Le péché contre le Saint-Esprit

 

CEIE colombe 

 

par Alfred KUEN

 


 

Beaucoup de chrétiens ont été tourmentés à l’idée qu’après une certaine faute, ils avaient commis « le péché irrémissible », qui ne pourrait jamais être pardonné.  Que dit l’Ecriture à ce sujet ?

 

 

Le blasphème impardonnable

 

L’expression provient d’une parole de Jésus : Je vous avertis : tout péché, tout blasphème sera pardonné aux hommes mais pas le blasphème contre le Saint-Esprit. Si quelqu’un s’oppose au Fils de l’homme, il lui sera pardonné ; mais si quelqu’un s’oppose au Saint-Esprit, il ne recevra pas le pardon, ni dans la vie présente ni dans le monde à venir (Mt 12.31-32).


En voyant les miracles de Jésus qui l’accréditaient manifestement comme Envoyé de Dieu, les pharisiens ont attribué les guérisons et les exorcismes à Satan. Après leur avoir démontré l’illogisme d’une telle supposition (v. 25, 26, 29) et le sens de ce signe (v. 28), Jésus les avertit des conséquences de leur mauvaise foi évidente : si en toute connaissance de cause, ils refusent de croire en lui, en s’opposant au témoignage intérieur de l’Esprit de Dieu en eux, c’est qu’ils ont sciemment choisi de refuser la vérité. Dans son respect du libre choix de l’homme, Dieu ne peut que leur dire : « Que votre volonté soit faite ! ». Il s’agit ici moins d’un acte ponctuel que d’un état du cœur résultant d’une opposition volontaire et persistante à la reconnaissance de la vérité.

 

 

Un refus délibéré d’accepter la grâce

 

L’évangéliste allemand Ernst Modersohn disait : « Le péché contre le Saint-Esprit consiste donc dans le fait que, contrairement à ce que l’on sait pertinemment, on attribue à Satan une action de l’Esprit de Dieu afin de ne pas être obligé de changer sa vie… Un signe de ce péché est un endurcissement contre l’action du Saint-Esprit en poursuivant sans vergogne son chemin dans le péché. Celui qui a commis ce péché n’a que mépris et moqueries pour tout ce qui est divin et sacré. Celui qui reste préoccupé de son salut peut être assuré qu’il n’a pas commis ce péché… Chaque péché dont on demande le pardon sera pardonné. Mais s’endurcir contre Dieu et contre son Esprit, c’est précisément refuser d’être pardonné ; c’est ne pas demander à Dieu de pardonner ce péché – qui, par conséquent, ne peut pas être pardonné1 »
Nombres 15.30 faisait déjà une distinction entre des péchés commis par inadvertance et d’autre commis « la main haute » (« délibérément ») pour lesquels il n’existait pas de sacrifice – donc pas de pardon.

 

 

Un refus de l’aide du Saint-Esprit

 

Luc 12.10 situe cette parole dans un autre contexte : entre un enseignement sur le rôle de l’Esprit Saint comme conseiller et défenseur de ceux qui confessent le nom du Fils de Dieu (v. 8-9) et une promesse de l’aide qu’il apporte à ceux qui sont traduits devant des tribunaux afin qu’ils disent les bonnes paroles (v. 11-12).

 

Cela fait penser que Luc suggère l’idée que le blasphème contre le Saint-Esprit implique un refus de son aide puissante lorsqu’elle est disponible pour empêcher les disciples de le renier et, ce faisant, d’apostasier. Si tel est le cas, le blasphème contre l’Esprit est synonyme d’apostasie, d’une répudiation délibérée et décisive de Jésus comme Seigneur. Ce n’est pas le seul passage du Nouveau Testament qui avertit contre le mal irrémédiable de l’apostasie : un autre exemple bien connu est Hb 6.4-6 où il est dit qu’il est impossible d’amener de nouveau des apostats à la repentance, puisqu’ils ont répudié le seul chemin du salut. Mais Luc joint à cet avertissement contre le péché impardonnable l’affirmation de Jésus qu’il y a pardon « pour tous ceux qui parlent contre le Fils de l’homme, parce que son identité réelle était voilée2 ».

