».

 

 

Les solutions adoptées dans les traductions françaises

 

Dès  l’origine  (depuis la  Bible d’Olivétan publiée en 1535), les Bibles protestantes traduisent YHWH par « l’Eternel ». Cette solution sera également retenue par la traduction du grand rabbin Zadoc Kahn, à la fin du siècle dernier.

 

Les traductions catholiques d’après la Vulgate (traduction latine de Saint Jérôme) ont « le Seigneur ». Quand à la fin du siècle dernier, les exégètes catholiques sont autorisés à traduire d’après l’hébreu, ils vont transcrire YHWH. Cela donnera d’abord le fameux « Jéhovah », dans la première traduction catholique à partir de l’hébreu, celle du chanoine Crampon, puis aujourd’hui « Yahvé » dans la Bible de Jérusalem ou la Bible du chanoine Osty. La traduction « laïque » de La Pléiade porte « lahvé ». Enfin, Chouraqui forge une graphie originale combinant YHWH et adonay.

 

Les traductions les plus récentes éditées ou coéditées par la Société biblique française (TOB, Français courant, Parole de Vie) se refusent et à traduire et à transcrire ces quatre lettres et, selon l’usage de la lecture hébraïque, remplacent YHWH par « le Seigneur ». C’est également la solution adoptée dans la Bible catholique des Moines de Marédsous.

 

 

La transcription Yahvé se heurte à trois inconvénients :

  • Ce terme n’évoque guère d’écho dans la sensibilité religieuse. On ne prie pas Yahvé, on n’use pas de ce terme dans la liturgie.

  • Cette prononciation est incertaine. Des spécialistes pensent aujourd’hui que l’on devrait plutôt prononcer Yahou.

  • Elle ne fait pas cas de la traduction juive, qui est de ne pas chercher à prononcer le nom de Dieu, ni de l’usage de la Septante et du Nouveau Testament.

 

 

La traduction « l’Eternel » comporte également trois inconvénients :

  • Elle n’est plus guère usitée dans la prière ou les liturgies récentes des Eglises issues de la Réforme.

  • Une traduction de YHWH n’est instructive que dans un texte qui joue explicitement sur un sens possible de ce nom, ce qui est le cas presque uniquement dans l’épisode du buisson ardent (Ex 3.14ss). YHWH est avant tout un nom propre qui désigne quelqu’un avant de signifier quelque chose. On peut objecter que, dans la mentalité hébraïque, on attachait beaucoup d’attention au sens des noms propres. Certes, cependant personne n’aurait l’idée de traduire Esaü par « Velu » ou Jacob par « Talon » », tout au long des récits mettant en scène ces personnages. alors même que la Bible explique pourquoi ils reçoivent leur nom. Quand Dieu donne de nouveaux noms en fonction d’une vocation qu’il adresse, et qu’Abram devient Abraham, Saraï devient Sara, ce n’est pas pour autant que ces noms sont traduits. C’est le rôle des notes d’expliquer leur signification quand elle est utile à la compréhension du texte.

  • La traduction « l’Eternel » risque de renvoyer le lecteur ou l’auditeur à un concept philosophique plus tributaire de la pensée grecque ou de la mentalité juive. Le texte biblique cherche plutôt à affirmer la présence de Dieu dans le temps que de signifier une intemporalité que la notion risque d’évoquer.

 

Le remplacement de YHWH par « le Seigneur » a plusieurs avantages :

  • il ne heurte aucune sensibilité,

  • il correspond à l’usage culturel,

  • il est susceptible, à terme, de faire l’unanimité.

C’est pourquoi nous pensons que c’est la moins mauvaise solution, surtout qu’il y a un moyen simple (déjà utilisé par la TOB), de signaler quand « le Seigneur » remplace YHWH : écrire « le Seigneur » en petites majuscules (« LE SEIGNEUR »).

 

S. 0. de D.

 

 

 

LES MASSORETES

 

 

On appelait Massorètes les rabbins juifs qui demeuraient à Tybériade et à Babylone. C’étaient des érudits. Entre le Ve et le Xe siècle de notre ère, en transcrivant le texte de l’Ancien Testament, ils ont sélectionné les meilleurs manuscrits et fixé le texte en choisissant celui qui leur apparut le meilleur. Ils ont inventé les points-voyelles et un système d’accents pour conserver à travers les siècles et dans tous les pays, les bonnes nuances et le rythme de la lecture hébraïque traditionnelle. Ils placèrent ces points et ces voyelles dans et sous les lettres de façon à préserver l’intégrité du texte initialement écrit uniquement avec des consonnes.

 

Les Massorètes copiaient et reproduisaient les textes bibliques avec un soin et un respect extraordinaires : pour prévenir toute omission ou addition de lettres, ils les comptaient dans le sens vertical et horizontal et indiquaient les totaux en marge ; ils notaient la lettre du milieu (pour faciliter les vérifications). Des écrivains de l’époque racontent que les Massorètes considéraient comme inutilisable un manuscrit comportant 1 rature sur 1 lettre ! Même si un mot leur paraissait incertain, peu compréhensible ou incorrect, ils le recopiaient tel quel par respect du texte, et indiquaient, en marge, le mot rectifié.

 

 


 

NOTE

 

1. : Serge OBERKAMPF DE DABRUN est directeur de la Société Biblique Française.