Marie à travers l’histoire

 

Marie 

 

par Reynald KOZYCKI

 

 

Dans sa belle prière du Magnificat, Marie annonçait que toutes les nations la diraient bienheureuse1 . Son exemple de foi et d’humilité a suscité incontestablement une admiration de l’ensemble de la chrétienté à travers les siècles. Néanmoins, pour une partie du christianisme, cette admiration a pris des proportions surprenantes.

 

 

 

Cette humble servante, porteuse, il est vrai, du Verbe divin, a reçu progressivement les titres les plus élogieux : Mère de Dieu, Notre-Dame, Madone glorieuse, Sainte-Vierge perpétuelle, Reine des deux, Immaculée conception, co-Rédemptrice…

 

La devise de Jean-Paul II en dit long sur la place qu’elle occupe désormais auprès de certains : Totus tuus (tout à toi Marie). En quelques paragraphes, au risque de prendre de nombreux raccourcis, nous allons tenter de résumer quelques points de l’histoire de cette ascension !

 

 

La sobriété des premiers siècles

 

La Bible annonce, des siècles à l’avance, la venue d’une jeune fille vierge enfantant un fils nommé Dieu-avec-nous2 . Le Nouveau Testament nous présente très sobrement la mère de Jésus (voir les articles précédents). Si elle joue un rôle assez important à la naissance de son « premier-né », on ne parle ensuite que très peu d’elle. Après Actes 1, c’est même le silence complet. La Bible n’exalte réellement que le Père et le Fils. Eux seuls, sont dignes de toute l’adoration et la gloire. Eux seuls, par l’Esprit, sont l’objet des prières de son peuple.

 

Les écrits des Pères de l’Eglise respectent globalement cette sobriété biblique. Quelques exceptions apparaissent ici et là. Le texte apocryphe Protévangile de Jacques, écrit au 2ème siècle raconte la vie de Marie. L’auteur, qui se fait passer pour le frère du Seigneur, manifeste une imagination débordante. Par exemple, dès son enfance, elle aurait été élevée dans le Saint des saints, nourri par des anges et dansant avec eux (15.3).

 

D’Irénée à Augustin (du 2ème au début du 5ème siècle), plusieurs prédicateurs et auteurs jouent sur l’interprétation allégorique de la Bible et voient en Marie une sorte de nouvelle Eve, réparatrice de la faute originelle par son Fils.

 

 

Marie, mère de Dieu !

 

En 431, le concile d’Ephèse parle de Marie comme de la Mère de Dieu – theotokos. Il faut replacer néanmoins cette affirmation dans son contexte historique où un nombre important d’hérésies nient la divinité de Jésus. L’Evangile de Luc a bien appelé Marie, la mère du Seigneur (Luc 1.43).

 

Les Réformateurs et plusieurs théologiens évangéliques ne contrediraient pas cette formulation de theotokos. Malheureusement cette déclaration contribuera au démarrage d’un culte universel à Marie.

 

 

Vierge perpétuelle !

 

Origène l’affirmait déjà à la fin du 3ème siècle3 . Le Concile du Latran, en 649, formulera la condamnation suivante :  » Si que/qu’un ne confesse pas, selon les saints Pères, en un sens propre et véritable, Mère de Dieu la sainte, toujours vierge et immaculée Marie… sa virginité demeurant inaltérable aussi après l’enfantement, qu’il soit condamné  » (Canon 3). Rappelons que la Bible n’affirme pas cette vérité, elle sous-entend plutôt que Marie ait eu d’autres enfants (par exemple Mt 1.25, Mc 6.3...).

 

 

Déesse mère ?

 

La dynastie des Carolingiens, à partir de 751, utilise les images de Marie pour asseoir leur royauté. Vers cette époque, la Mère de Dieu devient aussi Reine de la terre et Reine des cieux4 . Les mots se rapprochent dangereusement de ceux utilisés pour la Déesse mère présente dans presque toutes les religions païennes5 .

 

Malgré les minimisations de plusieurs théologiens catholiques à propos des relations possibles entre le culte à Marie et celui de la Déesse mère, les rapprochements sont assez étonnants6 . Plusieurs lieux de culte de la Déesse mère sont devenus des sanctuaires à Marie, notamment à la Vierge noire7 .

 

ISIS ET OSIRIS

 

A cette époque, plusieurs « images saintes » représentant Marie, reprennent tout simplement, en changeant le nom, les icônes d’Isis et de son fils Osiris, ou de Cybèle, de Diane d’Ephèse…

 

La tentation de voir glisser le peuple de Dieu dans cette déviation n’est pas nouvelle. Jérémie, par exemple, met en garde solennellement Israël au VIème siècle avant Jésus-Christ, de ne pas céder au culte de la Reine du Ciel (Jr 44.17-25). Dieu va jusqu’à jurer sa malédiction à ceux qui offrent de l’encens et versent des libations à cette déesse (v. 25-26).

 

 

Les débordements des XIè-XIIIè siècles

 

Au XIème, Saint Dominique établit la pratique du rosaire et du chapelet. Les pèlerinages à la Vierge commencent à se développer. A Laon, à Soissons, à Chartres…, des foules viennent toucher les reliques de Marie (sa blanche chemise, son fin soulier, son lait ou ses cheveux… ). Les récits de miracles de la Vierge se multiplient8. Bernard de Clairvaux et Bonaventure, en dépit des réserves de Thomas d’Aquin, vont appuyer le culte rendu à Marie.

 

 

Marie patronne de la France !

