Le péché :

 

un anachronisme aujourd’hui ?

 

 

Par Marie-Christine Fave

 

MC-FAVE

Vous avez dit péché ? Mais on ne parle plus de péché maintenant, si ce n’est de temps à autre de péché mignon. Il s’agit alors d’une petite faiblesse qu’on reconnaît facilement, telle une gourmandise. En fait, l’expression péché mignon témoigne déjà d’une mauvaise compréhension du péché : celui-ci n’est jamais mignon ! Comment les gens réagissent-ils au terme péché ? « Quand on parle de péché, cela fait rabat-joie, explique Juliette, étudiante en première année de Droit, on pense à interdiction. Cela fait peur aussi. Et puis, on n’est pas pris au sérieux. On a plus l’habitude d’employer les mots crimes, fautes. » Le terme péché renvoie pour nos concitoyens au vocabulaire religieux. La grande majorité d’entre eux ne pratiquant pas de religion, le mot ne fait plus partie de leur langage.

 

Ils l’ont oublié !

 

« Les hommes ont oublié Dieu » Soljenitsyne

 

« Les hommes ont oublié Dieu », écrit Soljenitsyne. On peut faire le même constat dans nos sociétés occidentales aujourd’hui. Henri Blocher l’énonce ainsi : « l’homme moderne se veut sans Dieu ni maître. Il dit Je. Il s’affirme dans son individualité… Il ne tolère pas l’idée d’un ordre qui lui serait imposé »1. Paradoxalement, cette question n’est pas récente. Augustin déclarait déjà : « Nul ne nie Dieu, s’il n’a intérêt à ce qu’il n’existe pas ». Au-delà des discussions intellectuelles et des arguments classiques, se cache parfois, voire souvent, un désir de vivre sa vie indépendamment de Dieu, de faire ce qu’on veut quand on veut. Croire en Dieu pour beaucoup est synonyme d’interdictions et d’obligations. Alors la solution de facilité consiste à ne même pas se poser la question de Dieu. Je suis toujours étonnée (même après plusieurs années) lors de sondages sur des campus de constater chez certains étudiants une absence de réflexion face aux questions existentielles. Ce n’est même pas un athéisme revendicatif. Cela s’apparente plutôt à un athéisme passif : la question de Dieu n’est tout simplement pas à l’ordre du jour de leur vie. Pour eux, Dieu est comme oublié. Nos concitoyens peuvent même se passer de Dieu pour des fêtes comme Noël. Lors de microstrottoirs, nous avons demandé aux passants ce que représentait Noël pour eux. Les réponses mentionnaient surtout une fête de famille, les cadeaux. Certains regrettaient l’aspect trop commercial, mais une minorité seulement parlait de la naissance du Christ. « On a volé le sens de Noël », comme l’écrit Auderset dans un dessin.

 

Le prophète Osée avance une autre raison relative à son époque, mais qui résonne très fort de nos jours : Quand ils ont eu des pâturages, ils se sont rassasiés ; quand ils ont été rassasiés, leur coeur s’est élevé ; c’est pourquoi ils m’ont oublié. (Os 13.6) En Occident, le nécessaire et le superflu sont disponibles tout de suite ou presque, à quelques centaines de mètres ou en quelques clics sur l’ordinateur. Deux attitudes sont alors possibles.

Option 1 : on remercie Dieu de l’abondance dans laquelle il nous permet de vivre ;

option 2 : en tant qu’humanité, on s’estime autosuffisants… Plus besoin de Dieu, on gère !

 

 

Les conséquences de l’oubli

 

Dieu mis de côté, le concept de péché devient flou. On continue de s’indigner devant certains actes qu’on juge répréhensibles. Cependant, la perspective se limite à l’échelle humaine. Le mal est une atteinte aux autres : on prend en compte la dimension horizontale, mais non verticale du problème. Celui qui vit sans Dieu ne se sent pas redevable devant Dieu. Néanmoins, sa conscience, si elle n’est pas étouffée, accorde ou pas une légitimité à ses actions. La culpabilité peut alors s’installer de manière plus ou moins diffuse, plus ou moins prononcée, plus ou moins réaliste. Il faudra de toute façon gérer cette culpabilité d’une manière ou d’une autre. La véritable solution se trouve bien sûr dans la repentance et le pardon de Dieu. Mais avec une notion de péché devenue vague, il peut être plus difficile de comprendre la signification de la croix.

