De frère ancien … à Monsieur l’évêque

 dialogue1

par Alain KITT

 

 

L’idée du pastorat se trouve inscrite dans la vie du peuple de Dieu dès ses origines, depuis que Moïse a prié l’Eternel d’établir sur la communauté un homme qui sorte devant eux et qui entre devant eux… afin que la communauté de l’Eternel ne soit pas comme des brebis qui n’ont point de berger (Nb 27.17). Nous constatons déjà ce besoin de conducteurs choisis par Dieu et soucieux du bien-être du peuple.

 


Du temps d’Israël

 

Les rois dont le souvenir est honoré dans l’Ancien Testament sont ceux qui ont suivi les premières voies du roi David, que l’Eternel avait tiré des bergeries pour lui faire paître Jacob, son peuple (Ps. 78.71). Les prophètes également ont été des pasteurs, dont le cœur battait de la même manière que le cœur de Dieu pour son peuple, comme Jérémie, qui n’a pas refusé d’être berger à la suite de l’Eternel (Jr 17.16).

 

 

Du temps des apôtres

 

Sous la nouvelle alliance, le Seigneur veille aussi à ce que son peuple ne soit pas comme des brebis sans berger. Bien sûr, le Pasteur des brebis, c’est Jésus lui-même, selon Hb 13.20. Tous les chrétiens ont par lui le même accès auprès du Père dans le Saint-Esprit, sans autre intermédiaire. Il n’y a plus de distinction entre les sacrificateurs et le reste du peuple de Dieu, car nous formons tous un royaume de sacrificateurs. Mais cela n’empêche pas que des pasteurs figurent parmi ceux que le Seigneur ressuscité a donnés à son Eglise en vue de l’édification du corps du Christ (Ep 4.11-13 : voir (dans ce même numéro de SERVIR) l’article suivant : « Une affaire de vocabulaire »).

 

Nous connaissons les paroles adressées par le Seigneur à l’apôtre Pierre : Prends soin de mes agneaux… Sois le berger de mes brebis… (Jn 21.15-17). Pierre a transmis ces mêmes exhortations aux destinataires de sa première lettre, où nous constatons que ce pastorat fait partie de la responsabilité des anciens : Faites paître le troupeau de Dieu qui est avec vous… (1 Pi 5.1-4).

 

 

Le livre des Actes et les épîtres du Nouveau Testament nous montrent comment les Eglises du 1er siècle s’y prenaient pour que la direction et le soin des Eglises soient assurés pour le bien et les progrès des chrétiens1.

 

 

Et ensuite… Vers une Eglise romaine

 

Les choses évoluent rapidement. Vers la fin de l’ère apostolique, on constate le début d’un processus qui va conduire à une distinction entre clergé et laïcs. Certains des Pères de l’Eglise (dont Clément de Rome, à la fin du 1er s., et Ignace d’Antioche au 2ème s.) iront dans ce sens. Le sacerdoce universel des croyants est peu à peu abandonné au profit de spécialistes, qui prennent toujours plus d’autorité sur l’Eglise. Ce développement s’appuie sur une conception de plus en plus sacramentelle des fonctions ecclésiastiques : si le baptême et la cène contiennent en eux-mêmes un pouvoir sacré, alors il faut quelqu’un spécialement consacré à Dieu pour les dispenser.

 

Ainsi la distance entre ecclésiastique et laïc va rapidement s’agrandir au cours des premiers siècles de notre ère. La responsabilité et la direction collégiales sont remplacées progressivement par un épiscopat monarchique, calqué sur le pouvoir politique plutôt que sur les paroles de Jésus. Et l’on voit se dessiner « un clergé hiérarchisé, détenteur de toute l’autorité dans l’Eglise et ayant le monopole de l’administration des sacrements2 ».

 

Cela ne se passe pas sans résistance : Tertullien, au 3ème s., plaide encore en faveur d’un modèle plus biblique, mais la tendance inverse se renforce.