 

 

Un blasphème, c’est-à-dire une insulte contre Dieu

 

Sidlow Baxter consacre tout un chapitre de ses Studies in Problem Texts au « péché impardonnable » (Grand Rapids, Zondervan 1981 p. 117-130). Il fait remarquer d’abord que ceux qui avaient commis ce péché – ou qui étaient susceptibles de le commettre – étaient des gens moraux, c’étaient même les plus religieux d’Israël. Cela nous avertit que ce péché n’est pas un péché « crapuleux » (débauche, crime, ivrognerie, violence). Ce péché était un blasphème , c’est-à-dire une insulte contre Dieu.

 

La raison pour laquelle ce péché ne peut pas être pardonné, c’est qu’il procède d’une attitude déterminée de l’esprit qui s’est fermé volontairement à la lumière divine et s’est barricadé contre la vérité. Tout péché dont on se repent peut être pardonné, mais la particularité de ce péché, c’est qu’il refuse la repentance. Et, à force de refuser de se repentir, on en devient incapable. C’est par de nombreuses résistances à l’appel de Dieu que l’on s’endurcit contre ses appels et que l’on développe une attitude qui rend toute repentance impossible.

 

« Un peu comme certains abus engendrent des maladies irréversibles. Si un fumeur invétéré, qui a entendu tous les avertissements au sujet des dangers de sa tabagie, développe un cancer des poumons, peut-il encore revenir en arrière ? Le médecin peut-il « pardonner » son cancer ? Le Saint-Esprit « convainc de péché, de justice et de jugement », mais il n’a aucun pouvoir sur ceux qui ne veulent pas se laisser convaincre. Il arrive un moment où Dieu dit : « Le peuple d’Ephraïm s’est lié aux idoles. Qu’il aille son chemin. »(Os 4.17). C’est ce qui s’est passé pour le pharaon de l’exode. Dix-huit fois, nous lisons que son cœur était endurci : neuf fois, c’est lui qui endurcit son cœur contre l’appel de Dieu, et neuf fois, Dieu endurcit son cœur. Malgré toutes les démonstrations de la puissance et de la souveraineté de Dieu, il refusa de céder à l’ordre de laisser partir le peuple d’Israël. C’est un refus qui s’apparentait au péché contre le Saint-Esprit.

 

Un autre exemple est celui de Saül, le premier roi d’Israël qui, malgré un excellent début, s’engagea de plus en plus sur la voie de la résistance à Dieu, s’arrogeant présomptueusement les prérogatives sacerdotales (1 S 13), désobéissant consciemment à Dieu (ch. 14) et mentant à Samuel (ch. 15). Puis il ouvrit son cœur à la jalousie et tenta par trois fois de tuer David qu’il savait consciemment être l’élu de Dieu pour lui succéder.

 

Lorsqu’il constata : « Dieu s’est retiré de moi », au lieu de se repentir et de revenir à lui, il alla consulter la pythonisse d’Endor, tout en sachant que Dieu l’avait interdit. Même si nous ne pouvons pas dire qu’il ait commis le péché impardonnable, il a, en tout cas, illustré le chemin qui y mène. Un autre exemple, dans le Nouveau Testament, est celui d’Hérode auquel Jésus ne répond plus : il avait eu maintes occasions d’entendre la vérité par Jean-Baptiste, mais il a fermé son cœur à la voix de Dieu, préférant vivre dans le péché3 ».

 

Lorsque Paul persécutait les chrétiens, il ne péchait pas contre le Saint-Esprit, car, comme il l’a dit plus tard, il agissait par ignorance (1 Tm 1.13). Mais si, sur la route de Damas, en voyant le Seigneur ressuscité et en entendant sa voix, il avait fermé ses yeux et ses oreilles, s’il avait persévéré dans son opposition au Christ, il se serait définitivement fermé à la vérité en commettant le péché contre le Saint-Esprit.

 

 

Au-delà du point de non-retour


Un passage qui a souvent été rapproché de ceux des Evangiles qui parlent du péché contre le Saint-Esprit est Hébreux 6.4-6 (voir dans ce même numéro l’article : « Les cinq avertissements », p.10).

