Les cinq avertissements de l’Epître aux Hébreux

 

 the-bible

par Jean-Pierre Bory

 

 

 

Il y a deux grands courants de pensée qui s’affrontent dans les Eglises évangéliques au sujet de la garantie ou de la perte possible de son salut éternel. La question n’est pas aisée : certains versets, pris isolément il est vrai, semblent aller dans le sens qu’il soit possible de démériter et de finir dans la séparation définitive d’avec Dieu alors qu’à une certaine période de la vie on a réellement cru en la grâce de Dieu, reçu intimement l’assurance d’être sauvé en Jésus-Christ (voir p. 16 du même numéro)

 

Certains textes de l’épître aux Hébreux sont cités à ce propos.

 

 

Certains textes de l’épître aux Hébreux sont cités à ce propos.

 

Dans l’épître aux Hébreux, cinq avertissements solennels sont adressés aux destinataires par l’auteur de la lettre. On les trouve dans les chap. 2.1-4; 3.7 à 4.11; 5.11 à 6.20; 10.26-39; 12.18-29. A qui les adresse-t-il ? A des non chrétiens ou à des chrétiens ? Certains interprètes de la Bible semblent y voir une preuve que l’auteur envisage la possibilité pour des chrétiens de perdre leur salut : Pierre n’interpelle-t-il pas ses destinataires par ces mots : frères, saints, qui avez part à la vocation céleste (3.1), frères (3.12), bien-aimés (6.9) ?

 

J’aimerais montrer que cette seconde interprétation est loin d’être la seule possible et pourrait bien être la moins probable des deux.

 

Selon un procédé bien connu des étudiants de la Bible, l’auteur, bon écrivain, utilise une structure littéraire appelée le chiasme, qui fait que le premier et le dernier avertissement se complètent, le deuxième et le quatrième aussi ;

 

et le troisième, au milieu, est le plus important, celui sur lequel l’auteur veut faire porter l’accent. Il semble donc logique de respecter son intention et d’étudier les N° 1 et 5, puis les n° 2 et 4, et enfin le 3’™, central et mis en évidence par les 4 autres.

 

 

1er et 5ème avertissements

 

Le chapitre 2 commence par c’est pourquoi : le premier avertissement de l’épître découle directement de ce qui vient d’être dit et démontré au 1er chapitre : la supériorité absolue de Jésus, le Fils, sur les anges les plus puissants. De nature divine identique à celle du Père, il est pleinement Dieu ; sa parole mérite donc la plus vive attention : aucune autre parole ne saurait prévaloir sur elle.

 

Argumentation biblique du 1er avertissement (2.1-4)

 

2.1 : Le risque est la dérive ; en grec : de peur que nous ne soyons coulés à côté : c’est l’image d’un bateau entraîné par un courant à côté de l’entrée du port et qui éventre sa coque sur des rochers (trad. du « Semeur » : afin de ne pas être entraînés à la dérive). Le navire hors du port, a le choix d’entrer dans le port où il sera sauvé de tout naufrage ou de se laisser dériver par des courants loin de l’entrée (2.1).

 

Nous avons là un raisonnement a fortiori : les paroles des anges s’étant accomplies (2.2), à plus forte raison celles du Fils s’accompliront-elles (2.3). Il serait donc stupide de négliger l’offre d’un si puissant moyen de salut ! C’est un message à ceux qui n’ont pas encore reconnu pour vraies les paroles du Christ. Il ne s’agit pas de perdre le salut, mais de rater l’occasion de choisir le salut.

 

Argumentation du 5ème avertissement (12.18-29)

 

Après un bref rappel de la situation dans laquelle se trouvaient les Israélites face à Dieu (12.18-24), l’auteur souligne le fait que les hommes du temps de la Nouvelle Alliance sont très privilégiés, donc plus responsables. Les patriarches pouvaient être excusables d’avoir eu peur du Dieu saint, mais ce n’est plus le cas pour ceux de la Nouvelle Alliance qui ont un accès direct auprès du même Dieu saint grâce à la médiation et au sang versé de Jésus (12.22-24).

