Autorité1

 couleurs-chaudes

Par Jacques BLANDENIER
 Jacques Blandenier
 

 

 

 

 

 

Ce qui constitue l’autorité

 

On observe que dans toute société humaine et dans tout groupe, même occasionnel, un mode de fonctionnement ne tarde pas à s’élaborer, que cette élaboration soit ou non le fruit d’une réflexion délibérée. Et un membre émerge (éventuellement, quelques membres émergent) naturellement pour prendre en main la direction de la collectivité.

On peut se demander alors pourquoi certaines personnes sont reconnues pour exercer une autorité sur le groupe. Ou pourquoi un membre du groupe se place spontanément dans une position de leadership, sans nécessairement être avide de pouvoir.
 
Selon Matthieu 21.23, les autorités juives, constatant l’impact de l’enseignement de Jésus sur les foules, lui ont posé cette question : « Par quelle autorité fais-tu cela, et qui t’a donné cette autorité ? » Bonne question – même si elle était posée avec beaucoup d’arrière-pensées !
 
On distingue habituellement trois types d’autorité qui, dans le meilleur des cas, se complètent et se cumulent :
  • L’autorité de compétence : on se ralliera sans réticence aux opinions ou aux décisions d’une personne dont la formation et les connaissances légitiment l’autorité. On lui fait confiance même sans être en mesure de vérifier le bien-fondé de ses décisions. Toutefois, cette autorité est limitée, et il y a abus si elle prétend s’étendre au-delà du champ de ses compétences. Ainsi, je me fierais au diagnostic de mon médecin et prendrais le médicament prescrit sans en connaître toutes les propriétés. Mais je ne suivrais pas forcément les yeux fermés les conseils de ce même médecin pour réparer les problèmes de ma messagerie Internet !

  • L’autorité de fonction : Celui qui exerce cette autorité n’en dispose pas à son gré, car elle lui a été conférée par un supérieur hiérarchique ou par élection. Autorité de fonction, elle bénéficie d’une légitimité que son détenteur n’est pas obligé de devoir prouver sans cesse : il s’appuie sur une structure extérieure à lui-même. Mais elle est relative, car soumise à l’instance qui la lui a conférée. Les grades dans une armée illustrent ce type d’autorité, et le capitaine de Capernaüm de Matthieu 8 (v.9) l’a bien compris : « Moi qui suis soumis à des chefs, j’ai des soldats sous mes ordres, et je dis à l’un : Va ! et il va, à l’autre : Viens ! et il vient… » Dépouillé de l’insigne de son grade, l’officier est aussi dépouillé de son autorité.
  • L’autorité « charismatique » : Le terme charismatique ne concerne pas ici les dons spirituels, mais désigne un type d’autorité qui émane naturellement d’un individu et qui est souvent difficile à définir, car elle se constate plus qu’elle ne s’explique. Elle qualifie une personnalité forte par son caractère, son intelligence, sa capacité de décider, de communiquer, d’influencer. Elle peut découler d’une cohérence entre l’être, le dire et le faire, mais aussi d’aspects plus extérieurs : charme, voix, prestance, statut social… Autorité naturelle, elle paraît sans doute la plus pertinente. Elle n’est cependant pas sans danger, si celui qui l’exerce en abuse pour son profit personnel.

Jésus n’avait ni diplôme ni grade, mais les évangiles soulignent à plusieurs reprises que les foules étaient frappées par son autorité, et que les disciples et même les démons la reconnaissaient. Venu d’auprès du Père, il le connaissait intimement et connaissait parfaitement son dessein de salut ; il connaissait aussi le coeur de l’homme en profondeur. Son « autorité de fonction », aucune instance humaine n’aurait pu la lui donner, car cela aurait impliqué qu’elle soit au-dessus de lui. En tant que Fils, c’est de son Père seul qu’il l’a reçue – cette question a donné lieu à un dialogue de sourds avec ses contradicteurs (cf. Jean 8.12ss). Quant à l’autorité intérieure ou naturelle, personne ne l’a manifestée plus que Jésus. La cohésion et la densité de son caractère étaient telles qu’il a pu endosser le rôle de l’esclave sans perdre une parcelle de son autorité (cf. Jean 13.1- 17).

