Du Sinaï aux plaines de Sittim

 

 

par Pierre Wheeler

 

 

 

Dans ce deuxième volet du voyage du peuple d’Israël, de l’Egypte à Canaan, nous allons brièvement considérer : la localisation du mont Sinaï, le séjour du peuple d’Israël de 38 ans près de Kadès-Barnéa, le contournement des pays d’Edom et de Moab ; et le bref séjour des Israélites dans les plaines de Sittim.

 

 

La localisation du mont Sinaï

 

On propose paraît-il plus de 12 endroits différents ! Il n’y a donc que l’embarras du choix. Reconnaissons que les textes bibliques de l’Exode, tout en nommant les lieux où est passé Israël, ne les situent pas, sauf parfois par un vague : « Après 3 jours de marche. »

 

Aussi tournons-nous vers d’autres textes de la Parole qui mentionnent d’autres lieux en rapport avec Sinaï. Il y en a surtout trois, (Dt 33.2 ; Jg 5.4-5 ; Ha 3.3), et ces trois textes parlent de Séir (Edom), de Théman (ville d’Edom), de la montagne de Paran et des champs d’Edom (voir la carte).

 

Ces quatre endroits ont en commun le fait qu’ils sont tous situés au nord de emplacement traditionnel du mont Sinaï.

 

tables-loiC’est ainsi, semble-t-il, que Moïse et les Israélites ont vu venir vers eux la théophanie (manifestation visuelle de Dieu), tel un énorme orage ou tourbillon. Elle vint se tenir sur le sommet du Sinaï. C’est du milieu de cette manifestation terrifiante, surnaturelle, miraculeuse, que Dieu « tonna » les 10 commandements à Israël. Le Psaume 18.8-14, ainsi que d’autres textes, semble évoquer ce moment suprême.

 

Curieusement, la vision de Dieu reçue par le prophète Ezéchiel sur les rives du fleuve Kebar en Babylonie (Ez1), de nouveau semblable à un orage, s’approchait d’Ezéchiel également en venant du septentrion. Dieu s’est manifesté à lui aussi du milieu d’une gerbe de feu.

 

Toutefois, ces détails ne nous désignent pas pour autant le site de la montagne sainte.

 

La découverte de restes archéologiques, près du mont Karkom, en 1955, par le préhistorien Emmanuel Anati, est évidemment extrêmement intéressante. Cet archéologue italien a trouvé en bas de ce mont ce qu’il pense être les vestiges de 12 stèles (voir Ex 24.4), et aligne la référence au modèle qui avait été montré sur le Sinaï à Moïse (Hé 8.5), aux restes d’un sanctuaire qui se trouve sur la montagne au-dessus de la plaine. Mais la question de datation trouble de belles découvertes : Anati les place à 2000 av. J.-C. Or, à ce moment-là, Abraham n’était pas encore venu d’Our en Chaldée, jusqu’à la Terre Promise.

 

Un géographe israélien, le Professeur Menashe Har-EI, suggère que le Sinn Bishr pourrait être le mont Sinaï ou Horeb. Ses calculs dépendent de certaines indications données dans l’Exode, corroborées, dit-il, par des sites bibliques appelés encore aujourd’hui par des noms semblables. Par exemple : Bir el Murah (Puits amer), serait Mara ; Ayoun Moussa (sources de Moïse), où il y a 12 points d’eau, serait Elim, où se trouvaient 12 puits (Ex 15.23, 27). Mais ces détails ne sont pas trop convaincants car Sinn Bishr ne se trouve qu’à 40 km de la ville (moderne) de Suez, alors que la Bible précise qu’Israël a dû cheminer pendant 3 mois avant d’arriver au Sinaï (Ex 19.1 ). Trois mois pour couvrir une quarantaine de kilomètres ?

 

Pour l’instant, une longue tradition, depuis le début du 4e siècle après J.-C., veut que le djebel Moussa (mont de Moïse), tant visité et escaladé aujourd’hui par les touristes, grâce aux 3000 marches taillées dans le granit par les moines du monastère de Ste Catherine, semble correspondre plus facilement à Horeb, le mont de Dieu. Cette montagne, à la fois si austère, grandiose et majestueuse, semble être bien plutôt celle où l’Eternel traita alliance avec les Israélites, qu’il venait de racheter de « la fournaise ardente », en Egypte.

 

 

Kadès-Barnéa

 

Kadès-Barnéa est généralement identifié à Tell el-Qudeirat, dans le Néguev, à 80 km au sud de Beer-Schéba. Plusieurs sources existent dans la région immédiate : Ain el-Qudeirat, Ain Qudeis, Ain Quseimeh ; et Israël a certainement pu s’abreuver à toutes les trois.

