L’Evangile de la prospérité

 

 

Par Pierre COLEMAN

 coleman

 

A la fin de sa vie, l’apôtre Paul mettait en garde contre une fausse doctrine selon laquelle « la piété est une source de gain » (1 Tm 6.5). De nos jours, une fausse doctrine du même ordre pénètre au moyen d’Internet et de chaînes de télévision « chrétiennes » dans des millions de foyers du monde entier. Il s’agit de l’Evangile de la santé et de la prospérité.

Dans le contexte de ce numéro, nous nous en tiendrons essentiellement à l’Evangile… de la prospérité.

 

 

De quoi s’agit-il ?

 

Selon cette doctrine, la mort de Christ a non seulement vaincu la malédiction due à la Chute (Ga 3.10-13) mais aussi, et dès à présent, les effets de la Chute comme, par exemple, la maladie et la pauvreté. Aussi le chrétien doit-il s’attendre à recevoir par la foi, ici et maintenant, non seulement la vie éternelle mais aussi, et avec autant de certitude, la santé et la prospérité. Le chrétien malade ou pauvre déshonore Dieu par son manque de foi en donnant l’impression que Dieu ne tient pas ses promesses ou que Christ est mort en vain.

 

Pour bénéficier de la prospérité promise, il faut revendiquer « par la foi » ce à quoi le croyant a droit, puis remercier Dieu de l’avoir déjà reçu et agir en conséquence, par exemple en adressant à une œuvre chrétienne un chèque pour une somme importante – même si on ne l’a pas. Résultat : des « évangélistes » deviennent millionnaires… tout en ruinant des croyants modestes qui se sont laissés prendre dans le but soit de s’enrichir, soit de donner encore plus généreusement à l’œuvre de Dieu ou à des personnes dans le besoin.

 

 

Des bases bien fragiles

 

argentL’Evangile de la prospérité s’appuie sur un petit nombre de versets interprétés de façon contraire à l’enseignement général de la Bible. Prenons quelques exemples. Dans Jos 1.8, l’Eternel ne promet pas à Josué la prospérité mais la réussite comme successeur de Moïse. Ps 34.10-11 ne signifie pas qu’un croyant ne connaîtra jamais la disette (cf. Ph 4.12). La promesse de Mt 6.33 ne se rapporte pas aux richesses, mais aux besoins (v 31). Celle de Mc 10.29-30 n’encourage pas à donner dans le but de recevoir (cf. Lc 14.12-14).

 

L’abondance que Jésus donne aux siens (Jn 10.10) n’est pas la richesse matérielle, mais la vie éternelle (v 28). Le fait que Jésus possédait une (coûteuse) tunique tissée sans couture ne prouve nullement qu’il vivait dans le luxe (cf. Lc 9.58). 2 Co 8.9 ne signifie pas que Jésus est mort pour nous enrichir matériellement (cf. 8.2). 3 Jn 2 n’est pas une promesse, mais un simple souhait. Voilà quelques-unes des bases bien fragiles sur lesquelles a été érigé l’Evangile de la prospérité ! La gravité de l’erreur ressort en passant en revue l’enseignement global de l’Ecriture sur la bénédiction et la prospérité.

 

 

La bénédiction divine

 

« Dans l’histoire biblique, la bénédiction apparaît dès le commencement : Dieu bénit ses créatures, en particulier Adam et Eve (Gn 1.28). Mais la malédiction, introduite par le péché (Gn 3.14, 17) empiète sur la bénédiction… Après le Déluge, la bénédiction divine est confirmée (9.1), mais elle demeure en lutte avec la malédiction (9.25-26). Lorsqu’il est appelé par Dieu, Abraham se voit promettre non seulement d’être béni, mais aussi de devenir « bénédiction »… Le renouvellement de la promesse indique que la bénédiction s’accompagne de promesses d’une terre, de renommée et de descendance (cf. 13.14-17 ; 15.5 ; 17.15-17).

 

Le Deutéronome… affirme que la bénédiction divine est liée au choix fondamental… d’obéissance ou de désobéissance. La nécessité de ce choix, les prophètes ne cesseront de la rappeler. »1. Ajoutons cependant qu’au temps présent le croyant jouit certes des « prémices de l’Esprit » (Rm 8.23) acquises par la mort de Christ, mais la plénitude de la santé et du bien-être matériel est réservée pour la vie sur la Nouvelle Terre (Ap 21.4 ; 22.1-5).

 

 

La prospérité matérielle

 

Sous l’Ancienne Alliance, Dieu promet à Israël des bénédictions spirituelles, mais surtout matérielles (Ps 103.1-6), à condition que son peuple fasse preuve d’obéissance ; dans le cas contraire il s’attirera la malédiction (Dt 28). Le livre des Proverbes inculque des principes élémentaires comme le fait que la paresse appauvrit tandis que le travail enrichit (10.4 ; 13.4 etc.). Cependant il ne faut pas y voir des promesses s’appliquant en toute circonstance. En effet, l’Ecclésiaste rappelle qu’il existe de nombreuses exceptions à la règle, car des circonstances favorables ou défavorables jouent parfois un rôle déterminant (Ec 9.11-12). Le livre de Job dément nettement la théorie simpliste selon laquelle la prospérité est toujours le lot du juste et la pauvreté celui du méchant.

