Protection de l’environnement et responsabilité chrétienne

 

secheresse 

 

 

Par Frédéric BAUDIN

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Multiplier et remplir : peupler la terre

 

Pendant des millénaires, la population mondiale est restée relativement stable ou marquée par une croissance très faible et très lente. Or, la population mondiale est passée d’environ 1 milliard en 1800 à 6,7 milliards d’habitants en 2008. Cette explosion démographique est en partie la cause de la dégradation de notre environnement actuel. Pour nourrir cette population sans cesse croissante, il a fallu développer l’agriculture et l’industrie, puis assurer la distribution à grande échelle des produits. Ces mesures indispensables ont malheureusement entraîné une forte croissance de la  consommation d’énergie et une pollution indubitable, elles ont perturbé les équilibres naturels.

On estime que la population mondiale pourrait culminer à environ 8 ou 10 milliards d’individus d’ici un demi-siècle à un siècle. On pense qu’il sera possible de nourrir cette population, à condition qu’aucune perturbation majeure ne survienne. Le défi est donc aujourd’hui de trouver des solutions agricoles, industrielles et urbaines, qui nuisent le moins possible à l’environnement, tout en permettant de nourrir et d’abriter au mieux le plus grand nombre d’individus, sans freiner le progrès scientifique, technologique, économique et social. Le rapport de Mme BRUNTLAND1 (1987) précise que le développement actuel doit s’inscrire dans la durée pour permettre aux générations futures de vivre dans des conditions de confort optimales. On parle donc désormais de développement durable.

 

 

Dominer et soumettre : gérer la création

 

Depuis les débuts de l’ère industrielle, nous voyons se développer une domination humaine immodérée. La surexploitation des ressources naturelles menace les milieux et les espèces sur tous les continents. Ce bilan préoccupant peut toutefois pousser l’humanité à trouver des solutions ; cela nous conduit aussi à revenir à une compréhension plus juste des verbes de la Genèse, une meilleure interprétation.

 

A l’origine, les hommes et les femmes étaient invités à remplir, dominer et cultiver la terre en communion avec Dieu, avec amour et justice. Ils étaient tenus de prendre soin de la création pour le bien de toutes les créatures et pour la gloire du Créateur. L’un des verbes hébreux traduits par dominer (radâ) est employé dans ce sens à plusieurs reprises dans la Bible. Les prophètes exhortent le roi à exercer sa domination avec justice, pour le bien de tous. Il est appelé à se conduire comme un berger envers son troupeau, et non comme un tyran assoiffé de pouvoir.

 

Le verbe hébreu habituellement traduit par soumettre (kâbash) a aussi le sens de « prendre possession ». C’est ainsi qu’on peut le comprendre dans la littérature du Proche-Orient ancien, lorsque le souverain donne l’autorisation à l’un de ses gouverneurs de « fouler aux pieds » son territoire pour l’administrer en son nom, avec sagesse et intelligence2

 

Cultiver et garder la terre

 

Au-delà du sens littéral (cultiver la terre pour se nourrir), en hébreu, les verbes cultiver (abad) et garder (šamar) ont aussi une connotation spirituelle et religieuse. Selon le contexte, le verbe cultiver peut avoir le sens de « rendre un culte » « servir Dieu » Ce verbe désigne, par exemple, l’activité des lévites dans le temple de Jérusalem. Le peuple d’Israël est invité à garder les commandements, à veiller à les accomplir ; il doit également garder l’alliance de Dieu, le sabbat, son âme.

 

Ces verbes de la Genèse signifient donc que l’autorité déléguée par Dieu aux êtres humains, leur vocation de remplir et de cultiver la terre, d’identifier, de nommer et protéger les êtres vivants, leur domination ainsi définie implique leur responsabilité humaine et religieuse.