 

En 1630, Louis XIII et Anne d’Autriche vinrent faire un voeu à Fourvière en demandant la grâce d’avoir un fils (le futur Louis XIV) après 22 ans d’attente. En 1638, à la naissance du Dauphin, le roi consacra la France à Marie. Elle en est désormais la patronne principale.

 

 

Les grands dogmes

 

En 1854, le dogme de l’Immaculée Conception est enfin arrêté (formulé déjà au Concile de Baie au XVème siècle, mais non retenu). Ce dogme est appuyé par les apparitions de la Salette (1851), Lourdes (1858), Fatima (1917)… Il est présenté comme « divinement révélé », résumé en ces termes : « L’Immaculée Mère de Dieu, Marie toujours vierge, une fois achevé le cours de sa vie terrestre a été assumée (élevée) corps et âme à la gloire céleste. ». En 1950, le dogme de l’Assomption est proclamé9  : « Marie Immaculée, mère de Dieu, toujours vierge à la fin de sa vie terrestre, a été élevée en âme et en corps, à la gloire céleste ».

 

 

Marie corédemptrice ?

 

Le Saint-Siège a demandé officiellement à une commission théologique, issue d’un congrès mariologique international d’août 1996, d’étudier la possibilité de définir un nouveau dogme sur Marie « Corédemptrice, Médiatrice et Avocate ». La réponse fut plutôt négative : « … bien loin de l’unanimité théologique essentielle qui, pour ce qui est des questions doctrinales, reste la condition indispensable d’une définition dogmatique ». Peut-être d’ici quelques décennies, le culte marial continuera son ascension par un nouveau dogme ?

 

 

Brève évaluation

 

loupeComme l’écrivait le groupe des Dombes, regroupant des théologiens catholiques et protestants : « Ni le dogme de l’Immaculée Conception, ni celui de l’Assomption corporelle de la Vierge Marie n’ont d’assise biblique crédible. Seul le recours à des arguments de tradition ou de cohérence doctrinale permet de les justifier. Comment dès lors agréer une doctrine présentée comme vérité de foi alors qu’elle n’est pas enracinée dans les Ecritures ? »10 . Rappelons que celui qui veut être disciple de Jésus cherche à demeurer dans Sa parole (Jn 8.31), il sait combien la Tradition peut facilement étouffer ou annuler cette parole (Mc 7.9), il sait aussi que le premier commandement consiste à ne rendre un culte qu’à Dieu.

Puissions-nous reconnaître et admirer l’exemple de Marie dans sa foi et son humilité, mais ne pas glisser dans les nombreuses tentations d’adorer et servir la créature au lieu du Créateur qui est béni éternellement (Rm 1.25).

 

R.K.


 NOTES

 

1. Lc 1.48-49

 

2. Es 7.14. Voir aussi l’article de cette même revue, « Conçu par l’Esprit », Servir n°6, 2005

 

3. Origène, Commentaire sur Saint-Jean, 1,4, Sources chrétiennes 120, p.71, cité par le groupe des Dombes, Marie dans le dessein de Dieu et la communion des sainte, Bayard Editions, 1999, p. 26. Voir aussi Henri Gras, Marie Servante du Seigneur in www.bible-ouverte.ch/marie/marie8.htm.

 

4. Cette expression est nuancée par les propos de grandes figures catholiques, le pape Pie XII écrivait dans son encyclique du 11 octobre 1954 : « Sans doute, seul Jésus-Christ, Dieu et homme, est Roi, au sens plein, propre et absolu du mot ; Marie, toutefois, participe aussi à sa dignité royale, bien que d’une manière limitée et analogique, parce qu’elle est h Mère du Christ Dieu et qu’elle est associée à l’oeuvre du Divin Rédempteur dans sa lutte contre ses ennemis et dans son triomphe remporté sur eux tous… ». Louis-Marie Grignon de Montfort écrivait aussi par souci de nuances : « J’avoue avec toute l’Église que Marie n’étant qu’une pure créature sortie des mains du Très-Haut, comparée à sa Majesté infinie, est moindre qu’un atome, ou plutôt n’est rien du tout. », mais cette déclaration ne l’empêchait pas de faire de lui l’apôtre de la dévotion mariale.

 

5. On peut lire par exemple les articles de l’Encyclopédie Universalis, Grande Mère des Cieux, Gaule ; voir aussi l’article consacré à Marie par l’historienne Sylvie Barnay www.canalacademie.com/article576.html

 

6. Voir par exemple André Cabes, professeur de théologie mariale, qui dément ce rapprochement (dossier du Pèlerin, spécial Marie, août 2005, page 49). D’autres théologiens, comme l’ex-docteur catholique Eugène Drewermann, y consacre un chapitre entier dans son best-seller Fonctionnaires de Dieu, Albin Michel 1993, en établissant le parallèle évident entre le culte de la déesse mère Cybèle et la Vierge Marie.

 

7. « Presque tous les aspects de ce culte laissent transpirer un paganisme originel, resté incroyablement vivace après des siècles de christianisation et de chasse aux superstitions. La plupart de ces Vierges noires sont liées à des rites de fertilité, de fécondité et de sexualité. » http://www.dinosoria.com/viergenoire

 

8. Voir par exemple Miracles de Notre Dame de Gauthier de Coincy (1218), Miracle de Théophile (1260) de Ruteboeuf.

 

9. Osservatore Romano, Edition hebdomadaire française du 24 juin 1997

 

10. Groupe des Dombes, Marie dans le dessein de Dieu et la communion des saints, Bayard Editions, 1999, p. 65