Églises évangéliques et œuvres sociales

 

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Par André POWNALL1

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Du fait que « la façon parfaite de pratiquer la religion » consiste, entre autres, à « prendre soin des orphelins et des veuves dans leur malheur » (Je 1.27), l’aide sociale a toujours eu sa place dans la vie de l’Église. Dans la France du 19e siècle, le courant évangélique du protestantisme a fait preuve d’un certain dynamisme dans ce domaine, son fleuron étant sans doute l’action de l’Armée du Salut, implantée à partir de 1881.

 

 

Alors que les évangéliques sont encore très marginaux dans la société française en 1945 (seulement 50.000, selon Sébastien Fath, Du ghetto au réseau, p. 214), leurs oeuvres sociales connaissent une extension impressionnante au cours de la deuxième moitié du 20ème siècle. Avec d’importantes subventions publiques à l’appui, l’Armée du Salut devient l’un des partenaires principaux de l’Etat dans la lutte contre l’exclusion et la précarité (les figures actuelles de la pauvreté).

 

Les assemblées mennonites multiplient leurs établissements au service des handica­pés et des personnes âgées en région parisienne (Amis de l’Atelier et Domaine Emmanuel) et dans l’Est de la France. L’Association Baptiste pour l’Entraide et pour la Jeunesse (ABEJ) développe des structures importantes dans le Nord, la Picardie et l’Île-de-France. Les assem­blées dites « de Frères » ne restent pas les bras croisés, non plus, que cela soit par le biais de l’Association Culturelle et de Bienfaisance de l’Entraide Evangélique (Maison de retraite La Clairière, etc.) ou par des initiatives locales, comme dans la création de l’Entraide-le Relais à Strasbourg.

 

Plus de 120 associations caritatives sont listées dans le chapitre « Œuvres sociales » de l’Annuaire Evangélique 2007. Certaines poursuivent leur action à l’extérieur de l’Hexagone, quelques-unes sur le plan purement local, mais d’autres ont un rayonnement régional ou national. Les unes vivent de dons et mobilisent surtout des bénévoles, les autres reçoivent des subventions et emploient des équipes de professionnels. On trouve dans ce chapitre de l’Annuaire la mention d’une vingtaine de Centres d’Hébergement et de Réinsertion Sociale, destinés à répondre aux besoins de personnes en grande difficulté. Les maisons de retraite ainsi que les foyers de divers types sont un peu plus nombreux, témoins de l’engagement des chrétiens évangéliques en faveur de leur prochain.

 

Souvent à l’initiative d’hommes et de femmes visionnaires, qui mobilisent des équipes de chrétiens engagés autour d’eux, les oeuvres sociales ont tendance à s’institutionnaliser peu à peu et à perdre leur caractère distinctement chrétien. C’est une quasi constante de l’Histoire, et dans la mesure où les chrétiens ouvrent la voie à l’intervention des pouvoirs publics, on ne peut que s’en réjouir… et prier que Dieu suscite de nouveaux visionnaires pour ouvrir de nouvelles voies de soulagement de la misère humaine !

 

Le principe de la séparation de l’Église et de l’État serait-il un facteur aggravant de cette tendance à la sécularisation ? L’État ne subventionne que des actions ayant des objectifs culturels. Le maintien du témoignage chrétien organisé dans une œuvre sociale subventionnée passe obligatoirement par une structure parallèle, s’appuyant sur des fonds privés. Cela passe par des voies différentes. Par exemple… la direction du Domaine Emmanuel finance le poste à mi-temps d’un aumônier évangélique (Thierry Seewald) par des fonds associatifs. L’équipe de responsables de la Mission Évangélique parmi les Sans-Logis, en partie issue de l’assemblée de Paris-Nation, a fait une sorte de voeu de « modestie », afin de limiter la dépendance de la Mission par rapport aux fonds publics et pouvoir garder le lien entre le social et le spirituel.

 

D’une seule voix, semble-t-il, les œuvres évangéliques déplorent la difficulté de recruter dans les Églises évangéliques le personnel qualifié nécessaire pour animer leur action. Pourquoi les chrétiens évangéliques ne considèrent-ils pas les métiers du service social comme un domaine prioritaire de leur engagement professionnel ? Et le service social comme une belle occasion d’engagement chrétien bénévole ?

 

puitsComment comprenons-nous la parole de Jésus à ses disciples, « Vous aurez toujours des pauvres avec vous » (Jn 12.8) ? Comme une fatalité à subir, car il n’y a rien à y changer ? Comme la preuve de l’ineptie des pouvoirs publics ? Comme une réalité à éloigner autant que possible de notre route ? Comme une croix à porter et un moyen éventuel pour nous racheter ? Comme le reflet de notre propre pauvreté humaine (à refuser et à fuir, ou à accueillir humblement) ? Comme un cadeau de Dieu (car les pauvres sont ses « précepteurs »… ils nous donnent une heureuse occasion d’exprimer notre amour pour lui) ? Voulons-nous pratiquer notre religion de manière parfaite ?

 

Comment donc améliorer les relations entre les Églises évangéliques et les œuvres sociales d’inspiration évangélique (ou non) et encourager l’engagement chrétien dans le social ? Les travailleurs sociaux chrétiens remplissent une mission difficile et parfois usante, et ils ont besoin des prières, du soutien et de l’accompagnement de l’Église. Afin de faire face aux problèmes sociaux qu’elles rencontrent, les Églises, à leur tour, peuvent faire appel aux conseils des « professionnels » dans leur sein (tout en évitant de leur imposer des charges supplémentaires).

 

Les œuvres sociales sont un lieu de formation et de service pour les chrétiens, et les Églises sont bien sûr une source potentielle très précieuse de dons en argent et en nature, ainsi que de bénévoles, pour les œuvres. Cela présuppose, cependant, des occasions pour faire connaissance ensemble, et cela passe idéalement par la mise en place de véritables partenariats entre Églises et œuvres.

 

Jésus nous dit : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu… » (Mt 6.33). Églises et œuvres, travaillons-y ensemble !

 

A.P.


NOTES

 

1.  Professeur de théologie pratique à l’Institut Biblique de Nogent-sur-Marne et secrétaire de l’Action Sociale Évangélique (ASEV)