L’Homme et la tentation du pouvoir

 

Petit commentaire de Mt 4.1-11

 

Par Sylvain Lombet

 

 

C’est Moi qui choisis !

 

Il y a quelques temps circulait une affiche publicitaire pour un célèbre opérateur de téléphonie mobile, avec ce slogan : « C’est Moi qui choisis ! » Le slogan était surmonté d’une magnifique couronne… Ah ! La « Liberté humaine » ! Quelle joie immense pour l’homme de pouvoir choisir seul la durée de son forfait téléphonique ! Mais quelle illusion aussi, de croire qu’il n’est pas en train de se faire manipuler par le chant des sirènes de la consommation…

 

Depuis que l’homme et la femme ont choisi de déterminer eux-mêmes le bien et le mal, ce genre de slogan nous rappelle la revendication édénique de liberté absolue, sans référence à Dieu.

 

Dans ce numéro sur l’Homme, parcourons ensemble un passage bien connu des évangiles où Jésus, l’Homme par excellence, s’est trouvé confronté lui aussi au chant des sirènes de la liberté absolue (Mt 4.1-11). Dans ce début de l’évangile selon Matthieu, Jésus reprend à son compte le parcours du peuple d’Israël après la sortie d’Égypte. Comme Israël à l’époque de Moïse, Jésus est conduit dans le désert par l’Esprit afin d’y être tenté (ou éprouvé). Cependant, son attitude est différente de celle de ses ancêtres. Intéressons-nous au dialogue de ce passage.

 

 

La mise à l’épreuve de l’homme

Alors que Jésus a faim, après un jeûne de 40 jours et 40 nuits, le tentateur l’invite à user de son titre divin pour subvenir à ses besoins vitaux : « Si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains » (v. 3).1 La parole du tentateur fait écho à la parole de Dieu lors du baptême de Jésus : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé… » (Mt 3.17). Comment celui qui est « Fils de Dieu » peut-il souffrir de la faim ? Comment peut-il vivre une situation de manque, alors qu’en tant que Fils de Dieu il a tout ? Pour paraphraser une autre publicité, Jésus est invité à transformer ces pierres en pain… « parce qu’il le vaut bien ».

 

À cette première attaque, Jésus répond que « l’homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (v. 4). À la tentation d’user de sa divinité, Jésus répond par son humanité, soumise à la volonté de Dieu. Loin de nier l’importance de ses besoins physiques, Jésus en rappelle l’arrière-plan : c’est la parole que Dieu donne, et pas seulement l’objet que l’on consomme, qui fait vivre. La différence est grande entre prétendre se servir soi-même et recevoir de Dieu la vie.

 

 

Jésus prend de la hauteur

Le diable transporte Jésus en haut du Temple, sur le rebord. Ainsi placé en hauteur et en équilibre, surplombant le lieu de la présence de Dieu lui-même, le « Fils de Dieu » est cette fois invité à provoquer l’intervention de Dieu. Le diable reprend à ses propres fins la parole de Dieu pour provoquer Jésus. Jésus oserait-il « désobéir » à Dieu qui lui a promis sa protection ? C’est comme si le diable avait pris au mot la remarque précédente de Jésus : « Tu as raison, il ne faut pas agir seul, il faut obéir à toute parole sortant de la bouche de Dieu ! »

 

À cette deuxième attaque, une citation divine ayant l’apparence du bien, mais sortie de son contexte et utilisée pour une ambition personnelle, Jésus « oppose » une autre parole de Dieu : « Il est aussi écrit : Tu ne provoqueras pas le Seigneur, ton Dieu ». Jésus remet les personnes à leur juste place : il rappelle au diable que Dieu est au-dessus de lui. La parole de Dieu forme un tout, elle ne peut pas être utilisée à notre convenance, pour justifier des motivations ou des ambitions personnelles.

 

Dans le désert, les Israélites avaient provoqué l’intervention de Dieu. Jésus lui, résiste à cette tentation de faire de son Père l’objet de ses désirs. Il lui reste soumis. Le sommes-nous ? Réfléchissons à la façon dont nous formulons certaines de nos prières, par exemple.

 

 

L’attrait du pouvoir

Finalement, le diable transporte Jésus encore plus haut. Cette dernière épreuve trahit l’ambition diabolique : être adoré à la place de Dieu (v. 8-9). Ici, plus de flatteries (« Si tu es Fils de Dieu ») ni de citation biblique : à cette hauteur, on se prend directement pour Dieu ! L’attrait de ce pouvoir est pourtant illusoire, puisqu’il suppose une allégeance : le diable se présente comme le Maître absolu qui, seul, mérite l’adoration…

 

De nouveau Jésus cite les Écritures : « C’est devant le Seigneur, ton Dieu, que tu te prosterneras, et c’est à lui seul que tu rendras un culte » (v. 10). Le pouvoir absolu, un seul le détient : Dieu. Alors Satan recule et s’en va. Cette fois, des anges s’approchent, non pour être servis comme le diable, mais pour servir Jésus (v. 11).

 

 

En guise de conclusion

Jésus se présente dans ce passage comme l’Israël fidèle, qui endure l’épreuve du désert sans commettre de faute. Quel exemple nous donne-t-il à méditer aujourd’hui ?

 

• Sa confiance inébranlable en la totalité de la parole de Dieu.

 

• Sa connaissance des Écritures : sa méditation du Deutéronome lui donne une lecture des pièges qui lui sont tendus et une autorité qui dénonce le mal et lui ordonne de lâcher prise.

 

• Son humanité : bien que Fils de Dieu, Jésus répond en tant qu’homme à la tentation. Il nous rejoint ainsi dans nos propres épreuves et nous fraye un chemin pour les surmonter.

 

• Son humilité : Jésus ne prend pas cette place qui lui est pourtant offerte de dominer, il ne se place pas au-dessus de l’humanité. C’est en cela qu’il est notre Seigneur !

 

Notre liberté d’êtres humains passe par notre dépendance vis-à-vis de notre Père céleste.

 

S.L.


NOTE

 

1. Les versets cités sont tirés de la traduction Nouvelle Bible Second (NBS)