La formation: modèle ou « coaching » ?

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Par JACQUES BUCHHOLD

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L’Église – l’expérience ne cesse de nous le rappeler – a besoin de responsables capables et formés dans bien des domaines : l’encadrement des enfants et des jeunes, la diaconie, la musique, le bricolage et l’entretien des locaux, la gestion, les questions juridiques, les relations avec les autorités, etc. Un domaine, cependant, prime dans l’Écriture : l’annonce et l’enseignement de la Parole. En effet, seuls les ministères de la Parole sont toujours nommés dans les listes des « charismes » mentionnés en Romains 12, 1 Corinthiens 12, Éphésiens 4 et 1 Pierre 41, seuls ces ministères sont indiqués au moyen du titre des « ministres » (« serviteurs ») qui les exercent (« apôtres, prophètes, évangélistes, pasteurs et enseignants ») et   1 Corinthiens 12 établit une hiérarchie entre ces ministères et les autres charismes : Dieu a placé dans l’Église premièrement des apôtres, deuxièmement des prophètes, troisièmement des enseignants ; ensuite il y a des miracles, ensuite des dons de guérison… (v. 28)

 

 

iconePDFIl n’est donc pas étonnant que la formation de ses cadres ait toujours été une préoccupation majeure de l’Église : Ce que tu as entendu de moi en présence de beaucoup de témoins, confie-le à des gens dignes de confiance qui seront capables, à leur tour, de l’enseigner à d’autres (2 Tm 2.2). De nos jours, l’Église met en oeuvre cette formation de bien des manières : séminaires de formation, formation continue (ITEA, enseignement ou cours à distance, e-learning, etc.), formation intensive (par exemple, FLTE), apprentissage (avec un pasteur formateur comme, par ex., dans les Églises ADD ou les CFRI), formation en alternance (par ex. IBG), formation plus classique agrémentée de stages en institut biblique (IBN, Emmaüs) ou en faculté de théologie (FLTE, FJC)2.

Toutes ces filières d’enseignement ont leur valeur et leur rôle à jouer dans la formation des cadres de l’Église. Le danger, cependant, serait de les confondre. La formation devrait être subordonnée au ministère visé. Un stage de secourisme ne remplace pas une formation d’infirmière, et une infirmière n’est pas un médecin, et, parmi les médecins, il y a les généralistes et les spécialistes ! Ou, pour reprendre les paroles de l’apôtre Paul, il ne suffit pas d’être « digne de confiance » ou « fidèle » pour « enseigner à d’autres » : il faut aussi en être « capable » ! La consécration ne remplace pas la compétence, et la compétence s’acquiert par l’étude et l’expérience. Or, l’acquisition d’une vraie compétence exige du temps et des efforts.

 

Jésus-Christ, l’homme-Dieu, n’a-t-il pas été « formé » pendant une trentaine d’années avant de commencer son ministère (cf. Lc 3.23) ? Or, à douze ans, déjà, il avait consciemment commencé sa formation en discutant avec les enseignants du Temple et en se consacrant aux affaires de son Père pour « grandir en sagesse, en stature et en grâce auprès de Dieu et des humains » (2.46-47, 49, 52). Entre la conversion de Paul, en Actes 9, et sa venue à Antioche de Syrie, en Actes 11.25-26, il s’est écoulé une dizaine d’années. En 1 Timothée 4.12, douze ou treize ans après l’avoir recruté (Ac 16.1-3), Paul peut encore écrire à Timothée : Que personne ne méprise ta jeunesse. Le culte de l’efficacité nous pousse à chercher des raccourcis dans la formation et, en particulier, à négliger l’étude rigoureuse de la théologie. Certains feraient presque passer la paresse pour un fruit de l’Esprit…

La « mode », à l’heure actuelle, est à l’accompagnement en matière de spiritualité et au coaching en matière de ministère. Certes, les mots n’ont de sens que dans un contexte, et il est des emplois de ces mots, dans lesquels ils sont synonymes des notions bibliques de conseil ou d’encouragement. La relation personnelle est, en effet, une dimension incontournable de la formation spirituelle ou ministérielle. Il suffit de considérer la pratique « rabbinique » de Jésus ou le fonctionnement de l’équipe missionnaire de l’apôtre Paul pour s’en convaincre, et malheur à ceux qui pensent que la formation ne se donne que du haut de la chaire ou de l’estrade.

