L’étranger dans la Bible

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par François-Jean MARTIN

 

 

 

Tous des immigrés.

 

 

 

 

II est frappant de remarquer que dans la Bible, on voit dès le commencement les hommes en exil : nos premiers parents obligés de quitter Eden, Noé ballotté sur les flots, Abraham appelé par Dieu à quitter son pays pour un pays qu’il ne connaît pas. Or celui-ci, hormis la propriété funéraire qu’il acquit n’en est pas moins demeuré « un émigré et un hôte1 » (Gn 23.4).

 

 

II avait pourtant foi en la parole de Dieu mais il avait de ce dernier une haute conception. Il se considérait sur cette terre que Dieu lui avait promise comme un immigré et un hôte dans la maison de Dieu à qui tout appartient et devant qui l’homme n’est qu’un simple hôte de passage. Or Abraham est le père des croyants. Les patriarches qui ont suivi, ont poursuivi cette situation : Isaac à Guérar chez Abimelek (Gn 26.1-3), Jacob s’enfuyant chez Laban (Gn 32.5), puis contraint avec tous les siens de s’enfuir en Egypte, où ils demeureront 400 ans. Moïse s’est enfui à Madian et il appelle son fils Guershôm car dit-il « je suis devenu un émigré en terre étrangère » (Ex 2.22 ; 18.3).

 

 

L’histoire d’Israël est parcourue d’exils. Ainsi les pères fondateurs et législateurs d’Israël ont été des émigrés ainsi que tout le peuple. Et Dieu rappelle cela sans arrêt à Israël, dès le prologue du texte fondateur du décalogue et tout au long des lois qu’il leur donne. Mais ce rappel, n’est pas conçu par Dieu comme un souvenir, il est une réalité à vivre pour le peuple même installé en Canaan. Ainsi dans la loi du jubilé, Dieu dit : « Une terre ne devra jamais être vendue à titre définitif, car le pays m’appartient et vous êtes chez moi des étrangers et des immigrés. » Donc la conquête de la terre promise par les Hébreux, ne faisait pas d’eux des propriétaires mais seulement des gestionnaires.

 

En ces jours où notre planète soupire plus que jamais pour sa délivrance de la pollution, les êtres humains devraient se souvenir que dès la création, nous avons été placés comme jardiniers de la terre, gestionnaires et non comme propriétaires. On pourrait aussi réfléchir à cette question en Israël où tous, juifs, chrétiens et musulmans se réclament d’Abraham, mais se sentent bien peu émigrés et hôtes.

 

Comment cela se traduisait-il, à l’époque biblique, pour l’étranger qui résidait en Israël ?

 

 

Le statut de l’émigré en Israël

 

La vie communautaire en Israël était placée sous l’autorité de la loi mosaïque. Il y avait en Israël un nombre important d’émigrés, venus avec eux d’Egypte, anciens habitants du pays ou d’autres pays, que la loi ne pouvait ignorer. Celle-ci est d’ailleurs très précise en ce qui les concerne.

 

Au point de vue social, ces étrangers résidants ne sont pas des esclaves mais sont des hommes libres. Ils n’ont pas tous les droits civiques, car ils n’ont ni droits politiques, ni droits de propriété foncière en Israël. Ils étaient donc, au début de la royauté, réduits à louer leurs services (Dt 24 :14). Ils étaient généralement pauvres et étaient assimilés aux indigents, aux veuves et aux orphelins donc à tous les « économiquement faibles » qui étaient recommandés à la charité des Israélites.

 

C’est pourquoi, on devait les laisser ramasser les fruits tombés, cueillir les olives oubliées sur l’arbre, grappiller les vignes, glaner après la moisson (Lv 19.10 ; 23.22, Dt. 24.19-21, Jr 7.6 ; 22.3, Ez. 22.7, Za 7.10). Ils avaient part à la dîme triennale (Dt 14.29), et aux produits de l’année sabbatique (Lv 25.6). Dans les procès, ils devaient être traités avec la même justice que tout Israélite (Dt 1.16) mais étaient aussi soumis aux mêmes peines qu’eux (Lv 20.2 ; 24.16, 22).

