Temoignage

 

Professeur-relais dans un collège sans histoire

 

 

par François-Jean Martin

 

 

Le cadre

 

Depuis plusieurs années, je suis professeur-relais dans un collège. Ce petit établissement banal est situé dans une agréable petite ville à vingt kilomètres d’une de nos métropoles. Le recrutement social des élèves se fait dans des couches favorisées. Mais il existe aussi une frange, grandissante au cours des années, de familles en détresse à cause du chômage, des séparations et des divorces.

A leurs enfants s’ajoutent des élèves en grande difficulté d’insertion sociale provenant d’un foyer de la DDASS pour cas sociaux. A l’image de la situation éducative de l’ensemble du pays, un élève sur quatre est en échec scolaire, essentiellement à cause de difficultés de lecture.

 

 

Le rôle

 

Un professeur-relais ? Qu’est-ce que c’est ? C’est un enseignant qui a accepté de se former et d’assurer le relais, l’intermédiaire entre l’élève et les services d’aide, de secours, voire de justice pour tout ce qui concerne les « déviances »de l’adolescence, à savoir tout ce qui peut relever d’une intervention de la loi (comme la violence, les sévices sexuels, les perversions, l’usage de drogues, etc.).

 

En fait, il s’agit surtout d’une instance d’écoute à laquelle l’élève peut avoir librement accès et qui suivant les cas pourra lui apporter secours soit localement, soit en lui fournissant l’information nécessaire sur les lieux et les structures d’aide existants. Le prof-relais a donc un rôle d’écoute et d’intermédiaire.

 

malDans ce cadre, il s’occupe de choses très diverses, comme des problèmes de grossesse, de viols, d’avortements, de vandalisme, d’alcoolisme, et d’autres drogues. Il rencontre beaucoup d’élèves, quelques parents, et aussi des conseillers d’orientation, des éducateurs, des psychologues, des juges, des infirmiers et des médecins scolaires.

 

Il organise des cours d’éducation sexuelle, de prévention contre l’alcoolisme, le tabagisme, les drogues en général, sur les problèmes du SIDA et rencontre beaucoup de détresses. On n’imagine pas souvent dans nos milieux plus ou moins protégés, la somme de détresses dans notre pays et particulièrement dans l’enfance et l’adolescence1.. Elle est immense, elle est écrasante, effrayante.

 

La plupart du temps, le rôle du professeur-relais est surtout celui d’une écoute, de quelqu’un qui prend du temps, qui donne une autre image de l’adulte, une autre image du père (qui n’est plus, ou si peu, ou si mal), quelqu’un qui les respecte, quelqu’un qui les aime. Un des buts est de pouvoir aider l’enfant, l’adolescent à se retrouver, à se comprendre, à placer les choses en perspective. Il sert aussi de soupape de sécurité ; avant la crise certains viennent le voir, ou font appel à lui pendant ou après.

 

Parfois on peut et doit aller plus loin, on peut chercher de l’aide (voir les parents, ou l’éducateur, fournir des adresses, faire venir un spécialiste, un médecin s’occupant d’alcoolisme, de toxicomanies, etc.). Tout ceci se déroule avec un élève qui sait dans quel cadre le professeur-relais chrétien évolue, qui sait ce qu’il dira ou ne dira pas.

 

 

Un bilan

 

Mon expérience me montre bien combien mon rôle est à la fois important et négligeable. Important, car je sers souvent de soupape de sécurité pour éviter des réactions plus graves, plus incontrôlables, une violence plus forte, un désespoir trop grand. Négligeable, car il est très limité par mes possibilités personnelles, mes capacités, et par ce qu’on met à ma disposition en temps, en moyens, en acceptations (je travaille avec des mineurs et je me retrouve souvent entre le marteau et l’enclume ; le secret professionnel dont je suis seul juge est parfois bien écrasant).

 

En fait, cette belle démarche de l’Education Nationale est peu répandue, ce travail étant bien sûr bénévole et entraînant son lot habituel de fatigues, de tristesses et de frustrations. La plupart du temps, à vues humaines, i! est trop tard. Nous sommes une belle excuse que se donne l’Institution pour montrer qu’elle fait quelque chose. Ce service peut être même sujet de division parmi le personnel. Certains partagent, aident et comprennent, d’autres préfèrent se boucher les oreilles et fermer les yeux sur ce qui les entoure et ils préféreraient que tous fassent de même.

 

 

Pourquoi ?

 

Je citerai une traduction littérale de l’épître de Paul aux Philippiens (1.27) : « Seulement remplissez vos devoirs civiques de façon que cela pèse dans la balance au même poids que l’Evangile du Christ ».

 

Je souhaite être un chrétien présent dans ma société. Là où Dieu m’a placé comme éducateur, je veux pleinement y assumer ma place. Je sais que la place est en équilibre instable, que j’ai besoin de prière, de soutien et de la miséricorde de Dieu, Mais je crois qu’un chrétien n’a pas le droit de se boucher les oreilles et de fermer ses yeux sur ce qui l’entoure. Il doit au contraire être présent, main tendue, oreille attentive, miséricordieux, et aimer, surtout aimer.

 

Le professeur que je suis a dû apprendre, souvent avec beaucoup de difficultés ; et il doit encore se souvenir régulièrement qu’il ne peut tout comprendre, tout résoudre, tout changer, qu’il ne peut porter sur lui toute la misère qui l’entoure. II doit apprendre à déculpabiliser, à partager avec d’autres et surtout avec Dieu, II doit encore s’interroger sur ses motivations, sur ses réalités, sur le rôle qu’on lui fait jouer, sur les limites qu’on lui impose.

 

Je peux très rarement, étant en milieu laïque, parler de l’évangile, mais qui peut m’empêcher d’essayer de le vivre, d’essayer d’être un évangile vivant (Mt 25.31 -46) !

 

F-J.M.

 


 NOTE

 

 

1. Dans son livre terrible et pourtant vrai, Les voleurs d’innocence, Patrick Meney met une phrase en exergue de son livre. Elle est tirée de la déclaration d’un pervers sexuel et elle résume bien la réalité : «Cela pourra vous sembler incroyable, parce que vous ne connaissez pas bien la vie de ce côté-là. Mais je peux vous dire que ces choses-là existent. Vous ne savez pas le dixième de ce qui peut se passer avec les enfants ».