 

• Le bien et le mal

 

Comment définir ce qu’on appelle bien et ce qu’on considère comme mal, voire inacceptable ? Pendant plusieurs siècles, notre civilisation s’est basée sur des principes judéo-chrétiens. Dieu mis de côté, la société se retrouve seule pour établir des normes éthiques, sujettes à des courants de pensée, voire à des votes. La majorité, parfois influençable, représente-t-elle un critère suffisant ? « Le bien reste le bien même si personne ne le fait ; le mal reste le mal même si tout le monde le fait » affirme Augustin. Une telle phrase recadre la question à un niveau objectif, indépendant des pourcentages d’opinions. Dans une culture qui véhicule émotions, images, slogans, une réflexion approfondie sur nos valeurs et notre éthique de vie a à nouveau besoin de se frayer un chemin. Les sujets d’éthique requièrent beaucoup de sagesse. Et là encore, conséquence de l’oubli de Dieu, on se prive d’une aide précieuse : Le commencement de la sagesse, c’est la crainte de l’Éternel ; ils ont du bon sens tous ceux qui s’en inspirent. (Ps 111.10a)

 

 « Le bien reste le bien même si personne ne le fait ; le mal reste le mal même si tout le monde le fait. »

Augustin

 

• La valeur de l’humain

 

Pour François Mauriac : « Une société qui proclame la mort de Dieu est nécessairement conduite à proclamer la mort de l’homme ». Le Créateur mis de côté, l’homme n’est plus perçu comme créé en image de Dieu. Sa valeur ainsi que celle de sa vie se relativise. La notion de péché dans sa dimension d’atteinte à autrui, de manque de respect et d’amour du prochain ne diminue-t-elle pas aussi ? Quand ce qui compte de plus en plus, c’est l’efficacité et la rentabilité, le souci de l’humain peut devenir second. En vivant dans une société de consommation, on adopte progressivement une mentalité du jetable. Cela va pour les Kleenex, mais pas pour les relations et les engagements.

 

 

• Dire ou pas ?

 

appareil-photoChacun est influencé, au moins en partie, par la culture ambiante. « Le sécularisme contemporain opère avec force et séduction ; les tentations de se conformer à lui sont donc grandes », reconnaît John Stott2. Il nous faut déjà prendre le recul nécessaire à titre personnel pour garder une juste appréciation de ce qui, dans le culturellement acceptable, est péché ou pas devant Dieu. Ensuite cela demande souvent du courage de prendre position au travail, avec des amis ou la famille. C’est vous qui êtes le sel de la terre… c’est vous qui êtes la lumière du monde, (Mt 5.13-14) déclare Jésus. Apporter une saveur, un éclairage, implique aussi d’être compris par ceux qui nous entourent. Ce qui sous-entend de s’exprimer avec des mots accessibles par tous et de pouvoir expliquer ses choix et ses raisons. Dire nos convictions sans juger, prendre position sans faire pression sur l’autre, c’est parfois un défi. Si on rajoute le doigté de savoir quand intervenir ou pas, cela présuppose vraiment de prier pour que Dieu nous conduise. Notre parole ou notre exemple (comme ne pas tricher pendant les contrôles ou examens, annoncer à ses amis qu’on va se marier sans avoir cohabité ensemble avant le mariage, ne pas se venger…) peut interpeller et être un élément dans le cheminement de la personne qui observe. Qui dit cheminement dit temps, progression, et donc patience pour celui qui accompagne. « Être patient, c’est donner du temps à l’autre, lui donner le temps de faire la démarche lui-même, explique Frédéric de Coninck. La patience est un temps de maturation laissé à l’autre »3.

 

 

Un anachronisme ou pas ?

 

En conclusion, le terme et la notion de péché ne semblent pas vraiment faire partie de la vie courante de nos concitoyens. Et pourtant, l’être humain n’a pas changé dans sa nature : Le coeur est tortueux par-dessus tout et il est incurable : Qui peut le connaître ? (Jr 17.9) Alors 21e siècle ou pas, nous pouvons reconnaître comme John Newton : « Puis-je au moins conserver le souvenir de ces deux choses : que je suis un très grand pécheur et que Jésus est un très grand sauveur ». L’apôtre Paul lui-même déclarait que le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, dont je suis, moi, le premier. (1 Tm 1.15)

 

 


NOTES

 

1. La foi et la raison, Henri Blocher

 

2. Le chrétien et les défis de la vie moderne, John Stott

 

3. Éthique chrétienne et sociologie, Frédéric de Coninck