 

Ils étaient concernés par la législation sur :

 

– Le sabbat (Ex 20.10 ; 23.12)

 

– Le jour des expiations (Lv 16.29)

 

– Les offrandes (Lv 17.8 ; 22.18, Nb 15.14-16)

 

– La consommation du sang (Lv 17.10-13)

 

– La pureté légale (Lv 17.15 ; Nb 19.10 ; Dt 14.21)

 

– L’idolatrie et le blasphème (Lv 20.2 ; 24.16)

 

– Le repas sacré (Lv 22.10)

 

– Les dettes (Lv 25.35)

 

– L’esclavage (Lv 25.44-54)

 

– L’expiation des fautes (Nb 15.26,29-30)

 

– Les villes refuges (Nb 35.15)

 

– La loi du talion (Lv 24.22)

 

rouleauDans la vie courante, il n’y avait pas de barrière entre étrangers résidants et Israé-lites. C’était aussi le cas pour les fêtes nationales. Ainsi tous les émigrés qui avaient lié leur destin à celui d’Israël en se faisant circoncire pouvaient participer à la Pâque. Ils étaient associés à l’alliance (Dt. 29.10, Jos 8.33) et s’engageaient à respecter les lois (Dt 31.12 ; Jos 8.35).

 

En fait nos lois républicaines françaises sur la situation de l’étranger résidant légal, sont proches mais hélas pas toujours localement appliquées.

 

On aurait pu aussi, développer ce sujet à partir de la réalité que tous les hommes sans exception ont été créés à l’image de Dieu et jouissent de ce fait de la totale dignité de la personne humaine. Mais nous savons que la chute s’est traduite par les conséquences du péché à savoir, abus, violence, autoritarisme, dictature, esclavage, meurtres… Aussi Dieu donne un cadre légal pour protéger les plus faibles, et un cadre moral qui plaçait en préambule de tout, la situation des Hébreux sur la terre, comme hôtes de passage. C’est aussi le cas pour nous, qui sommes sur cette Terre, des « émigrés et hôtes ». Aussi Dieu propose une éthique que nous allons voir.

 

 

« Tu aimeras l’émigré comme toi-même »

 

Etre émigré, c’est souvent être en position de faiblesse, objet de l’injustice des hommes (Ps 94.6, Ez 22.7, 29 ; Za 7.10). Ceci entraîne que nous avons des devoirs à leur égard, comme vis-à-vis des pauvres, des veuves et des orphelins. C’est pourquoi la Thora les protège. Dieu a toujours soin de ceux sur qui pèsent particulièrement les conséquences du péché. Et c’est dans un souci pédagogique et moral que Dieu rappelle constamment aux Israélites qu’ils peuvent pleinement adhérer à ces lois car ils ont été eux-mêmes immigrés. Ils peuvent donc « éprouver ce qu’éprouvent les étrangers » (Ex 23.9).

 

 

Les prophètes ont rappelé ces lois au peuple en dénonçant l’oppression dont les résidants étaient l’objet (Ez 22.7, 29 ; Za 7.10), annonçant même la venue du Seigneur en personne pour punir ceux qui violent le droit de l’émigré (Ml 3.5).

 

Mais Dieu va au-delà dans sa demande : « cet émigré installé chez vous, vous le traiterez comme un indigène, comme l’un de vous, tu l’aimeras comme toi-même » (Lv 19.34, Ez 47.22). Ainsi nous trouvons déjà dans l’A.T. ce qu’un autre immigré dès l’enfance, Jésus, enseignera et vivra en traitant samaritain, syro-phénicien et romain, hommes et femmes comme ses prochains. C’est ce que Paul enseigne à l’Eglise en disant « qu’il n’y a plus ni juif, ni grec, ni homme, ni femme,… » (Ga 3.28 ; Co 3.11) et nous avons à vivre en tenant compte de cela dans nos vies sociales.

 

Il est ainsi inadmissible que des chrétiens soutiennent des thèses xénophobes, ou votent pour des partis politiques qui en font l’apologie. Nos attitudes dans la vie de tous les jours doivent aussi rejeter toute position de cet ordre.

 

 

« Car nous sommes des émigrés devant toi, des passagers comme tous nos pères ; nos jours sur la terre sont comme l’ombre… » (1 Ch 29.15).

 

 

En conclusion

 

Dieu nous conçoit tous comme des étrangers et des hôtes sur cette terre qu’il nous a prêtée. Nous lui sommes redevables de la gestion de celle-ci. Cela pose les questions de l’environnement et de notre attitude face à la consommation.

 

Cela retentit sur notre conception de la vie, sur le choix de nos valeurs. Car nous ne sommes ici-bas que de passage et notre vie est éphémère comme celle de la fleur des champs.