 

L’auteur rappelle juste avant cela (12.16-17) l’exemple d’Esaü qui est très clair : il avait été mis à part dès sa naissance pour être l’aîné, donc celui à qui devait revenir l’héritage. Dans un moment de « folie », un moment d’irréflexion et de mépris pour les paroles de Dieu, il avait préféré un plat de lentilles. Ensuite, il ne put revenir en arrière.

 

Certaines personnes sont privilégiées, comme mises à part pour Dieu, évoluent dans un environnement chrétien, dans une condition plus favorable que d’autres pour être sauvées : elles devraient hériter du salut (1.14). Encore faut-il qu’elles l’acceptent.

 

Donc les 1er et 5ème avertissements s’adressent à des personnes qui n’ont pas encore pris la décision d’accepter la grâce de Dieu.

 

 

2ème et 4ème avertissements (3.7 à 4.11)

 

Argumentation biblique du 2ème avertissement

 

3,7.13.15 ; 4,7 : Le principe est répété 4 fois. Auj’ourd’hui ; c’est le moment donné par Dieu ; il n’y en aura peut-être pas d’autre : ne vous endurcissez pas dans votre refus !

 

Une offre de salut, une offre d’entrer dans le repos de Dieu, est faite encore aujourd’hui aux hommes incrédules : qu’ils répondent sans tarder. Leur réponse, puis leur fermeté dans la décision prise sera le test qu’ils ont réellement part à la grâce de Dieu. Dans les chap. 3 et 4, cet ordre revient quatre fois : n’endurcissez pas vos coeurs, ne vous endurcissez pas au point de fermer vos oreilles à l’appel de Dieu (illustration donnée : les Israélites qui avaient bien traversé la Mer Rouge, mais n’étaient pas encore entrés dans le repos – le pays de Canaan : 3.17-19 – : ils avaient entendu la voix de Dieu, ils étaient restés incrédules (3.19), ils avaient endurci leurs coeurs (3.15) et moururent dans le désert).

 

La leçon du 4ème avertissement

 

reprend celle du 2ème en la précisant : un refus répété est volontaire est grave ; c’est un outrage à la grâce de Dieu, au Fils de Dieu lui-même. Comment un tel homme pourrait-il être sauvé (voir dans le même numéro l’article « Le péché contre le St-Esprit », p. 19 ). Tout péché peut être pardonné, sauf celui de refuser d’être pardonné. Alors il ne reste plus que « l’attente d’un jugement terrifiant » (10.27a).

 

Les destinataires sont des hommes placés devant le choix d’accepter ou de refuser le salut.

 

Et l’on en arrive à la leçon centrale, la plus importante certainement :

 

 

3ème Avertissement (5.11 à 6.20)

 

Les destinataires ont été éclairés, ils ont goûté le don céleste et la Parole de Dieu, ils ont été arrosés fréquemment, et pourtant…

 

6.4 : éclairer

(en grec : phôtizô : illuminer, éclairer). Autres emplois : mettre en lumière le mystère caché (Ep 3.9) ; être éclairé par la Bonne Nouvelle de Christ, avoir eu sous les yeux le mystère de Christ révélé dans sa Parole ne signifie pas être sauvé (Jn 8.12) : le monde entier a été l’objet d’une illumination par le Seigneur mais n’est pas sauvé pour autant. Les hommes ont vu où était la véritable lumière, mais ils l’ont refusée et se sont détournés. Ils n’ont pas accepté le Seigneur comme Sauveur personnel.

Ici l’illumination a été faite « une fois » et cela a changé le statut des hommes : avant, il ne savaient pas mais maintenant ils savent ; refuser d’écouter le Christ équivaut à le faire taire encore une fois, à le « crucifier » à nouveau en quelque sorte (Hb 6.6). D’où la gravité extrême de ce refus conscient et volontaire.

 

6.4 : goûter

(geuomai : goûter) goûter le don céleste, ne signifie pas manger, se nourrir. Goûter signifie ne prendre que quelques miettes, qu’une larme de vin pour en avoir le goût et s’en faire une idée. Se nourrir permet de vivre, goûter ne nourrit pas son homme. De même dans la parabole du semeur, la terre du chemin qui recevait les graines en surface, les faisait germer, mais ne leur permettait pas de plonger leurs racines plus profondément. Goûter le don céleste ne signifie pas l’avoir reçu.

