Lausanne III

 

et le thème de la responsabilité sociale des chrétiens


 

Par DANIEL HILLION

Responsable des Relations Publique du S.E.L.

 

 

 

Le mouvement de Lausanne est connu pour avoir insisté sur la responsabilité sociale des chrétiens. Le thème était présent lors de la rencontre du Cap en octobre 2010. Quels sont les enjeux de cette question aujourd’hui ? Il me semble que l’on peut en relever au moins trois et chercher comment le troisième congrès de Lausanne s’est situé à leur égard. 

 

 

 

 

L’enjeu de l’équilibre

 

Les congrès de Lausanne portent sur l’évangélisation du monde. Quel est le lien entre l’évangélisation et l’action sociale ? Cette question est revenue de façon répétée dans le monde évangélique ces dernières décennies.

La Déclaration de Lausanne (1974) était parvenue à un équilibre remarquable. Ses grandes lignes pourraient se résumer comme suit : l’évangélisation et l’action sociale sont bien distinctes l’une de l’autre ; les deux font partie de notre devoir chrétien ; l’Église doit accorder la priorité à l’évangélisation ; ceux qui vivent dans l’abondance doivent développer un style de vie simple pour pouvoir contribuer plus généreusement à l’évangélisation et à l’aide aux déshérités ; nous devons poursuivre l’oeuvre missionnaire, servir Christ et les hommes, en sachant que nous ne pourrons pas nous-mêmes édifier sur terre un règne de paix et de bonheur.

L’Engagement du Cap affirme son attachement à la Déclaration de Lausanne et au Manifeste de Manille. On est donc en droit de s’attendre à ce qu’elle ne bouleverse pas l’équilibre du texte de 1974. Dans l’ensemble, c’est bien le cas. Je proposerai deux commentaires pour continuer la réflexion.

L’Engagement du Cap traite de l’action sociopolitique, en particulier en faveur des pauvres, en la plaçant dans des perspectives très vastes concernant la présence des chrétiens dans le monde et les défis que nous rencontrons au 21e siècle. Ce faisant, elle montre que font partie de notre devoir chrétien l’évangélisation et l’action sociale… et d’autres choses aussi. Avoir une vision plus large, c’est aussi avoir une vision plus équilibrée, qui évite une polarisation excessive de l’attention des chrétiens.

On ne retrouve pas dans l’Engagement du Cap, les distinctions nettes entre évangélisation et action sociale, entre le temps présent et le temps futur qui caractérisaient la Déclaration de Lausanne, même si elles ne sont pas niées pour autant. Alors que la Déclaration de Lausanne martelait que « la réconciliation de l’homme avec l’homme n’est pas la réconciliation de l’homme avec Dieu », l’Engagement du Cap préfère souligner que « la réconciliation avec Dieu est inséparable de la réconciliation les uns avec les autres ». Les deux affirmations sont complémentaires. Cependant, à l’époque de confusion dans laquelle nous vivons, un rappel de certaines distinctions nettes n’aurait pas été de trop. Heureusement, la prédication de John PIPER a su demander avec force : « Lausanne pourraitil dire […] que nous les chrétiens nous nous soucions de toute souffrance, particulièrement de la souffrance éternelle ? » Et il a ajouté que si nous avions des résistances à dire : « particulièrement de la souffrance éternelle », c’est que notre conception de l’enfer était défectueuse, tandis que si nous avions des réticences à nous soucier de toute souffrance actuelle, c’était notre coeur qui était défectueux. Bien que l’intervention de John PIPER n’ait pas fait l’unanimité, elle me semble approcher l’équilibre biblique sur la question du lien entre évangélisation et action sociale.

 

 

L’enjeu de la pertinence

 

L’équilibre dans la pensée n’est pas tout. Le monde de 2010 (2011 maintenant) n’est plus exactement celui de 1974. Si certaines vérités sont immuables, les contextes dans lesquels elles s’appliquent sont changeants. Ceci est vrai aussi pour les questions liées à l’engagement social et à l’action en faveur des pauvres. La pertinence de notre discours se mesure aussi à notre capacité à rejoindre nos contemporains dans leurs préoccupations. Parmi les nombreux sujets traités, j’en sélectionnerai deux particulièrement caractéristiques de la période actuelle.