 

Dans la communauté chrétienne, le ministère de direction devrait également s’appuyer sur cette triple dimension de l’autorité : connaissance par une formation biblique approfondie, connaissance du coeur humain par l’expérience de la vie, connaissance intime du Seigneur par une relation vivante avec lui. L’autorité de fonction est aussi nécessaire : un ancien doit être reconnu et établi dans son ministère, ce qui lui donne à la fois la liberté d’exercer l’autorité, mais aussi la responsabilité d’en rendre compte. Enfin, l’autorité personnelle découlant d’un accord entre le dire et le faire a aussi sa place, le don de discerner, de communiquer, de décider – à l’écoute de ses frères et soeurs. Mais, parce que nous sommes encore sur cette terre et que nous n’en avons pas encore fini avec le péché, aucun leader chrétien n’est à l’abri de chacune des perversions de l’autorité que nous avons signalées.

 

 

Structures d’autorité

On peut aussi envisager le thème de l’autorité en analysant la manière dont elle s’insère dans la structure communautaire. Là aussi, on peut distinguer trois « modèles ». Et il est bon d’en prendre connaissance afin de pouvoir poser un diagnostic fondé en cas de crise d’autorité :

  • L’autorité traditionnelle : elle trouve son origine dans le passé. Celui qui l’exerce l’a reçue de ses prédécesseurs, de ceux qui sont déjà en fonction (cooptation) ou encore d’une instance hiérarchique extérieure à la communauté. Ce modèle manifeste un souci de fidélité aux origines et assure stabilité et continuité. Mais il risque de se scléroser dans un traditionalisme rigide, et d’être inadéquat dans des périodes de mutation. Les communautés religieuses rurales ont longtemps fonctionné selon ce modèle patriarcal, mais l’urbanisation et l’émergence de nouvelles générations plus scolarisées ont parfois conduit à l’éclatement ou à la désertion des plus jeunes.
  •   L’autorité rationnelle : elle émane d’un accord entre les membres du groupe, après évaluation des données, argumentation et recherche d’un consensus ou du moins d’un courant dominant. On confie alors démocratiquement l’autorité à ceux qui sont les plus aptes à mettre en oeuvre les décisions communes. Ce modèle semble plus souple et, dans la communauté chrétienne, reflète mieux le sacerdoce universel des croyants. Il implique cependant un accord de fond sur les convictions, la raison d’être et les objectifs prioritaires de la communauté. Sinon, c’est la paralysie, voire l’éclatement. Dans l’Église, il sera bien difficile à un ancien d’exercer l’autorité spirituelle en sachant, par exemple, qu’un tiers des membres ne la reconnaît pas.
  • L’autorité charismatique : on retrouve ici le terme apparu dans le paragraphe précédent. Lorsque les types traditionnel ou rationnel s’avèrent incapables de surmonter une crise, on se tourne parfois vers « l’homme providentiel », répondant à un appel intérieur ou venu d’« en haut », capable de rassembler en dépassant les blocages et en donnant une impulsion nouvelle. Réformateurs et revivalistes ont souvent été des figures correspondant à ce modèle. Mais c’est aussi le cas de manipulateurs et de fondateurs de sectes…

On dira bien sûr que l’Église ne correspond à aucun de ces modèles, car elle a un gouvernement théocratique. Mais en disant cela, on a tout dit… et rien dit. Car il faut bien déterminer quel genre de médiation humaine Dieu va choisir pour diriger son Église. Et de fait, de chacun des modèles esquissés ci-dessus peut émerger une autorité spirituelle exercée dans la dépendance et l’obéissance au Seigneur, ou une autorité charnelle au service de ceux qui recherchent le pouvoir pour leur propre satisfaction.

C’est pourquoi, dans un second temps, nous relèverons quelques aspects soulignant la spécificité de l’autorité dans la communauté chrétienne.

 

JACQUES BLANDENIER

 


NOTES
 
 
1. Nous reproduisons ici le texte de la conférence donnée par Jacques BLANDENIER au Congrès National des CAEF de 2007. Le style oral a été volontairement conservé.
 
 
2. Bien entendu, l’Esprit Saint peut accorder un charisme d’autorité –dans la mesure où celui qui l’exerce demeure dans l’obéissance au Seigneur.