Célébrons donc la fête – 1° partie

  repas

 

par François-Jean Martin

 

Lectures : 1 Corinthiens 5.7-8 et Matthieu 11.17-19

 

 

Les églises protestantes, influencées sans doute par le puritanisme et le piétisme des siècles passés, ont marqué de nettes réticences vis-à-vis de la fête dans l’Eglise. On discerne ces dernières années, au travers de l’impact du mouvement charismatique et de la redécouverte du corps (groupes d’expression corporelle, de danse, de mime, de sketch, de théâtre…) un renouveau du vécu de la fête.

 

 

1. La fête : acte communautaire et pédagogique

 

La définition de la fête suppose que l’on précise son cadre social et temporel. Toute fête est un acte collectif. Elle met en oeuvre un mécanisme par lequel chacun s’intègre à l’ensemble social. Au moment de la fête, c’est comme si la communauté nous disait : « Viens, oublie ton masque, ton personnage ! Tu es l’un des nôtres. Quelles que soient tes idées, tes conduites, ta position, on t’aime comme tu es, on t’accepte ainsi. Viens, entre dans la joie commune ».

 

 

La fête est profondément communautaire. Elle nous octroie un climat de liberté qui nous permet d’être nous-mêmes et d’entrer en communication avec autrui.

 

a) La fête nous offre un espace où la fraternité devient possible. Il n’y a plus une prudente et simple juxtaposition. Nous nous parlons réellement. Tous ne sont qu’un corps, un seul coeur, une seule âme.

 

De nombreuses fêtes jouent un rôle dans l’identification sociale, en particulier des enfants, à une communauté, à un peuple. La Pâque juive en est un exemple typique (Ex 12.24-27). C’est un temps de contacts privilégiés avec les autres, en particulier avec les enfants, avec ses enfants. Pour nous, chrétiens, c’est une occasion d’expliquer les valeurs essentielles auxquelles nous voulons de tout notre coeur que nos enfants adhèrent.

 

repas-juifElle a aussi un rôle pédagogique. La fête de la Pâque juive est joyeuse et organisée autour de l’enfant qui préside le repas. La fête suit alors son rythme à lui, alors que, dans la vie courante, l’enfant doit suivre le rythme des autres.

 

b) La fête est aussi un moment où l’on retrouve une famille et où l’on donne une famille à celui qui n ‘en a pas. De nos jours la famille se brise entre autres par la réalité de l’éloignement du lieu où l’on trouve du travail, ce qui sépare les générations. En outre, un grand nombre de gens sont seuls. Aussi l’Eglise, en particulier au moment des fêtes, et par ces moments de fête, doit redonner cette relation familiale dont ils peuvent être privés.

 

Ainsi au lendemain de la fête, chacun retrouve la vie quotidienne, plus conscient de son rôle dans la communauté. En fait, la fête renforce l’appartenance à un groupe, à une communauté. Aussi l’absent, pendant les moments de fête, prive les autres d’une richesse et n’a pas rencontré les autres dans leur totale réalité.

 

Aux yeux de nos contemporains, si nous ne fêtons rien c’est que nous n’avons rien à fêter ! Les chrétiens n’auraient-ils pas, plus que tout le monde, des raisons de fêter, de célébrer, de commémorer ?

 

 

2. Ministère ou mine austère ?

 

Qui tient trop à sa réputation, à sa place, à sa dignité, ne peut fêter ! Les gens en charge d’autorité n’aiment pas beaucoup les fêtes, car ils ont peur de se laisser aller, de se montrer tels qu’ils sont, de ne plus avoir de masque, d’être comme tout le monde. C’est pourtant simple ! Au cours de la fête, chacun s’intègre dans la communauté. C’est le cas de David, dansant sans peur, joyeusement, devant l’arche, en présence de tout le peuple. Malgré sa position royale, David n’a pas peur de manifester sa joie et sa reconnaissance (2 S 6). Cela n’est pas sans risque : Mikal, sa femme, le méprise ! Ceci parce qu’il s’était découvert, livré, donné à connaître aux yeux de tout le peuple, ce peuple sur lequel, de par sa fonction, il avait autorité. Nous aussi, nous voyons hélas maint serviteur de Dieu, maint chrétien, finir par être enfermé dans un rôle, par la lettre d’une fonction.

 

La fête peut libérer tout le monde (les anciens, les pasteurs) du piédestal sur lequel on les place, ou hélas, sur lequel ils se sont placés, et leur rendre leur humanité, leur égalité, leur fraternité

 

 

3. Fête et temps

 

II existe un lien profond entre la fête et le temps. La fête est comme un temps en dehors du temps ; une mise entre parenthèses du temps quotidien et, cependant, elle marque aussi ce temps. Dans le premier sens, divers auteurs, non chrétiens, vont loin. Ils parlent de la fête comme d’un espace hors du temps qui nous fait accéder « à une autre espèce de temps, un temps sacré, plus vrai, plus pur que le temps présent… un âge d’or oublié… le temps du paradis terrestre… temps d’avant la chute… »

 

Dans le même sens, la fête, en se répétant, simule l’éternité, ce qui perdure. C’est un temps originel. Ce temps des origines, la fête ne se contenterait pas de le rappeler, mais le ferait aussi revivre, et ainsi le chaos de la fête serait donc fondamentalement le chaos des origines. C’est au fond un aspect régénérateur.