 

Cependant, je l’avoue, l’insistance contemporaine sur l’accompagnement et le coaching me met mal à l’aise, car il me semble que l’accent scripturaire porte sur la notion de modèle et d’imitation. Les textes sont nombreux qui renvoient à ces notions dans le contexte, d’une manière ou d’une autre, de la formation :

 

Je vous y encourage donc, imitez-moi (1 Co 4.16).

 

Imitez-moi, comme moi-même j’imite le Christ (11.1).

 

Mes frères, imitez-moi, et portez les regards sur ceux qui suivent le modèle que vous avez en nous (Ph 3.17).

 

Ainsi vous êtes devenus un modèle pour tous les croyants en Macédoine et en Achaïe (1 Th 1.7).

 

Ce n’est pas que nous n’en ayons pas le droit, mais nous avons voulu vous donner en nous-mêmes un modèle à imiter  (2 Th 3.9).

 

Sois pour les croyants un modèle en parole, en conduite, en amour, en foi, en pureté (1 Tm 4.12).

 

Encourage de même les jeunes gens à être pondéré à tous égards, en te montrant toi-même un modèle de belles oeuvres, avec un enseignement pur, digne, une parole saine, inattaquable, pour que l’adversaire soit confus et n’ait rien de mal à dire de nous (Tt 2.6-8).

 

La règle est la suivante : le besoin de coaching et d’accompagnement est inversement proportionnel à l’existence de modèles à imiter. Vivre son enfance et son adolescence au sein d’une famille unie et dans une atmosphère d’amour, cela vous équipe pour une vie future de couple et crée les réflexes nécessaires à une saine éducation des enfants à venir. Certes, tous n’ont pas connu un tel modèle de vie de famille et certains souffrent de manques de repères théologiques et éthiques, et de carences émotionnelles. Ils auront besoin, plus que d’autres, de conseils… d’accompagnement, de coaching. Mais le but d’une formation, ce n’est pas de les coacher, mais de leur fournir de nouveaux modèles. Le modèle forme, le coaching répare. La vraie formation offre des modèles formateurs, le coaching sans modèle formate.

 

salle-classe-6 Abandonnons l’illusion que l’accompagnement ou le coaching pourraient remplacer, d’une manière ou d’une autre, la formation en vue du ministère, en particulier l’exigeante nécessité de l’étude de la théologie, qui seule permet d’être ancré dans la vérité. L’apôtre Paul écrivait aux chrétiens de Rome que « grâce à Dieu, après avoir été esclaves du péché », ils avaient « obéi, de coeur, au modèle d’enseignement auquel » ils avaient « été confiés » (Rm 6.17). En effet, la vérité est le modèle par excellence qui forme le serviteur de Dieu ; il nous faut la méditer, la manger, la ruminer, la laisser nous nourrir. Mais ce modèle doit s’incarner. Moi-même, je pourrais donner le nom de trois ou quatre personnes qui ont été, pour moi, au fil des années, un exemple de mise en chair de la vérité biblique. Leur modèle m’a formé ; ils ne m’ont jamais coaché. L’éducation d’un enfant prend bien des années…

 

J.B.


NOTES

 

 1. Rm 12.3-8 ; 1 Co 12.4-11, 27-31 ; Ép 4.11 ; 1 P 4.10-11.

 

2. Sens des abréviations, dans l’ordre d’apparition : ITEA : Institut de Théologie Évangélique Appliquée ; FLTE : Faculté Libre de Théologie Évangélique ; ADD : Assemblées de Dieu ; CFRI : Centre de Formation Régional pour Implanteurs ; IBG : Institut Biblique de Genève ; IBN : Institut Biblique de Nogent-sur-Marne ; Emmaüs : Institut Biblique Emmaüs ; FJC : Faculté Jean Calvin.