 

 

Révélation générale et responsabilité

 

Comme le suggère l’apôtre Paul au début de sa lettre aux Romains, la nature porte l’empreinte du Créateur. Cette révélation de Dieu dans la nature est partielle, mais elle rend les hommes et les femmes indéfendables de ne pas avoir honoré Dieu. Cette révélation fonde donc leur responsabilité. Elle dévoile aussi leur faute devant Dieu. Ils ont tout renversé : au lieu de dominer les poissons, les oiseaux et les reptiles (cf. Gn 1.28), ils se sont abaissés au point de les diviniser, ils leur ont « rendu un culte »3

 

Les fautes dénoncées par l’apôtre Paul dans la suite de sa lettre aux Romains trahissent le désir de l’être humain de vivre dans la démesure, sa prétention à franchir les limites de sa condition, tant sur le plan spirituel que moral et pratique. Les hommes et les femmes distendent ainsi, jusqu’à les rompre, les liens créationels. Cette attitude a des conséquences néfastes dans tous les domaines : familial, sexuel, social et économique.

 

 

Une création solidaire

 

Les lois de l’Ancien Testament mettent en effet en évidence les liens de solidarité entre l’homme et la nature. Dans les livres du Lévitique et du Deutéronome, en particulier dans l’énoncé des bénédictions et des malédictions, un lien étroit est souligné entre l’obéissance aux lois transmises par Moïse, le climat favorable, la fertilité de la terre et l’abondance des récoltes. Dans ces conditions, le peuple de Dieu peut rendre un culte à Dieu par amour et par reconnaissance lors des grandes fêtes agricoles. En principe, par sa soumission à Dieu, par sa conduite juste, l’être humain peut assurer la sauvegarde et la prospérité de la création. Toute la création est donc solidaire.

 

Cela demeure toutefois un idéal à atteindre. Depuis la Chute, la rupture de l’Alliance avec Dieu, le monde est marqué par la réalité du mal. Il reste néanmoins vrai que si les hommes et les femmes se pliaient autant qu’il est possible à cet ordre créationnel, s’ils respectaient ces priorités imposées pour leur bien par le Créateur, s’ils aimaient Dieu avec confiance, la création s’en porterait certainement d’autant mieux…

 

 

Une vision du monde spécifique

 

deforestationII est juste de voir dans la nature un enchaînement de causes et d’effets, qu’il nous appartient de bien comprendre pour le maîtriser et en tirer un certain avantage, fin de trouver les moyens de (mieux) vivre dans ce monde. Mais si notre vision du monde reste purement mécaniste (c’est ce que l’on retient en général du credo cartésien !), si nous exploitons les ressources sans référence à Dieu, sans règle éthique bien définie, sans limite, le danger de mal gérer et de détruire la création est d’autant plus grand.

 

La volonté de dominer la nature, afin d’en tirer le plus grand bénéfice et le plus immédiat, la cupidité (l’amour de l’argent érigé en dieu implacable, (cf. Colossiens 3.5), conduisent le plus souvent les hommes et les femmes à forcer les limites du temps ou de l’espace comme de la nature. Le rendement et le profit sont sans doute légitimes, mais ils ont aussi leurs limites, tout comme la fameuse « croissance économique » certes révélatrice d’un monde en mouvement, sans qu’elle s’impose par tous les moyens pour dominer nos esprits et nos comportements, au point même d’asservir l’humanité et la création tout entière.

 

 

Repos, confiance et limites

 

tracteurLe sabbat était l’un des garde-fous donnés autrefois par Dieu à son peuple pour l’empêcher de rompre les liens créationnels, pour lui éviter de vivre de façon entièrement autonome, et pour le mettre en garde contre la tentation de diviniser la nature ou les êtres vivants. Un jour par semaine, le peuple d’Israël devait cesser tout travail. Le repos était pour ces hommes et ces femmes un signe de leur dépendance envers le Seigneur, de leur foi en un Dieu unique et invisible.