 

Même sous l’Ancienne Alliance, les promesses et les avertissements adressés par Dieu à Israël ne s’accomplissent pas toujours à brève échéance. Même désobéissants, certains Israélites jouissent parfois d’une prospérité dont étaient privés des fidèles comme Asaph et Jérémie (Ps 73.3-22 ; Jr 12.1-2). Cette dure « épreuve de la foi » est nécessaire pour que l’obéissance à Dieu ne soit pas motivée par le désir d’obtenir un avantage matériel.

 

Sous la Nouvelle Alliance, Dieu accorde à l’Eglise des bienfaits matériels fort utiles et destinés à être partagés avec ceux qui en ont moins (Mt 6.33 ; 2 Co 9.8 ; Ph 4.19 ; 1 Tm 4.3-5 ; 6.17) mais surtout des bénédictions spirituelles encore plus précieuses (Ep 1.3-12). Contrairement à Israël sous l’Ancienne Alliance, l’Eglise ne constitue pas une nation habitant un pays particulier mais comprend des membres dispersés dans le monde entier. Aussi le niveau de vie des chrétiens est-il tributaire, parfois en grande partie, de la situation économique du pays qu’ils habitent ou du degré de persécution à laquelle ils sont exposés.

 

Les principes inculqués par le livre des Proverbes (livre inspiré par Dieu et encore utile au chrétien, 2T m 3.16s) gardent certes leur valeur en tant que … règles générales ; mais sous la Nouvelle Alliance, Dieu ne promet nulle part de récompenser systématiquement l’obéissance par la santé et la prospérité. Au contraire, le Nouveau testament nous apprend que certains croyants peu consacrés sont riches (Ap 3.17) tandis que d’autres croyants, exemplaires, connaissent une extrême pauvreté (Ap 2.9 ; 2 Co 8.2). Jésus lui-même possédait peu de biens terrestres (Lc 9.58), et les apôtres apparaissaient parfois comme n’ayant rien (2 Co 6.10).

 

 

Des avertissements significatifs

 

La Bible comporte de nombreux avertissements à propos des dangers spirituels de la prospérité matérielle. « Parmi les dangers de la richesse que signale déjà l’AT, mentionnons : l’orgueil (Pr 28 11) la vantardise (Jr 9.22), la confiance mise dans les biens matériels au lieu d’être placée en l’Eternel (Ps 52.9), l’ingratitude envers Dieu (Dt 8.17-18 ; Os 2.8)… Dans le NT de nombreux avertissements concernent le danger que représentent l’argent ou les biens.

 

Dans le sermon sur la montagne, Jésus… met en garde contre l’avarice et l’inquiétude et dit que l’argent, érigé en idole (Mammon) détourne les affections, obscurcit la vue, dresse une barrière au service de Dieu et provoque la présomption… Il avertit ses disciples qu’il est difficile à ceux qui ont des richesses d’entrer dans le Royaume de Dieu (Marc 10.23, 27). Le cœur s’attache aux biens matériels au lieu de chercher à être « riche en Dieu » (Lc 12.21 ; cf. Ap 3.17). Dans la parabole du semeur, l’attrait des richesses étouffe la Parole (Mt 13.22)… L’amour de l’argent, dit Paul, est la source de tous les maux [- ou une source de toutes sortes de maux] (1 Tm 6.10). » [Nouveau Dictionnaire Biblique, Editions Emmaüs, sous « Richesse »]

 

 

Le mot de la fin

 

Cette dernière affirmation figure dans un passage (1 Tm 6.6-11) qui souligne le danger spirituel que représente, de nos jours, le soi-disant Evangile de la prospérité : « C’est, en effet, une grande source de gain que la piété avec le contentement ; car nous n’avons rien apporté dans le monde et il est évident que nous n ‘en pouvons rien emporter ; si donc nous avons la nourriture et le vêtement, cela nous suffira.

 

Mais ceux qui veulent s’enrichir tombent dans la tentation, dans le piège, et dans beaucoup de désirs insensés et pernicieux qui plongent les hommes dans la ruine et la perdition. Car l’amour de l’argent est une racine de tous les maux ; et quelques-uns, en étant possédés, se sont égarés loin de la foi, et se sont jetés eux-mêmes dans bien des tourments. Pour toi, homme de Dieu, fuis ces choses, et recherche la justice, la piété, la foi, l’amour, la patience, la douceur. »

 

P.C.


NOTES

 

1. Article « Bénédiction », Grand Dictionnaire de la Bible, Editions Excelsis.