Le ministère d’aumônerie – Quelques pistes

 

interview

 

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Interview de Philippe BUTEL

 


Philippe Butel travaille depuis quelques années comme aumônier des hôpitaux à Lyon. Servir lui a demandé de témoigner de ce qu’il vit dans cette expérience nouvelle pour lui.


 

En octobre 1996, la pastorale protestante évangélique lyonnaise consacrait une journée d’information aux différentes aumôneries de la région. Je n’avais jamais été jusque-là sensibilisé ni informé de la réalité sur le terrain de ce service dans le domaine hospitalier. C’est donc de façon inattendue que j’ai été rejoint et interpellé par le ministère de l’aumônerie protestante hospitalière lyonnaise.

 

Après avoir suivi la formation initiale proposée, j’ai fait partie de l’équipe protestante en tant que visiteur bénévole et je suis depuis maintenant une année et demi aumônier à mi-temps, l’autre part de mon temps étant consacrée au ministère pastoral à l’Eglise de Villefontaine (38). L’équipe lyonnaise est composée de quatre aumôniers et d’une vingtaine de visiteurs ; il faut ajouter une dizaine de personnes qui suivent actuellement le stage théorique. Des représentants des Eglises réformée et luthérienne et de différentes églises évangéliques collaborent ensemble à un témoignage commun.

 

Cet article ne fait qu’ouvrir quelques pistes et caractériser quelques enjeux du ministère d’aumônerie.

 

L’aumônerie, un privilège. Travailler au sein de l’aumônerie hospitalière à Lyon, c’est déjà bénéficier d’un grand privilège, celui de pouvoir visiter systématiquement les malades dans la majorité des établissements où nous sommes présents. Ce privilège s’accompagne d’une responsabilité importante, celle de réfléchir à la manière dont nous voulons être témoins du Seigneur non seulement auprès des malades, c’est une priorité, mais aussi auprès de la famille et des amis et également auprès du personnel que nous côtoyons régulièrement.

 

Etre aumônier, c’est répondre à une vocation. Etre témoin en milieu hospitalier, c’est certainement répondre à un appel né d’un désir de se rendre utile, de donner de son temps, d’apporter chaleur et amour à ceux qui souffrent et se sentent seuls dans ce monde particulier de la maladie et de la vieillesse. Mais ici plus que dans tout autre service, la bonne volonté et la plus grande des générosités ne suffisent pas. Il importe de prendre conscience des raisons profondes qui poussent à désirer ce type de service plutôt qu’un autre. La confrontation hebdomadaire, voire journalière pour certains aumôniers, avec la souffrance, la mort et les interrogations qui y sont liées ne peut laisser indifférent ; personne n’en sort indemne. Il est donc important de discerner d’où l’on écoute et d’où l’on parle. Quand je dis « où », j’entends signifier le lieu de mes émotions, de mes peurs, de mes pensées, de mes convictions face à la souffrance et le lieu des moyens d’apprentissage pour exercer ce ministère avec ce que je suis, sans être paralysé ni rester superficiel.

 

Une formation permanente est donc indispensable pour travailler sur soi, apprendre à vivre en équipe, décoder les mystères et les richesses de la relation humaine, renouveler sa lecture biblique pour y trouver ses sources. C’est ce qui se vit à Lyon par la mise en place chaque mois de rencontres entre visiteurs et aumôniers. En particulier un temps de relecture des entretiens est mis en place avec un professionnel qui nous aide avec ses outils, dans le respect des objectifs particuliers qui sont les nôtres. Des rencontres sur des thèmes touchant à ce service sont également proposées.


Nul ne peut écouter s’il n’a été écouté. On ne peut écouter que de là où l’on a été écouté soi-même. « On ne s’improvise pas écoutant et avant d’occuper cette place on aura tout à gagner, d’abord pour soi, à apprendre de soi : repérer ses ambitions, ses contradictions, ses ambivalences, ses retenues, ses refoulements… et aussi être capable de se pardonner à soi-même !… dans l’« apprendre de soi », il n’y a pas de terme1 »
Il n’y a pas d’approche simple de la souffrance. La côtoyer régulièrement dans son aspect pénible pour celui qui la subit va également interroger le visiteur sur la pratique de sa foi, sur le sens qu’il donne au texte biblique, finalement sur le sens qu’il donne à sa vie face à la mort.

 

Je pense à cette dame rencontrée dont le fils déjà lourdement handicapé était atteint d’un cancer, avec un diagnostic très mauvais. Cette mère venait de passer une nuit éveillée au chevet de son fils gémissant et se plaignant de mal à la jambe. Elle me dit être exténuée : « Je prie Jésus tous les jours, mais il ne répond pas, il n’entend pas ». La tentation peut être forte de donner une parole consolatrice pour soulager sa propre angoisse et interrogation.

