L’argent, un problème ?

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par Jean-Pierre BORY

 

 

Il m’est arrivé assez souvent d’entendre dire : « L’argent n’est pas le problème ! » ; par exemple lorsque l’on devait décider de la mise en route d’un projet pour lequel il manquait encore beaucoup d’éléments : des hommes, du matériel, un local, et surtout le financement. L’argent n’est pas un problème, parce que, cite-t-on, l’or et l’argent sont à Dieu ; Dieu pourvoira ; si ce projet est selon la volonté de Dieu, Dieu accordera ce qui est nécessaire… Et l’on a raison. Dieu n’a pas changé.

 

 

 

Mais notre réalité humaine quotidienne est telle que l’argent EST vraiment un problème.

 


  Dire « l’argent n’est pas un problème », ne serait-ce pas une parole dite à la légère, ou par provocation, ou encore pour suggérer que notre foi n’est pas à la hauteur de nos ambitions ? Le manque d’argent EST un problème auquel beaucoup de nos Eglises sont confrontées, reconnaissons-le.

 

 

Il est endémique dans les milieux évangéliques

 

Votre boîte aux lettres, comme la mienne, me livre régulièrement des appels à la générosité adressés par des oeuvres évangéliques. Le budget de plusieurs assemblées et missions est dans les chiffres rouges ; des fonds communs, comme celui du soutien des serviteurs, ne permettent pas de faire face aux besoins d’assemblées en difficulté. Et pourtant les membres de nos assemblées ne sont pour la plupart pas des pauvres. Notre conception de la libéralité, et nos méthodes de gestion ne seraient-elles pas à revoir ?

 

 

Au début tout marchait bien…

 

Adam et Eve, avant la chute, avaient tout à leur disposition : une nature généreuse s’offrait à leurs mains, ils n’avaient qu’à se servir. Mais le péché abîma tout.

 

En Israël, nation élue, Dieu prit des dispositions pour limiter la détresse des pauvres (Dt 15.1-18 ; Ex 21.2-6).

 

Nouvel essai : un peuple, renouvelé de l’intérieur, naquit à la Pentecôte ; le premier amour, la joie et l’unité des chrétiens jouèrent à plein : tous ceux qui avaient cru étaient ensemble et avaient tout en commun,… ils partageaient (leur argent) entre tous, selon les besoins de chacun (Ac 2.44). Un nouvel Eden ? Non, mais un groupe de croyants qui vivait selon la pensée de Dieu, dans l’amour et l’intérêt mutuels.

 

 

La cassure

 

L’euphorie du premier amour ne pouvait pas durer. Les trois premiers problèmes internes de la jeune Eglise ne furent pas des questions de doctrine mais d’argent, de désir d’argent, du pouvoir de l’argent : d’abord Ananias et Saphira, puis l’inégalité des répartitions entre les veuves palestiniennes et celles de familles exilées, et enfin l’erreur de Simon le magicien qui croyait qu’avec l’argent il pouvait tout acheter, même la puissance de Dieu.

 

Et que de fois les écrivains des épîtres, Paul, Pierre, Jacques, fustigent les cupides et les avares, et encouragent au contraire à pourvoir aux besoins des pauvres : ce fut même la principale ou peut-être la seule recommandation que Paul reçut de la part des disciples avant de partir en mission : souvenez-vous des pauvres (Gal 2.10), ce que Paul n’oublia jamais.

 

Donc des pauvres, il y en eut et presque depuis le début. Pourquoi un tel problème DANS l’Eglise ? Passe encore dans le monde…

 

 

Le pouvoir destructeur de l’argent

 

Jamais Jésus ne parle négativement de la richesse ou du riche en tant que tel, mais bien du riche cupide, de celui qui ne paie pas ses ouvriers à l’échéance légale, du riche qui ignore Dieu et le pauvre, jouissant seul de ses biens (Lc 16.19ss ; 12.18). Jésus révèle toutefois que l’argent possède en lui-même, comme moyen de pouvoir, une puissance. Qu’il est en réalité une Puissance qui assujettit l’homme, dirige la société, fait naître les mafias : Jésus la personnifie sous le nom de Mamon, une puissance maléfique1.