 

Une telle idée semble combler les aspirations de l’homme aux prises avec la vie moderne ; c’est un retour à l’état de nature, aux sources, au paradis perdu. C’est la fête idéale des temps primitifs qui joue dans les imaginations le rôle d’un mythe d’origine des fêtes. Cependant, de nombreux exemples de fêtes reconnues ne cadrent pas avec cette perspective. Une telle conception ne repose pas sur suffisamment d’observations pour le confirmer, mais elle est intéressante, car elle dévoile des images, voire des utopies. Au fond, cette proposition est moins intéressante quant à sa réalité que quant à l’illustration de désirs ou d’aspirations. Dans la réflexion sur la fête, il ne faut pas prendre ses désirs pour des réalités.

 

Il y a aussi dans la fête païenne une intention de vaincre le temps, comme si, pour quelques heures, quelques jours, nous pouvions revenir en arrière, conquérir une éternelle jeunesse, oublier notre âge, oublier le temps. Elle fait de ce temps de la jeunesse un âge d’or, le bon vieux temps. En fait, dans ce cadre, le temps est conçu de façon cyclique, c’est le mythe de l’éternel retour. Les grandes fêtes se trouvent ainsi liées au rythme des saisons, elles reviennent année après année, au rythme de la terre. L’homme, fils de la terre, y trouve ainsi ses racines, s’en souvient.

 

De même pendant la fête, on oublie la durée. La fête se prolonge parce que l’instant est si beau, si vrai, si profond qu’on désire oublier le temps, toute la littérature est empreinte de ce « temps suspens ton vol » et de ces « heures fatales, arrêtez donc le coeurs ».

 

Plus simplement, J. Dulac chantait en 1966 :

Lorsqu’on est heureux,

On devrait pouvoir

Arrêter le temps…

 

La conception chrétienne n’est pas semblable. Bien sûr, les fêtes chrétiennes rappellent aussi des saisons et des événements agraires, mais elles les transcendent, montant plus haut, à la source de toutes les abondances, à Celui qui les a faites, qui donne les pluies de saison et d’arrière-saison. Nous dépendons de lui. En fait, la conception biblique du temps et de l’histoire n’est pas cyclique mais linéaire et la fête est là pour nous le rappeler.

 

Les faits que la fête commémore ne sont pas mythiques, ils sont historiques. Nous nous en souvenons et, par la fête, nous pénétrons dans l’alliance où une communauté s’inscrit dans une histoire ayant un début et marchant vers un aboutissement prévu par Dieu. La fête a donc, tout comme la Sainte Cène, moment de fête, un signifié eschatologique.

 

Plusieurs autres aspects paraissent importants. La fête remet le travail à sa place. Elle suggère que le travail, bien que rémunérateur, n’est pas la plus haute fin de la vie, mais doit contribuer à l’accomplissement de la personne humaine. Même à notre époque où, pour beaucoup, le manque de travail bouleverse les vies et spécialement en ces jours où le chômage est la préoccupation principale de toutes les générations, nous avons besoin d’interrompre nos occupations à date fixe pour nous souvenir que ce ne sont pas un produit national brut, la balance des paiements, ou le plein emploi de tous qui peuvent apporter le salut.

 

La fête doit marquer un contraste. Elle doit être notablement différente de la vie quotidienne. La réalité de la fête repose sur une rupture du rythme de travail quotidien, des conventions et de la retenue ordinaires.

 

Ainsi la fête nous aide à être sensibles au temps, car elle lie entre eux le passé, le présent et l’avenir.

 

Elle nous rend conscients de la continuité de l’histoire. Elle nous ouvre les yeux sur la réalité du monde qui nous absorbe et dont par l’interruption de la fête nous sommes momentanément coupés, ce qui nous le rend par là-même visible. Elle marque une rupture qui rend la vie supportable.

 

Le jour de fête est un intervalle de temps particulier pendant lequel les habituels travaux quotidiens sont écartés, tandis que l’homme célèbre quelque événement, affirmant l’importance pour lui et les siens de ce qui est ou de ce qui conserve la mémoire d’un fait. La fête naît de la capacité de l’homme d’incorporer dans sa vie personnelle les joies d’autres gens et l’expérience des générations antérieures. N’étant pas tournée sur le passé, elle permet de célébrer aussi des événements à venir. La fête a un caractère eschatologique certain, pouvant préparer à l’avènement d’une nouvelle ère, à l’accomplissement d’un temps.

 

La fête, par ces caractéristiques, contribue à faire de l’homme une créature qui se saisit dans une origine et une destinée et pas seulement comme une vapeur fugace.

 

Elle nous lie, nous chrétiens, à l’histoire du salut et à celle de l’Eglise.

 

(à suivre)

 

F.-J. M.