REMBRANDT, le pèlerin

1606-1669

 

 

 

par Claude MOURLAM1

 

 

Cet article est la retranscription d’une conférence donnée au CEP La Bonne Nouvelle de Holtzheim, en juin 2005 au cours de son exposition artistique. L’auteur l’a repris. Le style oral a été volontairement gardé.

 

Le pèlerinage de Rembrandt van Rijn ne débute pas vraiment à sa naissance, le 15 juillet 1606 à Leyde, ni quand il commence à peindre ou à devenir célèbre, à partir de 1632, du côté d’Amsterdam. Non, la vie de pèlerin avec son cortège de questions sur le sens de l’existence humaine et sa quête de Dieu débute seulement chez Rembrandt en 1642.

 

 

 

 

1642 : une année-clef dans la vie de Rembrandt

 

En effet, l’année 1642 est retenue comme fondamentale par la grande majorité des biographes de Rembrandt. Par contre, la trajectoire qui en découle, elle, est interprétée de bien des manières différentes.

 

Que représente cette date ? Elle correspond au décès de son épouse, Saskia qu’il chérissait plus que tout et dont il va, cette année-là, intégrer le portrait (de façon inadéquate) dans sa célèbre « Ronde de nuit ». Cependant, la lourde épreuve qui conduit si souvent aux portes de l’enfer va, en fait, lui faire découvrir progressivement le chemin qui mène au paradis…

 

Comment est-ce possible ? s’interrogeront certains avec raison. À Dieu rien n’est impossible, répondront peut-être d’autres un peu rapidement, avec la facilité de ne pas vivre cette même épreuve. Mais plutôt que d’élucider ce mystère, observons plus modestement dans l’oeuvre de Rembrandt les traces d’une lente mais bien réelle maturation spirituelle.

 

 

Adieu l’ascension vers la gloire !

 

Cette maturation passe par un chemin qui descend. Là-dessus, tout le monde semble d’accord, même le cinéaste britannique, Peter Greenaway, qui, à l’occasion du quatrième centenaire de la naissance de Rembrandt, a fait une mise en scène très remarquée de « La Ronde de nuit », suscitant la curiosité du public du Rijksmuseum d’Amsterdam (avec notamment des photos de détails mis en lumière).

 

Il a en effet déclaré : « 1642 (…) représente à tous les points de vue un tournant. Rembrandt est alors entraîné dans une spirale descendante, qui se termine dans un taudis crasseux du quartier populaire du Jordaan. Après la gloire d’un Bill Gates, la misère2. »

 

Effectivement Rembrandt connaîtra la misère, mais derrière cette réalité se cache une vérité qui apparemment a échappé au regard du metteur en scène (non théologien et sans doute très occupé à préparer un film sur Rembrandt pour 2007).

 

 

La résurrection de Lazare

 

Comme révélateur de cette vérité, prenons pour premier exemple une oeuvre, ou mieux plusieurs, dont l’une au moins datant d’avant 1642, mais portant toutes sur le même sujet : la résurrection de Lazare.

 

– 1630 : Le tableau (huile sur bois) se trouve aujourd’hui au County Muséum of Art de Los Angeles. Il présente une illustration d’un passage de l’évangile de Jean (chapitre 11) mais, à cette époque-là, Jésus est perçu par l’artiste uniquement comme un magicien au geste très théâtral (voire impérial). Il s’apparente à un Christ apollinien, deux fois plus grand que les autres personnages.

 

De même, les gestes reflétant la frayeur des juifs, témoins du miracle, paraissent excessifs, artificiels, notamment les bras levés des deux femmes (à gauche du tableau, Marthe et Marie ?), qui expriment ainsi une perplexité exagérée. Cette mise en scène très baroque sera encore soulignée davantage dans une gravure au burin de 1632 (Rijksmuseum d’Amsterdam) qui reprendra ce dessin avec quelques modifications intéressantes comme les nouveaux effets de clair-obscur auxquels parvient Rembrandt.

 

Il place un intense rayon de lumière qui provient du centre du côté droit puis traverse obliquement le milieu de la scène et va heurter le rocher qui sert de tombe à Lazare. Jusqu’au placement des personnages (placés en effet-miroir par rapport au tableau original), tout y est plus intense et cela permet à l’artiste de mettre ainsi un coup de projecteur sur un thaumaturge tout-puissant.