 

Cependant Dieu a donné à l’homme la gestion de la terre, des biens, et de la monnaie (matérialisation de l’Argent), dont Il reste le maître (1 Co 4.7 ; Dt 8.17-18).

 

 

L’aurions-nous oublié ?

 

Surtout le jour où notre salaire est crédité sur notre compte en banque, et que nous nous mettons à faire des projets… Or c’est précisément à ce moment-là, le premier jour où nous disposons de notre argent qu’il s’agit de mettre à part pour Dieu ce qui lui revient (1 Co 16.2).

 

 

Quelques principes de la libéralité

 

L’apôtre nous les rappelle de façon très groupée en 2 Co 8 et 9 quand il exhorte les Corinthiens à faire aussi bien que les Macédoniens pour la collecte en faveur des chrétiens de Judée.

 

  • C’est une grâce que de pouvoir donner (8.1 et 6).

 

  • La pauvreté matérielle n’empêche ni la générosité ni la joie (8.2).

 

  • Donner selon Dieu est un acte libre, spontané (8.34) qui se vit dans la joie (9.7).

 

  • Le secret de la libéralité selon Dieu, c’est se donner soi-même à Dieu (8.5) ; c’est ce qu’il attend de nous (Rm 12.1).

 

  • La règle est l’équité, l’égalité entre les frères2 (2Co 8.13b).

 

  • II s’agit d’exceller dans la libéralité (2 Co 8.7c) ; toutefois cette excellence se mesure dans le rapport avec ses propres moyens et non pas en valeur absolue (2 Co 8.12b ; cp. 8.3a).

 

  • A l’inverse, la libéralité peut être un acte d’avarice (9.5), parce que Dieu juge la valeur du don, non à son montant, mais à l’intention qui le motive : Dieu regarde au cœur (1 S 16.7).

 

  • Conséquences : les donateurs fidèles sont loués par leurs frères (9.3), bénéficient d’une intercession faite avec tendresse (9.14), sont appréciés des hommes et de Dieu (9.14 ; Jg 9.9,13) qui les récompensera3 (9.6) 3. A l’inverse, le non-respect d’un engagement tourne à la confusion de celui qui l’a pris (9.4).

 

 

Un choix difficile

 

Un des problèmes que rencontre tout chrétien aujourd’hui est la multiplicité des appels. Comment répondre ?

 

  • Par émotion ? Ce serait aboutir à l’injustice, ce serait donner sans viser à combler les détresses les plus profondes. Certains savent de façon émouvante décrire leur situation tragique ; d’autres, plus timides ou moins éloquents, ne touchent pas les sentiments de l’auditeur ou du lecteur. Le don sous le coup de l’émotion peut aboutir à l’absurdité.

 

  • Procéder par « saupoudrage », en répartissant entre tous la somme disponible ? Le résultat est que chacun reçoit trop peu pour que ce soit utile.

 

  • Donner sans discernement : n’oublions pas que la corruption se glisse partout, y compris dans les œuvres humanitaires les plus connues (souvenez-vous de l’ARC). Certains gouvernements reconnaissent que seules les missions ou Eglises évangéliques permettent d’acheminer l’aide humanitaire jusqu’aux réels nécessiteux, sans que des intermédiaires ou des politiques se servent largement au passage.

 

  • Donner au travers de son Eglise : n’est-ce pas le meilleur choix ? La libéralité est non seulement une affaire individuelle mais aussi collective. Les anciens, le conseil d’Eglise, ont pour charge de s’informer, d’informer l’Eglise, de réfléchir au sérieux des projets auxquels ils attribuent le produit des offrandes des fidèles.

