Un témoin fidèle

 

de notre histoire :

 

Marie Durand1

 

(1ère partie)

 

Par François-Jean Martin

 

 

Nous fêtons cette année le trois centième anniversaire dela naissance de Marie Durand, la plus célèbre des prisonnières de la tour de Constance à Aigues- Mortes2. Elle est le symbole du temps du « désert » pour les protestants français. Il nous a paru important de nous pencher sur cette figure de notre histoire non pour exalter une femme mais pour louer le Seigneur qui, au milieu des ténèbres des persécutions, est resté présent auprès de Marie. Or aujourd’hui le bras du Seigneur n’est pas devenu plus court. Il est toujours présent auprès de nous. Il est fidèle à sa Parole qui, aujourd’hui encore, retentit dans nos vies, celles de nos familles, celles de nos Eglises :

« Et voici, je suis avec vous chaque jour, jusqu’à la fin du monde. » (Mt 28.20b)

 

 

 

La prisonnière de la Tour de Constance

 

Marie Durand est née au Bouschet-de-Pranles, non loin de Privas, en Vivarais, le 15 juillet 1711. Comme tous les enfants nés après la révocation de l’édit de Nantes (1685), cette fille d’un greffier au passé camisard fut baptisée à l’église catholique paroissiale.

Dès 1719, son frère Pierre devint « prédicant » puis pasteur clandestin et, à ce titre, il est poursuivi par l’intendant de Bernage qui, ne pouvant le saisir, se venge sur sa famille. Ainsi, leur père Étienne Durand, emprisonné en 1728 au fort de Brescou, près d’Agde, confie Marie, avant de partir, à Matthieu Serres qui l’épouse en 1730 sans être passé à l’église. Cette même année, les dragons du roi saisissent Matthieu Serres, qui rejoint Etienne Durand au fort de Brescou, alors que Marie est enfermée à la Tour de Constance. Pierre, âgé de trente ans, est arrêté et condamné. Il est pendu le 22 avril 1732 sur l’Esplanade de Montpellier. Son père ne sortira de prison qu’en 1743.

 

Marie sera donc enfermée à la tour de Constance à Aigues-Mortes, la prison des femmes « religionnaires ». Entrée à l’âge de 19 ans, elle n’en est sortie qu’à près de 57 ans, libérée parmi les dernières, en 1768, par grâce princière, sans avoir abjuré. Pendant trente-huit années, Marie Durand a enduré l’enfermement à la prison d’Aigues-Mortes, réputée pour son insalubrité, dans un environnement de marécages infestés par le paludisme. Les prisonnières, entre une vingtaine et une trentaine de femmes selon les moments, arrêtées pour la plupart dans des assemblées interdites, rasées, étaient entassées dans deux salles circulaires mesurant dix-huit pas d’un mur à l’autre, avec deux heures de sortie dans la « basse-cour », matin et soir. Dans cette promiscuité forcée au long des années, des femmes ont accouché, allaité des enfants, d’autres ont agonisé et sont mortes. Jeunes ou vieilles, toutes ont été malades, secouées de crises de paludisme, et se sont usées d’attente. Parfois, l’une d’elles quittait les autres, libérée avec certificat de catholicité du curé d’Aigues- Mortes, ou expulsée car devenue folle.

 

Parmi les prisonnières, Marie Durand semble avoir joué un rôle prépondérant, en partie sans doute par son prestige de soeur de martyr, qui lui a valu d’être en relation avec les pasteurs du Refuge, à Lausanne et Amsterdam, et avec le pasteur Paul Rabaut à Nîmes. En partie aussi par son niveau d’instruction supérieur, qui a fait d’elle une lectrice consolatrice et une correspondante, la porte-parole de ses soeurs de captivité. En effet, les communications avec l’extérieur de la prison (nouvelles, lettres, paquets) étaient plus ou moins tolérées. Les lettres de Marie Durand témoignent rarement de ses souffrances physiques (des douleurs à la tête la tenaient parfois huit jours et la faisaient hurler), plus souvent de ses inquiétudes, de ses espoirs, de sa foi dans le « Dieu de miséricorde », exprimée dans le langage d’une Écriture mémorisée depuis l’enfance, et lue dans les bribes d’un psautier caché.