 

6.4 : avoir eu part à l’Esprit Saint

(metochos : celui qui a une part).

colombeCeux qui ont eu une part du don céleste sont des hommes qui ont bénéficié de bienfaits, de privilèges dans une Eglise locale : ils ont compris leur culpabilité, ils ont été convaincus du jugement à venir (Jn 16.8,10), mais n’en ont pas tenu compte. Ils ont goûté à une part des bénédictions spirituelles, de la chaleur de la communion fraternelle, ils ont fait partie d’un groupe de personnes ayant expérimenté les oeuvres puissantes de l’Esprit (Mt 7.21-24), ils ont été encouragés par des promesses de l’Ecriture, mais ils n’ont pas pris de décision pour eux-mêmes, ils n’ont jamais été plongés, baptisés dans l’Esprit Saint.

 

6.7 : avoir bu souvent l’eau du ciel

(piousa : celle qui a bu). II ne suffit pas pour la terre d’être arrosée, même abondamment par la Parole de Dieu, pour produire des plantes utiles (Mt 5.45 : Le Seigneur fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes). Cette terre arrosée par des pluies fréquentes peut ne produire que des épines et des chardons (Hb 6.8).

 

 

Leçon du 3ème avertissement

 

Dans l’illustration de l’avertissement précédent, les Israélites dans le désert, eux aussi avaient joui de la délivrance des Egyptiens, du miracle de la Mer Rouge, de la manne, des sources jaillies du désert, de la nuée protectrice et conductrice de Dieu…, mais ils s’étaient contentés de consommer, de goûter, de rester à l’abri de la nuée quand ils avaient peur, de la suivre quand ils ne savaient où aller … sans que cela ait changé leur coeur, leur vie, sans que cela les ait conduits à l’obéissance. Ils ne firent pas confiance à Dieu et périrent.

 

Les lecteurs de l’épître ont été éclairés au sujet de la voie du salut, ils ont goûté aux privilèges des membres de l’Eglise, ils ont eu part à certaines bénédictions avec eux (l’Esprit a travaillé dans leur cœur, les a convaincus de leur état de péché et de la véracité de l’Ecriture), ils ont souvent été avertis, enseignés… Que leur faut-il de plus ?

 

Il ne s’agit certainement pas d’un avertissement à des chrétiens rachetés, nourris de Christ, mais à des personnes en contact avec l’Eglise et l’Evangile. Des personnes qui fréquentent une chapelle, un temple, mais sans faire partie vraiment du Corps de Christ. Ce sont des chrétiens de nom, des membres de famille chrétienne qui pensent être sauvés, ou à qui l’on a peut-être dit que quelques pratiques religieuses suffisent pour être chrétiens. Ou bien des personnes qui ont été enseignées dans la vérité, qui savent qu’une repentance et une demande de grâce auprès du Seigneur sont nécessaires mais n’en font rien (ils oublient que tous les hommes sont perdus devant Dieu, sans pour autant être des délinquants ou des criminels – Rm 3.23).

 

D’ailleurs, lorsque Pierre s’adresse à ses destinataires en les appelant frères, frères bien-aimés, il dit aussi d’eux que ces frères saints pouvaient avoir un cœur méchant et incrédule (Hb 3. 1 et 12) : il s’agissait de ses frères juifs qui ne croyaient pas encore en la messianité de Jésus-Christ et se détournaient de cette offre de salut. Le long rappel de l’expérience des Israélites morts dans le désert confirme cette compréhension.

 

 

Conclusion

 

Les destinataires de l’épître ne sont pas frappés d’une impossibilité d’un nouveau pardon (J. HERING souligne que le texte affirme que le salut est encore offert : Hb 10.19-23), mais d’une incapacité de croire s’ils refusent ce message : ils ne trouveront la foi nulle part ailleurs.

 

 

Ce 3ème avertissement, central, est donc très important pour nos Eglises, très fort, capital : sommes-nous certains que tous les « membres » de nos communautés ont réellement accepté Christ comme Sauveur ?

 

Le texte de Mt 7.21-27 illustre de façon dramatique cet avertissement :

 

Cependant pour ceux qui ont cru, cette parole,
promise et jurée,
est une ancre ferme pour leur espérance ;
Jésus est notre souverain sacrificateur pour l’éternité (Hb 6.19) !


J.-P. B.