 

 

Il y a des priorités

 

Même si nous avons à aimer tous les hommes, nous devons respecter des priorités dans l’attribution de nos dons. Ne pas le faire serait une désobéissance. La priorité va

 

  • à sa famille (Mc 7.11-13; 1 Tm 5.8),

 

  • aux frères et sœurs en Christ (Gai 6.10),

 

  • à ceux qui servent fidèlement le Seigneur (1 Tm 5.17),

 

  • et enfin à son prochain, celui dont on croise le chemin (Luc 10.25ss).

 

Et dernière règle, mais non des moindres :

 

 

La persévérance

 

II s’agit d’achever l’oeuvre commencée (1 Co 8.6) : donner pour un projet et changer d’orientation en cours de route est stupide : l’œuvre entreprise périclite et tout l’investissement (les dons) est perdu. Nous sommes tous reconnaissants de pouvoir compter, régulièrement, au 25 ou au 31 du mois, sur notre salaire ou notre retraite. Si le virement vient à manquer, la famille est en grande difficulté.

 

Admettons que vous commenciez de construire une maison ; vous payez une entreprise pour les fondations, un maçon pour les murs, un charpentier pour les poutraisons, et vous changez d’avis pour entreprendre la construction d’un voilier. .. Qu’adviendra-t-il de votre maison ? La pluie fera bouger les fondations, l’humidité et la pourriture rongeront la charpente, et la maison inhabitable rendra l’investissement inutile.

 

Il en est de même lorsque l’on gère sa libéralité : réfléchissons à la situation d’un missionnaire que l’on cesse de soutenir au bout de deux ans… Comment vivra-t-il ? Et si nous nous engageons pour un versement régulier pour la construction de notre chapelle et orientons ailleurs nos dons en cours de route, qu’adviendra-t-il du projet ?

 

On peut espérer que le Seigneur pourvoira par ailleurs, mais nous aurons péché par manque de fidélité et de persévérance, et il aura fallu qu’un autre chrétien pallie notre défection. Ces lignes paraissent dures, mais ces situations sont malheureusement réelles ; et les soucis, les souffrances qu’elles engendrent ne sont pas des virtualités mais des réalités que plusieurs vivent en ce moment.

 

La persévérance dans la libéralité est un acte de fidélité et d’obéissance au Seigneur. Elle permet aussi à l’œuvre de Dieu de s’enraciner, de s’affermir.

 

Donner requiert donc une certain nombre de fruits de l’Esprit : amour, discernement, générosité, justice, persévérance, fidélité…

 

Vos dons… ont été pour moi comme le parfum d’une offrande agréée par Dieu et qui lui fait plaisir (Phil 4.18).

 

J-P.B.

 


NOTES

 

1. Voir dans ce même numéro de SERVIR l’article de J. Ellul « La réalité de l’argent » (2000_05_05).

 

2. Paul ne prêche pas une égalité parfaite parmi tous les chrétiens de Corinthe ou du monde, ni un communisme moderne. Mais chacun doit pouvoir faire face à ses besoins essentiels, ne pas avoir faim (1 Co 11.21) ; Paul ne demande pas aux riches de se dépouiller mais d’être généreux (1 Tm 6.17-19) : une personne au revenu confortable devrait donner davantage qu’un modeste ouvrier, ce qui ne se vérifie pas toujours.

 

3. Cette expression ne peut fonder la doctrine des « semences de grâces » ou de la théologie dite « de la prospérité ». Ce sont de mauvaises interprétations de Luc 8.8 et Mt 19.29 : moisson au centuple. Ou une mauvaise application de Gal 6.7; Eph 6.8. Il n’est pas possible de commercer avec Dieu. de pratiquer avec lui le « donnant donnant » : tout ce que Dieu accorde, il le fait librement et par grâce, Dieu ne peut devenir l’obligé de l’homme. Si les donateurs sont enrichis, ce n’est pas pour eux-mêmes, mais pour pouvoir donner encore plus (1 Co 9.11a). Remarquer l’accumulation des mots tout dans le verset 1 Co 9.8.