INSCRIPTION « RÉSISTER » (ATTRIBUÉE À MARIE DURAND)

DE LA SALLE HAUTE DES PRISONNIÈRES DE LA TOUR DE CONSTANCE
(PHOTO FJM)

On attribue à Marie le mot «REGISTER» (résister en occitan) gravé par une main anonyme dans la pierre d’une margelle au centre de la salle commune du cachot de la tour de Constance. Résister, c’est ce que va faire Marie Durand tout au long de sa captivité, refusant toujours d’abjurer sa foi, exhortant ses compagnes et écrivant de nombreuses lettres : lettres de suppliques ou de remerciements à ceux qui envoyaient des secours aux prisonnières ; lettres adressées au pasteur Paul Rabaut et à sa nièce, Anne.

 

En janvier 1767, le prince de Beauvau, gouverneur du Languedoc, visite la Tour, il est révolté par le sort des femmes encore emprisonnées et les libère. Un ministre de Louis XV essaie de s’y opposer, de Beauveau offre sa démission… Quatorze femmes sont libérées, dont une (Marie Robert) avait été enfermée 41 ans. Marie Durand sera libérée le 14 avril 1768 et il faudra attendre le 26 décembre 1768  pour que les deux dernières prisonnières  soient libérées. La Tour fut définitivement fermée. Beauvau avait arraché, après les autres, ces dernières libérations à l’intolérance du chancelier. L’une d’entre elles, Marie Vey- Goutèle se retire au Bouchet-de-Pranles et va vivre avec Marie Durand.

 

Le pasteur de Nimes ne cessa pas de s’occuper des prisonnières maintenant libérées : le 20 février 1769 il envoyait à Amsterdam le reçu d’une somme de 220 livres qu’il avait reçue du Comité fondé là-bas pour subvenir à l’indigence des persécutés, et qu’il avait remise aux trois dernières captives. Il restait à Marseille, à cette époque, onze galériens condamnés pour leur foi dont on s’occupait activement d’obtenir la grâce.

 

L’un d’eux, Alexandre Chambon, lui aussi d’origine vivaroise, fut effectivement relâché le 25 mai suivant, sur l’intervention – encore – du prince de Beauvau. Il avait été capturé en 1741 aux côtés du vieux prédicant-prophète Dortial, qui mourut héroïquement à Montpellier. Agé de 73 ans, il se réfugia au Bouchetde- Pranles où il retrouva Marie Durand. Mais il était si affaibli que le pasteur Teissier pouvait dire de lui, en signalant sa libération : « Ce pauvre malheureux, à peine sent-il son bonheur à cause de son âge ».

Marie intéressa le pasteur Rabaut à son sort et celui-ci obtint pour l’ancien galérien, toujours par le Comité d’Amsterdam, une rente annuelle de 12 livres qu’il lui fit passer par l’intermédiaire de son amie.

 

Cette partie de l’histoire de Marie Durand est en général bien connue mais on ignore en général la suite qui fût tout aussi remplie d’épreuves et de délivrances durant les huit dernières années de sa vie. Nous en donnerons quelques aspects dans une seconde partie.

 

F-J.M.


NOTES

 

1. Ce travail a été fait à partir de mon cours sur le protestantisme et des notes prises lors de mes visites sur les lieux cités. J’ai aussi pris beaucoup de notes sur le livre « MARIE DURAND, prisonnière à la Tour de Constance (1715-1768) son temps, sa famille, ses compagnes de captivité » de Daniel BENOIT, revu et corrigé par André FABRE, Nouvelle société d’éditions de Toulouse, DIEULEFIT (Drôme), 1938.

 

2. Il est à noter que 2011 marque aussi le centenaire de l’un des lieux de mémoire des prisonnières de la tour de Constance, le Musée du Déser t. Fondé en 1911, il est le premier musée des protestants français, ancré dans un site camisard, le Mas Soubeyran (Mialet, Gard). Il évoque tout le temps du « désert », de la religion interdite, entre la révocation de l’édit de Nantes (1685) et la Révolution française.