 

On ne trouve pas de traces d’occupation sédentaire à Kadès-Barnéa avant les 9e à 7e siècles av. J.-C., au temps des premiers rois de Juda. Avant eux (Asa, Josaphat), la seule poterie découverte a été fabriquée sans tour (les Israélites dans le désert n’avait probablement pas de tour de potier), mais les archéologues datent cette poterie seulement du 10e siècle av. J.-C., trop tard donc pour qu’elle provienne d’Israël qui y séjournait au 13e ou au 15e siècle av. J.-C. Les nomades ne laissent généralement que peu de traces de leur passage, même si quelques poteries devaient être fabriquées dont certaines ont été immanquablement et accidentellement cassées et abandonnées par la suite… les pots cassés ont toujours existé !

 

Au fond, ce que nous apprenons du séjour des Israélites à Kadès-Barnéa est surtout une leçon spirituelle. Arrivé à cet endroit un ou deux ans après l’exode d’Egypte, Israël devait le retrouver 38 années plus tard. En attendant ils « avaient tourné en rond », dans cette partie du Néguev et du désert de Paran, jusqu’à ce que toute la génération infidèle, qui ne voulait pas conquérir tout de suite la Terre promise, meure et disparaisse dans le désert (Nb 13 et 14). Puis 38 ans plus tard (après les errances), Israël recommence son voyage, pour gagner le Canaan, empruntant une voie détournée, vers l’est et puis vers le nord.

 

Nous faisons une grande distinction entre les voyages d’Israël, où il avançait d’un pas ferme, et ses errances, où il allait sans but, pour revenir au même endroit des années plus tard.

 

Israël n’a d’ailleurs pas été le seul à s’entêter dans des chemins perdus. Abraham par exemple, pour ne citer que lui, l’a fait aussi. Arrivé dans le Pays promis, Abraham dresse un autel à Béthel (Gn 12.7), mais fuit en Egypte lors d’une famine (v. 10). Là, il « tourne en rond », s’embrouille avec le Pharaon – à qui il ment comme un vulgaire arracheur de dents – récupère Agar, ce qui n’était point pour le bonheur de son couple, et donne à Lot la vision d’une vie facile qu’il n’oubliera pas de sitôt et qui l’amènera à choisir, un peu plus tard, comme lieu de séjour, la plaine du Jourdain : arrosée « comme le pays d’Egypte » (Gn 13.10). Les deux « va-t-en » de ce chapitre 12, celui de l’Eternel, qui le dirige vers la Terre promise (v. 1 ), et celui du Pharaon, qui le renvoie comme un chien la queue basse (v. 19), sont en contraste profond. Abraham est, de plus, ramené à l’endroit où étaient sa tente et son autel « précédemment », « au commencement ». Quelle expérience humiliante ! Que de temps perdu ! On aurait dit que tout était à recommencer.

 

Combien de chrétiens perdent encore aujourd’hui les pédales spirituelles à cause d’une épreuve, permise, voire envoyée par le Seigneur, qu’ils refusent d’accepter et contre laquelle ils se rebellent. Ils commencent alors très souvent une période d’errances dans un désert spirituel, au lieu de continuer d’avancer dans la soumission, vers la Patrie céleste qui leur est promise. Faisons attention. C’est là la grande leçon spirituelle de Kadès-Barnéa.

 

 

Le contournement du pays d’Edom et de Moab

 

Dans les années 1940, l’archéologue Nelson Glueck n’a pas trouvé lors de fouilles en Jordanie, de traces d’une population sédentaire et organisée, en tout cas pas avant le 13e siècle av. J.-C.

 

La Bible dit que si Israël avait pris la « route royale », les Edomites se seraient aussitôt organisés pour lui résister (Nb 21.14-21). Aussi Glueck, pensant qu’une telle organisation était impossible de la part d’un peuple nomadique, a-t-il conclu que la proposition de passage des Israélites à travers Edom, devrait être datée seulement du 13e siècle, et non pas avant. Glueck prônait évidemment la « chronologie courte » pour la date de l’exode (voir l’article précédent, Servir n°6, Nov-Déc. 1989).

 

Cependant, de plus en plus de sites du Bronze Moyen, époque des patriarches, et du Bronze Récent I, époque de Moïse, sont mis à jour en TransJordanie ; aussi les conclusions du Glueck devraient-elles peut-être se trouver révisées un jour. Quoi qu’il en soit, même des Bédouins peuvent s’organiser pour faire une guerre lorsqu’il y a des chefs capables. Pensez à Abraham (Gn 14) ! Et Edom avait bien des princes capables : il en est question en Genèse chapitre 36.

