Comment renouveler ma piété ?

 

Par Thierry Seewald

 

 

Jusque récemment la spiritualité évangélique individuelle se résumait essentiellement à deux pratiques : la lecture de la Parole et la prière. Et la famille assise autour de la table, avec le père lisant la Bible, la mère les mains jointes et les enfants tout oreille est presque une image d’Epinal de cette spiritualité. Aujourd’hui les pratiques foisonnent. Les chrétiens sont à la recherche de nouvelles méthodes, de nouvelles expériences, insatisfaits de la qualité de leur vie spirituelle, du peu de progrès dans leur sanctification, exprimant un besoin de communion plus sensible avec leur Seigneur.
 

Il y a 3 ans sont sortis deux très bons livres sur la spiritualité : « Les chemins de la Vie Spirituelle » (Esquisse d’une Spiritualité Protestante)1 et « Façonnés à Son Image » (Approches Bibliques et Pratiques à la Formation Spirituelle)2. Les pluriels dans les deux titres sont significatifs des aspirations nouvelles et des questionnements qui traversent la piété évangélique. Ainsi, si nous sommes en recherche de victoire dans notre sanctification, cela passe-t-il par une meilleure compréhension de notre identité en Jésus-Christ ou de la valeur de son sang ? Par la proclamation de la victoire de Christ dans ma vie ou un combat spirituel plus efficace et victorieux ?

 

L’expérience personnelle de Kenneth Boa ressemble sans doute à plusieurs égards à ce que bien des croyants vivent actuellement : « A un moment donné, j’ai découvert les disciplines spirituelles et m’y suis plongé. A un autre moment, j’ai été fasciné par les écrits centrés sur les bienfaits de l’échange des vies ; celle du Christ en échange de la mienne. Pendant un certain temps, j’étais obnubilé par l’idée que la vie spirituelle était le résultat de la plénitude et du revêtement de puissance de l’Esprit. Et puis, il y a eu des mois où je fus particulièrement sensible au concept de combat spirituel. Je connus cette expérience avec toutes les facettes de la spiritualité, si bien qu’à la fin j’ai commencé à entrevoir un modèle qui intégrait le tout. Aussi importante qu’art pu être chacune de ces approches de la vie spirituelle, aucune n’était suffisante en soi. Il y a toujours plus. Ce constat a été source à la fois de frustration et d’excitation. Source de frustration en ce sens que ma quête d’un système garantissant des résultats rapides, valable pour tous et dans tous les cas, ou d’une technique toujours parfaitement contrôlable, avait échoué. Source d’excitation, parce que je commence à entrevoir que nous n’en sommes qu’à effleurer tout ce que Dieu a fait pour nous et que de nouvelles surprises nous attendent constamment. »

 

Nous n’allons pas dans ce court article évaluer toutes ces pistes, ni même les énumérer. Mais nous vous proposons quelques réflexions et questionnements autour de ce foisonnement.
 

Tout d’abord le danger du déséquilibre si l’on se focalise sur une pratique et qu’on y voit la réponse à toutes nos aspirations et tous nos combats. Car ainsi que le dit Louis SCHWEITZER dans la préface du livre de Kenneth Boa : « Il est facile d’isoler un aspect de la spiritualité et d’en faire ‘’la clef’’ de toute la vie spirituelle. Les modes risquent ainsi de se succéder, isolant un aspect – souvent juste – de son contexte plus large et proposant des spiritualités parfois séduisantes, mais déséquilibrées. Car, comme bien des hérésies reposent sur une vérité isolée, ces spiritualités successives fragilisent souvent les chrétiens et les Eglises. »
 

Mais il y a aussi des aspects positifs à ce foisonnement, dont le moindre n’est pas de redécouvrir un passé riche et des spiritualités vécues comme essentielles à certaines périodes de l’histoire du christianisme. A la tentation constante d’un moi et ma Bible où le chrétien pense qu’il n’a rien à apprendre de personne sinon de la Bible seule3 et peut-être de quelques-uns de ses contemporains, cette recherche rappelle que nous sommes entourés d’une nuée de témoins (Hé 12.1) et que la spiritualité chrétienne a maintenant vingt siècles d’existence… auxquels on peut ajouter tous les siècles de la piété vétéro-testamentaire.
 

CalvinCar de même que pour la doctrine nous sommes héritiers des formulations des premiers conciles concernant les dogmes de la trinité et de l’incarnation et de la Réforme pour le salut par la grâce au moyen de la foi4, de même, notre spiritualité est l’héritière de divers courants qui ont vu le jour à travers l’histoire.
 

Or, notre perspective historique étant réduite, nous commettons souvent l’erreur de croire que ce qui était ancien au début de notre marche chrétienne a toujours existé ou a toujours été accepté par les chrétiens. Ainsi la traduction Louis Segond, seule traduction ‘exacte’ (les nouvelles versions s’éloignant forcément de la bonne formulation !) puisque l’apôtre Paul sans doute l’utilisait déjà (à moins qu’il n’utilisait celle de Darby ?). Ou le recueil Les Ailes de la Foi5 et les cantiques de Ruben saillens qui ont pourtant pris la place des cantiques de la Réforme et n’ont pas été acceptés sans critiques.
 

Mais si notre époque est connue pour son besoin incessant de nouveautés, il y a également eu des modes spirituelles, des nouveautés, de nouvelles voies d’expressions de la piété dans les siècles passés. Et elles ont chacune eu leur richesse.