La seconde partie de l’Engagement du Cap appelle les chrétiens à réagir de façon appropriée à la pandémie du sida. Des millions de personnes sont infectées, en particulier dans les pays pauvres. Des millions d’enfants et de jeunes sont orphelins, ayant perdu leurs parents à cause du sida. Le champ d’action dans ce domaine est immense : enseigner et mettre en pratique les principes bibliques en matière de sexualité ; adopter une attitude de compassion envers tous ceux qui souffrent ; nous souvenir que nous avons été sauvés par grâce, et être par conséquent « lents à juger, prompts à restaurer et à pardonner » ; mener des actions pour combattre le fléau du sida.

L’Engagement du Cap voit dans « les Objectifs du Millénaire pour le Développement » une occasion d’agir pour l’Église. Il encourage notamment au soutien de la campagne internationale du Défi Michée. Le monde dans lequel nous vivons est de plus en plus globalisé (dans lequel l’urbanisation va croissante), les situations de pauvreté et d’injustice sont complexes. L’Engagement du Cap parle du désir de Dieu à la fois pour une « justice économique systémique » et pour la « compassion personnelle, le respect et la générosité envers le pauvre ». Certaines pistes sont données dans le document, comme sur le sujet de l’esclavage et du trafic d’êtres humains. Gageons cependant qu’il reste du pain sur la planche pour aboutir à une « doctrine sociale évangélique » capable de faire consensus.

 

 

L’enjeu de l’humilité, de l’intégrité et de la simplicité

 

Plus encore que l’enjeu de la pertinence, c’est celui de l’intégrité que nous pose la réflexion sur la responsabilité sociale. Notre vie au sein de la société (et avec ceux qui en constituent les composantes les plus fragiles) est-elle cohérente avec notre foi ? Sommes-nous intègres quand nous nous disons disciples de Celui qui a dit : Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, vous aussi, faites-le de même pour eux, car c’est la loi et les prophètes ? (Mt 7.12)

Lausanne III a été l’occasion d’une parole forte sur l’« Évangile » de la prospérité. Celui-ci a clairement été dénoncé comme un faux évangile. Or il est notoire que cet « Évangile » est répandu dans certains contextes où la pauvreté fait rage, mais « l’Évangile de la prospérité n’offre pas de solution durable à la pauvreté ».

De façon intéressante, le passage qui traite de l’Évangile de la prospérité se termine par l’appel à mener un style de vie simple, au sacrifice de soi, et au don généreux. Pour beaucoup de chrétiens occidentaux, l’enjeu principal lié à notre responsabilité sociale n’est pas tant de savoir comment nous allons trouver l’équilibre avec le mandat d’évangéliser (même si c’est important pour la réflexion, pour la vie de l’Église, etc.) ni comment nous serons pertinents dans le monde actuel (même si nous avons vraiment besoin de nous en préoccuper) : il s’agit d’abord de savoir comment nous nous positionnerons face au consumérisme ambiant. L’un des défis majeurs pour les chrétiens de tous les temps est de résister à la tentation de l’idolâtrie… et il y a bien de l’idolâtrie dans le rapport à l’argent et à la consommation entretenu par beaucoup de nos contemporains. Cet enjeu-là de la responsabilité sociale des chrétiens avait été effleuré dans la Déclaration de Lausanne : il ressort fortement de la rencontre du Cap. On ne peut qu’approuver un tel accent.

De façon très équilibrée, l’Engagement du Cap affirme aussi : « … nous nous réjouissons de ce que l’Évangile inclue les riches dans son appel à la repentance, et les invite à rejoindre la communion de ceux qui sont transformés par la grâce qui pardonne. »

L’engagement social chrétien est l’implication au sein de la société humaine de ceux qui sont transformés par la grâce qui pardonne. C’est là une des caractéristiques distinctives de notre doctrine et de notre action sociales : elles trouvent leur source dans la grâce. En s’attachant à la grâce – ce qu’a fait Lausanne III –, on ne s’éloigne jamais trop de l’équilibre, de la pertinence et de l’intégrité.

 

D.H.