 

Plus intéressant pour nous est le fait qu’Israël devait accepter de faire un trajet bien plus long encore pour contourner les territoires d’Edom et de Moab afin d’éviter tout tir frontalier. C’eût été pourtant bien plus commode d’emprunter le grand axe caravanier nord-sud, de Damas à Elath (Etsjn-Guéber), appelé la « route royale ». Mais l’Eternel ne le leur permit pas. Finalement, il semble que ce contournement a très bien marché. Il n’y a pas eu d’incident. Certains Edomites en profitèrent même justement pour vendre de leur eau et quelque nourriture à leurs cousins israélites, malgré le refus officiel du roi (Dt 2.26-29)

 

Mais pourquoi cette interdiction à Israël de faire la guerre à Esaü ? D’abord parce qu’ils étaient tous parents. Les Edomites étaient une race « cousine-germaine » d’Israël et les Moabites étaient une race « petite-cousine » des Israélites. Les Edomites descendaient d’Esaü, le frère de Jacob, et les Moabites, de Lot, cousin germain d’Isaac, père de Jacob. Certes, plus tard dans l’histoire il y aurait bien quelques guerres entre Israël et Edom et Moab, mais pour d’autres raisons. Au temps de la théocratie, à moins d’être attaqué, Israël se devait de vivre en paix avec eux.

 

Y a-t-il quelque chose à apprendre de ce fait ? Ou n’y a-t-il qu’une histoire de liens de sang ?

Des liens de sang il y en avait, même si la voix du sang s’était tue du côté d’Edom : Edom barrait le chemin à Israël. Mais l’enseignement que cet incident nous offre est de respecter les décrets éternels et la souveraineté absolue de notre Dieu. Dès les temps anciens « II a déterminé la durée des temps et les bornes de la demeure des hommes » (Ac 17.26). Aussi avons-nous à les reconnaître et à nous contenter de notre sort. Il y a même un exemple là pour le chrétien individuel. Un chrétien esclave va évidemment devenir un contremaître s’il en a la capacité. Mais si nous ne pouvons changer notre condition Paul nous rappelle que nourriture et vêtements suffisent. « C’est en effet une grande source de gain que la piété avec le contentement » (1 Tm 6.8, 6).

 

 

Dans les plaines de Sittim (d’Acacias), ou plaines de Moab

 

Dans les plaines de Sittim en face du Jourdain, la nouvelle génération Israélite – tous âgés de 60 ans ou moins (sauf trois d’entre eux, Caleb, Josué et Moïse) – a encore la chance inouïe d’écouter la Loi de l’Eternel récapitulée par Moïse en personne, un homme ayant exactement deux fois l’âge des plus âgés : 120 ans ! Pour deux tiers d’entre eux, ils l’entendaient officiellement pour la première fois.

 

Quelle occasion pour ces Israélites ! Et quelle chance pour nous que Moïse ait pris soin d’écrire cette retranscription de la Loi, peut-être sur des tablettes d’argile – il y avait de l’argile dans la vallée du Jourdain tout près (1 R 7.46) – ou sur du parchemin ou encore sur du papyrus. Grâce à ce travaiI de scribe, nous pouvons lire et méditer aujourd’hui aussi ce Deutéronome (2e loi, ou loi répétée). Le style oratoire de l’auteur se fait sentir, de même que sa pensée si mûre, fruit que seul pouvait porter un homme qui a connu Dieu « face à face » (Dt34.10). Nous constatons que le Dieu du Deutéronome est un Dieu qui sait « tonner » (Dt5.22-25) ; mais aussi qui sait « aimer » (Dt 7.8).

 

Quelqu’un a fait la réflexion que le livre du Deutéronome correspond aux quatre premiers livres du Pentateuque, de la même façon que l’Evangile de Jean correspond aux Evangiles synoptiques. Le parallèle est intéressant et mérite bien notre attention.

 

rouleauIl est certain que dans le Deutéronome nous trouvons des notes éditoriales : le chapitre 34 – racontant la mort de Moïse – ainsi que les explications au chapitre 2.10-12, 20-23, etc., mais l’orateur qu’était Moïse se fait entendre tout au long du texte. Peut-être Moïse a-t-il écrit son texte AVANT de le lire le lendemain matin devant les myriades d’Israël, à cause de sa langue « embarrassée » (Ex 4.10) ? Peu importe, la grande éloquence (et non pas grandiloquence) du livre démontre que « Moïse fut puissant en paroles » ainsi qu’en oeuvres (Ac 7.22), tout comme le Seigneur Jésus qu’il préfigurait (Lc 24.19). Aussi, ces paroles et commandements seront « dans notre coeur » et« nous en parlerons », « dans notre maison », « en voyage », « au coucher », et« au lever », les écrivant même « sur les portes de notre maison ».

 

A propos, quand avez-vous lu le Deutéronome pour la dernière fois ?

 

Et ce verset biblique sur autocollant, est-il bien placé sur votre porte d’entrée ? Et sur votre voiture ?

 

P.W.