 

« Il y a dans certaines bontés insistantes et impassibles comme la manifestation renversée d’une volonté réductrice et despotique d’amener l’autre à sa merci2 » « S’il se croit le « sauveur » d’une personne en fin de vie, le bénévole, en effet, n’est pas à sa place. Encore moins que dans tout autre service, il n’est pas permis de se croire indispensable. L’important c’est d’être un maillon dans cette grande chaîne de tous ceux qui entourent le malade, maillon conscient de l’impossibilité de mesurer la profondeur de la relation d’aide, conscient de l’incertitude de son importance, conscient enfin que ce malade ne lui appartient pas3»

 

Etre témoin, c’est déjà permettre à celui que je rencontre de dire. C’est accueillir tout ce qu’il dit, tout ce qu’il a envie de dire, comme il a envie de le dire… et par là manifester que Dieu s’intéresse à lui, jusque dans les moments les plus sombres. Etre témoin, c’est ouvrir un espace de communication qui respecte la personne dans tout ce qu’elle est et ressent… Etre témoin, ce n’est donc pas savoir pour l’autre ou à la place de l’autre.


L’aumônier, le visiteur, la visiteuse sont en quelque sorte des passeurs de frontières. Ils vont chaque semaine à la rencontre d’hommes et de femmes inconnus. Entrer dans une chambre, c’est passer une frontière. Pour ce qui concerne les malades, la plupart de ceux à qui nous rendons visite, n’ont rien demandé. J’arrive de l’extérieur pour entrer en contact avec quelqu’un qui se trouve contraint d’être dans un lieu qui n’est pas le sien, un lieu dans lequel il n’a pas ses repères habituels, un lieu qui le déstabilise à bien des égards, lieu dans lequel il passe. La plupart du temps nous remarquons que la visite au nom de l’aumônerie est bien ressentie. Se présenter auprès du malade comme faisant partie de l’équipe d’aumônerie n’est pas neutre et va immanquablement orienter la conversation.

 

Passer la frontière, c’est accompagner, « cheminer avec », c’est se rendre présent à l’autre au-delà des résonances de notre vie, de nos connaissances, de notre interprétation de sa souffrance et de tout ce que nous projetons sur lui. Ainsi pourront être entendues une tranche de vie, une question importante, une souffrance sur laquelle des mots vont être mis. Beaucoup peut se dire en peu de temps sur le sens de la vie et de la mort, sur le sens ou le non sens de la foi…

 

Dans ce dialogue que chacun vivra selon sa sensibilité. Oser une parole sera toujours un risque à assumer… une parole qui ne soit ni fuyante, ni irresponsable, ni hors de la réalité perçue par celui qui souffre. Et dans le cas cité plus haut la réalité était la suivante pour cette mère « Mon fils va mourir ! »

 

« En deçà des soins et de l’espoir d’un brin de vie supplémentaire, l’ultime demande de l’homme est d’être écouté et reconnu, même lorsqu’il ne peut plus formuler son message avec des mots4 »

 

Dieu a tout risqué pour l’homme. Dieu a franchi une frontière pour rejoindre l’homme dans sa condition. L’Evangile c’est Dieu fait homme et non l’homme fait Dieu. C’est bien Dieu qui rejoint l’homme dans tous les détails de sa vie, dans ses joies, ses peines, ses souffrances, ses limitations… C’est bien lui qui rend à l’homme sa place de sujet, qui le déplace de sa situation d’objet manipulé par les circonstances ou d’objet écartelé entre l’image d’un Dieu qui résout tous les problèmes par un coup de baguette magique et l’image d’un Dieu pervers qui se plaît à faire souffrir ses créatures.

 

La Parole a été faite chair et elle a habité parmi nous5. Quel acte de Dieu discret et silencieux, cette Parole faite chair en Marie. Le message premier de l’Evangile c’est bien Dieu qui dit aux hommes : Je suis là. Je suis là dans la faiblesse, je suis là dépendant, mais je suis là ; le plus important dans la vie des hommes c’est ma présence. A l’autre bout de la vie de Jésus, il y a sa mort sur la croix. La mort de Jésus, c’est Dieu qui se rend impuissant pour les hommes. Encore le silence… La résurrection n’est pas l’effacement de la croix, le rêve de toute-puissance de l’homme qui peut renaître, mais l’assurance de la présence du Christ, de la validité universelle de son sacrifice pour tout homme, toute femme de cette terre, quel qu’il soit et quel que soit son état. D’ailleurs même ressuscité, Jésus porte encore les marques de son humanité dans ses mains et son côté.

 

Quelque chose de l’amour de Dieu peut être vécu au sein de l’aumônerie dans les rencontres suscitées. C’est au nom du Seigneur que nous y allons. C’est aussi au nom de l’Eglise. Ce service n’a de raison d’être que s’il est un service de l’Eglise. C’est pourquoi, pour conclure ces quelques réflexions très partielles, je le recommande à vos prières et à votre intercession pour qu’il porte du fruit pour le Seigneur.

 

P.B.


 

NOTES

 

1. Hubert AUQUE, Etudes théologiques et religieuses, «Des aumôniers pour demain», 1997/4, p.592.

 

2. Jean-Marie GENG, Mauvaises pensées d’un travailleur social, 1977, p.55, cité par Marthe hofstetter, dans L’accompagnement des personnes en fin de vie par les bénévoles, mémoire de licence, p.97-98.

 

3. Marthe HOFSTEETER, op. cit., p.98.

 

4. Inge GANZEVOORT, « Ecouter à trois l’inaudible », dans le livret de la commission Eglise et Santé de la Fédération Protestante de France : Responsables, nous le sommes, octobre 1999, p.25.

 

5.  Jn 1.14.