 

 

Après Constantin

 

On généralise un habit ecclésiastique qui différencie clairement le clergé du commun des fidèles ; les évêques, qui nomment eux-mêmes leurs successeurs, n’ont plus de comptes à rendre… Celui de Rome prend de plus en plus d’influence, et s’instaure comme le père, le pape des évêques d’Occident. On est loin de la simplicité évangélique, même s’il y a d’heureuses exceptions, des hommes de Dieu fidèles, des missionnaires qui portent l’Evangile dans tout le nord de l’Europe et jusqu’en Chine, des hommes comme Pierre Valdo et les Pauvres de Lyon qui veulent rendre aux simples fidèles la possibilité de lire eux-mêmes la Bible aux 12ème et 13ème siècles.

 

 

La Réforme

 

La Réforme au 16ème s. est revenue à un modèle biblique sur bien des points, notamment dans le domaine de la doctrine de la conversion et du salut. Mais ni Luther, ni Calvin ne sont parvenus à briser cette distinction si néfaste entre un clergé professionnel et le reste des croyants. Luther était surtout préoccupé par la redécouverte de la justification par la foi. Même si apparemment il a voulu, dans un premier temps, établir de véritables communautés de croyants, il ne l’a pas fait pour des raisons diverses. La situation politique y était certainement pour quelque chose, ainsi que la notion d’Eglise territoriale, forcément multitudiniste, où un pastoral selon l’esprit du Nouveau Testament était impossible.

 

Portrait CalvinA Genève, Calvin considérait que le pasteur était responsable de la prédication, de l’enseignement et du gouvernement de l’Eglise, tandis que les anciens s’occupaient des pauvres et des besoins matériels.

 

Mais au 17ème s., le mouvement piétiste et plus tard les communautés Moraves mirent en place divers ministères sur le modèle du Nouveau Testament.

 

 

Les Réveils

 

Les choses vont encore évoluer avec les divers réveils aux 18ème et 19ème siècles. Au 18ème s., Wesley essaya de combattre le cléricalisme : il créa des classes d’enseignement biblique dirigées par des prédicateurs laïcs. Mais les Eglises méthodistes retombèrent peu à peu dans un système où le pastorat redevint une classe distincte de celle des fidèles. Ce n’était pas seulement le salut des individus qui était en jeu, mais aussi la façon d’organiser l’Eglise.

 

 

Le congrégationalisme

 

Au 19ème siècle, Groves, Newton, Müller, Darby, en Grande-Bretagne, ainsi que bien d’autres sur le continent, aux Etats-Unis, en Océanie, remettent à l’honneur le sacerdoce universel des croyants de manière pratique dans les Eglises dont ils sont responsables, une direction collégiale de l’Eglise et l’indépendance des Eglises locales (système de fonctionnement qu’on appelle « congrégationalisme »).

 

Mais comme dans tout mouvement, il y a eu des excès : parfois on a refusé l’idée de ministères reconnus (assemblées « darbystes » et parfois nos assemblées de frères), de formation théologique ou biblique, par crainte de renouveler la distinction entre les laïcs et le clergé, et cela a conduit à un appauvrissement du peuple de Dieu.

 

Mais on peut se réjouir que dans beaucoup d’Eglises, les chrétiens redécouvrent aujourd’hui leur responsabilité de participer activement à la vie de leur communauté, selon les dons accordés à chacun par l’Esprit de Dieu.

 

Dans l’équipe pastorale de certaines Eglises, il peut y avoir un ou plusieurs « pasteurs » à plein temps entourés d’autres chrétiens engagés qui prennent part au gouvernement de l’Eglise ; d’autres ont préféré fonctionner avec des hommes qui ont une activité profane rémunérée et qui s’engagent pleinement dans la direction et l’enseignement de la communauté, ou dans un autre ministère.

 

Là n’est pas l’essentiel : ce qui compte, c’est que ceux que le Seigneur établit pour prendre soin de son Eglise puissent le faire pour l’édification des chrétiens et pour la gloire de Dieu.

 

Alain Kitt.

 


NOTES

 

1. Pour plus de détails sur l’histoire des ministères, on peut consulter les livres d’Alfred Kuen (dont Je bâtirai mon Eglise, 1967, et Ministères dans l’Eglise, 1983. aux Editions Emmaüs), auxquels je suis redevable pour les grandes lignes des paragraphes suivants, ainsi que d’autres manuels d’histoire de l’Eglise.

 

2. A. Kuen, Ministères dans l’Eglise, p.176.