 

F-J.M

 


 Note

 

1. : Voir vocabulaire, il s’agit là du gér et du tôsab.

 

 

« La différence entre les groupes, plus que les différences des races, sont les différences culturelles. C’est pourquoi, il est absurde de parler d’une race supérieure à une autre ou d’une culture meilleure qu’une autre. Elles sont simplement différentes. »

Extrait de « Cimarrona », Bulletin N° 11,
Maison pour l’Identité des Femmes Afro, République Dominicaine

 

 

 

« Je fais le rêve qu’un jour, les petits enfants noirs et les petits enfants blancs joindront leurs mains comme frères et
sœurs… »

Martin Luther King (1929-1968) traduction française

 

 

*****

 

La signification du vocabulaire

 

La Bible emploie différents termes pour distinguer les différents types d’étrangers :

 

Gér : du verbe hébreu gûr qui signifie demeurer comme étranger dans un pays. C’est le cas en Exode 12:48-49 ; Lévitique 16:29 ; Josué 20:9 ; Ezéchiel 20:9.

 

En grec, on trouve paroikos ou épi démos dans Actes 7:6, 29 et 2:10 ; 17:21. On traduit ces termes par résident ou immigré. Ces personnes bénéficiaient d’un statut juridique qui tendait à les assimiler aux juifs, elles pouvaient devenir des prosélytes si elles adhéraient au judaïsme en se faisant circoncire.

 

Lorsque les Israélites, installés en Canaan se considérèrent comme les possesseurs légitimes de la terre, le « peuple du pays », ce furent les anciens habitants non assimilés par des mariages ou non asservis qui devinrent des gérîm (pluriel de gér).

 

L’individualisme des tribus et leur division territoriale aboutirent à ce qu’ils conçoivent comme gér un Israélite d’une autre tribu (Juges 19:16). Mais ce fut aussi le cas des lévites qui n’avaient pas de territoire propre (Juges 17:7-9 ; 19:1). D’ailleurs les lois de protection sociale assimilent les lévites et les étrangers résidants (Deutéronome 12:12 ; 14:29 ; 26:12).

 

La traduction grecque de l’Ancien Testament, la Septante, a traduit le terme hébreu gér par le grec prosèlytos (prosélyte).

 

Tôsab : du verbe hébreu yasab qui signifie séjourner dans un pays qui n’est pas le sien. On le traduit par passager ou hôte. C’est le cas en Lévitique 25:6, 45 ; Ruth 2:10 ; 2 Samuel 15:19.

 

En grec, c’est le mot xenos qu’on trouve en Matthieu 25:35 ; 27:7 ; Hébreux 13:2, 9 ; 3 Jean 5. Ce terme a donné en français le mot xénophobie : la haine de ce qui est étranger. Ces personnes ne jouissaient d’aucun droit en Israël, sinon celui de l’hospitalité (Genèse 18:1-8). Dans les passages suivants, les termes gér et tôsab sont associés:Genèse 23:4 ; Lévitique 25:23, 35, 47 ; Nombres 35:15.

 

Nekar ou nokri : deux adjectifs provenant de la même racine. Ils désignent l’habitant d’un pays voisin ou lointain. On le traduit par étranger. C’est le cas en 1 Rois 8:41. En grec : allotrios. Il est considéré comme un païen qu’on ne peut fréquenter. Il est exclu du droit de cité en Israël (Ephésiens 2:12 ; 4:18) parfois même traité en ennemi (Colossiens 1:21 ; Hébreux 11:34). Le Christ a aboli cette séparation (Ephésiens 2:13-17 ; Colossiens 1:20-22).

 

Zûr : synonyme du précédent. Il désigne l’habitant d’un pays étranger. On traduit par étranger ou inconnu. Psaumes 69:8 ; Proverbes 2:16, 7:5,27:2,13; Esaïe 28:21 ; Jérémie 5:19 ; Abdias 11.

 

Ces deux derniers termes sont proches de sens et souvent associés ; c’est le cas en Psaume 81:10, Proverbes 5:10, 20 ; 20:16 ; Esaïe 61:5 ; Lamentations 5:2.

 

On réalise que suivant le terme employé, les réalités sont très différentes. Il est donc capital comme toujours de connaître le terme précis avant de construire tout enseignement sur le sujet.

 

F-J. M.