 

– 1642 : L’eau-forte (parfois attribuée à Carel Fabritius, élève de Rembrandt de 1641 à 1643) respire une certaine sérénité. Le Christ y est représenté à taille humaine (ce n’est plus un géant qui en impose) et la compassion se lit sur son visage. Quant à Lazare, il est non seulement plus « réveillé » que sur les représentations anciennes (où le visage reflétait la mort) mais on le trouve presque « souriant à la vie » et inondé de lumière.

 

 

Les pèlerins d’Emmaüs

 

Une deuxième comparaison de tableaux permet d’illustrer cette évolution flagrante chez Rembrandt : celle des pèlerins d’Emmaüs.

 

-1629 : On peut voir ce tableau au Musée Jacquemart-André à Paris. Il présente une illustration d’un passage de l’évangile de Luc (chapitre 24). Mais l’histoire biblique ne semble ici qu’un prétexte à la peinture. Jésus prend la pose d’un Maître hautain ou du moins très froid et qui a de quoi impressionner ses compagnons de route.

 

L’un a d’ailleurs renversé sa chaise (à gauche) et l’autre (au centre) a une expression du visage qui en dit long sur sa peur. D’ailleurs il s’incline et se fait tout petit devant Jésus. On est loin d’une relation de confiance ! De plus, selon un effet très utilisé dans l’art baroque pour ériger une barrière entre le spectateur et la scène, le Christ est au premier plan à contre-jour. Il est perçu ainsi comme un véritable obstacle à la lumière !

 

– 1648 : Autre époque, autre message délivré par l’interprète Rembrandt ! Sur ce tableau (visible au Louvre à Paris), autant l’architecture de l’auberge que le mobilier ou la position des différents personnages, tout semble être équilibré autour de l’axe central Jésus-Christ d’où émane également une lumière. Jésus est devenu la véritable source. Source de lumière pour ses convives avec qui il va partager le pain.

 

Source d’équilibre pour toute la scène. Source d’inspiration enfin pour l’artiste Rembrandt qui s’invite et nous invite avec lui dans le cercle des conviés à la Cène. Cependant rien ne frise l’extraordinaire dans cette interprétation. Il s’agit simplement d’un partage. Le partage d’une foi qui s’est progressivement ancrée dans le coeur du peintre hollandais !

 

 

Conclusion

 

Les exemples autour de la « Résurrection de Lazare » et des « Pèlerins d’Emmaüs » sont, parmi d’autres, significatifs de l’évolution de la peinture de Rembrandt. Et pour conclure sur cette lancée, venons-en au terme du pèlerinage de ce grand artiste du 17è siècle.

 

Après s’être représenté en autoportrait comme étant un « Fils prodigue » revenu vers le Père (cf. Luc 15/11-32; tableau de 1668, au Musée de l’Ermitage à Saint-Petersbourg), il laisse sur son chevalet une oeuvre pas tout à fait achevée : « Syméon et l’enfant Jésus dans le Temple » (cf. Luc 2/33-35).

 

Ce tableau, daté donc de 1669 et visible au Nationalmuseum de Stockholm, représente l’aboutissement d’un chemin qui lui a permis d’épurer, d’alléger ses peintures pour ne plus montrer ?! que l’essentiel. Et là aussi, si l’on compare avec une oeuvre de jeunesse (cf. la version de 1627, du musée Hamburger Kunsthalle), on peut comprendre tout le chemin parcouru par Rembrandt, qui, dans sa misère apparente, s’est tellement enrichi du point de vue spirituel. Sous les traits de Syméon, il semble lui-même pouvoir exprimer toute sa reconnaissance d’avoir rencontré le Christ et pouvoir faire sienne cette prière : « Seigneur, je peux maintenant aller en paix car mes yeux ont vu ton salut… »

 

Rembrandt van Rijn s’est éteint le 4 octobre 1669 à Amsterdam. Mais les lumières qu’il a déposées sur ses toiles continuent de briller aujourd’hui encore comme autant de témoignages de sa foi en Christ, le compagnon de route qui l’a accompagné dans ses ténèbres tout au long de sa vie de pèlerin. Et on peut dire que d’une certaine manière, il avait réussi à atteindre au 17ème siècle ce que le Suisse Paul Klee considérera plus tard comme un idéal pour un peintre : « II ne doit pas rendre le visible mais rendre visible. »

 

C.M.

 


 NOTES

 

1. Claude Mourlam est pasteur luthérien (Eglise Protestante de la Confession d’Augsburg d’Alsace et de Lorraine)

 

2. N° 820 du « Courrier international », en juillet 2006)