 

Il est par exemple intéressant de redécouvrir que notre manière de méditer la Bible est proche et probablement inspirée de la Lectio Divina, méthode codifiée de lecture biblique associant lecture, méditation et prière qui remonte au moins au Vème siècle.
 

Certaines des spiritualités à la mode trouvent leurs racines dans le catholicisme. Ce qui amène deux pensées en tension : d’un côté se rappeler que le catholicisme a progressivement évolué au cours des siècles et que le catholicisme du IVème siècle a peu en commun avec celui d’aujourd’hui. Et même aujourd’hui, si nous différons sur certaines doctrines fondamentales, cela ne signifie pas, et de loin, que rien ne soit bon dans l’un ou l’autre des courants qui le constituent.
 

D’un autre côté, cela avertit de ne pas tout prendre sans exercer un nécessaire discernement. Et cette remarque vise toutes les piétés aujourd’hui à la mode. Leur attrait, leur nouveauté ou leur présence dans l’histoire du christianisme ne doivent pas nous les faire accepter sans autre. La contemplation, par exemple, que l’on trouve dans toutes les branches du christianisme, a-t-elle ses racines dans des spiritualités non-bibliques, orientales ou autres, ou a-t-elle un fondement dans la révélation biblique ?
 

Ainsi Rick WARREN dans son livre 40 jours pour l’essentiel (ch.10) propose de prier de manière répétitive de courtes phrases – ce qu’il appelle la Prière de respiration – par exemple « Je T’aime Seigneur », pour arriver à prier sans cesse. Il ancre cette pratique dans l’Eglise des siècles passés, citant par exemple un ouvrage de Frère Laurent (17e siècle) qui préconise cette méthode. Or s’il est exact qu’on peut trouver dans la Bible des exemples de courtes prières spontanées, (Né 2.4 par exemple), on y voit plutôt Jésus critiquant la prière répétitive (Mt 6.7) où l’intelligence ne participe pas réellement. Ce type de prière pourrait se rapprocher plus du rosaire catholique ou musulman.
 

Cela ne signifie pas que le livre soit mauvais (nous l’avons d’ailleurs utilisé avec profit dans notre Eglise) ou que l’auteur soit catholicisant (alors que dans ce seul livre, il cite environ 1000 fois des textes bibliques). Rick warren est l’un des rares auteurs évangéliques contemporains à relever les appels bibliques puissants à « demeurer en Christ » à « prier sans cesse », à «vivre en communion permanente avec Dieu » et à chercher à donner des moyens concrets pour tendre vers cela. Mais sur ce point précis, il pourrait être nécessaire de prendre le temps d’« examiner attentivement » avant d’éventuellement retenir ou rejeter.
 

Prenons un autre exemple. Les leaders de l’Eglise Emergente proposent parfois d’agrémenter certaines rencontres de bougies. Le but étant de mieux correspondre à ce que les personnes extérieures aux Eglises mettent derrière le mot ‘spiritualité’ afin qu’elles se sentent à l’aise. Ce qui est une bonne chose si la pratique met les gens à l’aise et réceptifs à l’Evangile et qu’elle est biblique. Est-ce le cas ?

 

Quelle pourrait être une démarche saine pour répondre à cette question ?

 

On pourrait se poser des questions comme : l’Eglise Catholique utilise souvent des bougies (associées aux prières par exemple) : que signifient-elles ? Trouve-t-on des bougies dans certaines Eglises Protestantes ? Si oui, quelle est leur signification ? Pourquoi les Eglises Evangéliques sont-elles souvent réticentes à l’utilisation de bougies lors du culte ? Est-ce que cette réticence remonte à la Réforme ou est-elle plus tardive ? Qu’est-ce que les personnes extérieures aux Eglises mettent derrière cette idée de bougie ? Est-ce en contradiction avec l’Evangile ?
 

A vous de vous exercer maintenant : Kenneth boa, dans une liste de disciplines pouvant nous aider à développer notre vie spirituelle, propose notamment deux outils : la tenue d’un journal (où l’on note ses pensées, certains sujets de prière, des enseignements tirés de la Parole, certaines expériences vécues dans le quotidien, …) et la pratique du silence (qu’il appelle aussi jeûne verbal). Quelles questions pourraient vous aider à évaluer ces deux pratiques ? Quelle évaluation portez-vous sur chacune d’elle ?

 

 

 

T.S.


NOTES

 

 

1. SCHWEITZER Louis, « Les chemins de la Vie Spirituelle » Esquisse d’une Spiritualité Protestante, Editions Excelsis et Cerf.
 

2. BOA KENNETH, « Façonnés à Sort Image » Approches Bibliques et Pratiques à la Formation Spirituelle, Editions Farel.
 

3. Si tout au moins il pense avoir quelque chose à apprendre de la Bible !
 

4. Ces doctrines sont bien sûr présentes dans la Bible, mais leur formulation rigoureuse a parfois pris du temps.
 

5. On critique parfois l’apparition de nouveaux instruments, mais sait-on qu’un instrument a pendant longtemps été qualifié de «cornemuse du diable» par l’Eglise ? C’est l’orgue ! Et des organistes ont été excommuniés. On maintient donc un instrument diabolique au lieu d’accepter les luths et tambourins modernes… et bibliques ! De même pour la critique de tenues vestimentaires alors qu’aujourd’hui les hommes sont vêtus de l’habit des barbares très critiqué par l’Eglise à leur arrivée : le pantalon !