 

Les Israélites pouvaient ainsi placer leur confiance en ce Dieu souverain qui pourvoyait à leurs besoins élémentaires pour vivre, même lorsqu’ils se reposaient. Le repos était étroitement lié à la notion de grâce et de providence. Ce jour rappelait chaque semaine aux hommes et aux femmes qu’ils étaient limités dans le temps et dans l’espace. Pour honorer Dieu, ils devaient ainsi tenir compte de leurs limites aussi bien que de celles des autres créatures, dont les animaux avec lesquels ils travaillaient.

 

Enfin, la référence à la création était explicite : le jour du sabbat, le peuple de Moïse se reposait pour célébrer le Créateur. La terre même devait « jouir de ses sabbats » se reposer pour être plus féconde. Mais lorsque les commandements divins étaient transgressés, elle « vomissait » les habitants (Lévitique 18.28).

 

La métaphore biblique est éloquente ! La terre ne supporte pas l’exploitation abusive des hommes, la transgression du repos, la non-foi en Dieu souverain et providentiel. Elle subit les effets de la désobéissance des hommes à la Loi de Dieu, au point de la rendre malade. Les hommes et les femmes peuvent donc dominer et soumettre la création, à condition qu’ils restent soumis à leur Créateur, dominés par le Seigneur.

 

 

De l’idéal à la réalité

 

Notre éthique et notre gestion responsable de la nature n’apporteront qu’une amélioration partielle. Dieu seul reste souverain pour régénérer cette terre, pour « créer de nouveaux deux et une nouvelle terre », selon l’expression du prophète Esaïe ou de l’apôtre Jean. Mais en attendant cette « révélation » ultime de Jésus-Christ, nos réserves naturelles et énergétiques sont limitées. L’eau potable manque dans de nombreuses régions du monde et pose des problèmes de régénération dans nos pays développés ; bien des ressources comme le pétrole, le gaz ou l’uranium ne sont pas inépuisables. Malgré de réels efforts pour la réduire, la pollution franchit souvent les limites de l’intolérable. Il est loin d’être sûr que les énergies renouvelables puissent satisfaire la demande croissante d’énergie dans le onde. Il semble surtout de plus en plus évident que nous ne pouvons plus continuer de vivre de la même manière.

 

Pour se rapprocher de l’idéal du développement durable, nous devons donc changer nos modes de comportement. Nous pouvons économiser nos ressources, protéger et mieux gérer le patrimoine naturel qui nous est confié, penser aux générations futures et dénoncer l’égoïsme de notre génération. Nous partageons cette responsabilité avec l’ensemble de nos contemporains engagés dans tous les domaines. Nous sommes placés à ce titre devant un triple défi. Il s’agit pour nous de réévaluer notre rapport au temps, à l’espace et aux ressources naturelles, de pair avec les moyens financiers et techniques dont nous disposons souvent sans grande sagesse.

 

A coup sûr, ce triple défi révélera aussi nos faiblesses et nos contradictions, mais il nous faut les affronter résolument ! La foi chrétienne, la relation avec le Dieu de l’alliance basée sur la révélation biblique peut devenir cependant une source de motivation puissante pour se rapprocher de l’idéal du développement durable. Car prendre soin de la création, dans le temps présent, c’est aussi une façon d’aimer Dieu et notre prochain…

 

E.B. 


NOTES

 

1.  La Norvégienne Gro Harlem brundtland a présidé la Commission mondiale sur l’environnement et le développement. Le rapport « Notre Avenir à Tous » définit la politique nécessaire pour parvenir à un « développement durable ».

 

2.  Cf. Stèle de Thoutmès III (Karnak, Egypte, XVIIIe dynastie, 1505 -1450 av. J.-C.), et lettre de Sargon II (Assyrie, 722-705 av. J.-C).


3.  C’est littéralement le cas de certains mouvements écologistes qui empruntent aux religions païennes le culte de Gaïa, la terre élevée au rang de déesse mère.