 

Le péché dont il est question ici a un certain nombre d’analogies avec le « péché contre le Saint-Esprit » de Mt 12.32 et Luc 12.10. « Dans ces versets, dit F.F. Bruce, il n’est pas question de la `persévérance des saints’ ; nous dirions plutôt qu’ils insistent sur le fait que ceux qui persévèrent sont les vrais saints. Mais, en fait, il énonce une vérité pratique qui s’est vérifiée toujours à nouveau dans l’histoire de l’Eglise visible. Ceux qui ont partagé les privilèges de l’alliance avec le peuple de Dieu et qui, ensuite, y ont renoncé délibérément sont les personnes les plus difficiles à convertir à la foi. […] Sur le plan spirituel, l’expérience nous suggère qu’il est possible d’être « immunisé » contre le christianisme. […] Certains voient clairement où se trouve la vérité, s’y conforment même pour un temps, mais ensuite, pour une raison ou une autre, y renoncent4 ».

 

Ces personnes s’acheminent inéluctablement vers une séparation définitive d’avec Dieu, vers la perdition éternelle.

 

Nous avons tous connu de ces personnes qui étaient tout près du salut et qui s’en sont détournées par la suite. Pourquoi ? Dieu seul le sait. Mais nous savons qu’elles ont été immunisées contre la foi et ne veulent généralement plus rien savoir des chrétiens. C’est en toute connaissance de cause qu’elles ont choisi de ne pas accepter l’offre que Dieu leur faisait en l’appuyant du témoignage du Saint-Esprit ; elles ont méprisé le Fils de Dieu, considéré comme sans valeur le sang de l’alliance par lequel cette alliance a été consacrée, outragé le Saint-Esprit qui nous transmet la grâce divine (Hb 10.29).

 

 

Le péché qui mène à la mort

 

crashCependant l’apôtre Jean parle d’un péché qui mène à la mort, pour lequel il ne demande même pas aux chrétiens de prier (1 Jn 5.16). Albert Nicole et John Stott, dans leurs commentaires, assimilent ce péché au « péché contre le Saint-Esprit » dont parlait Jésus, c’est-à-dire à « un aveuglement volontaire, une rébellion systématique contre les vérités reconnues» (A. Nicole5). « Ils ont mieux aimé les ténèbres que la lumière parce que leurs œuvres étaient mauvaises » (Jn 3.19). Ils ont « volontairement péché contre leur propre conscience » (J. Stott6), c’est pourquoi ils mourront dans leurs péchés (Jn 8.24), ayant refusé ce qui aurait pu leur en procurer le pardon.

 

Le péché qui mène à la mort est « un péché sur le chemin de la mort, car il est commis sur le chemin vers un état où l’idée de repentance n’entrera plus dans la tête » (0. Barclay). Ce texte est un avertissement réel contre un danger réel, un danger toujours présent aussi longtemps qu’un cœur mauvais et incrédule peut se détourner du Dieu vivant (Hb 3.12)

 

Jean n’interdit pas de prier pour ceux qui ont commis ce péché : seulement, il ne le demande pas. Mais pouvons-nous savoir si quelqu’un a commis ce péché-là ? Même dans notre Eglise, évangélique, quelqu’un peut n’est qu’un « chrétien de nom », quelqu’un qui n’a jamais accepté la grâce de Christ, le sang de Christ qui purifie de toute péché (1 Jn 1.7) ? Dieu seul sonde les coeurs. Dans le doute, nous pouvons toujours prier pour quelqu’un qui semble s’être volontairement détourné de la foi : l’offre de Dieu est encore valable tant qu’on peut encore dire « aujourd’hui » (Hb 3.13). Toute désobéissance à la Loi est un péché, certes, mais tous les péchés ne mènent pas à la mort (1 Jn 5.17), Dieu sait ce qui est dans le cœur du frère ou de la sœur et, s’il n’a pas commis le péché qui mène à la mort, Dieu fui donnera la vie, la vie qui triomphe de la mort.

 

A. K.


NOTES

 

1.   Neun und neunzig Widerspriiche und dunkte Seiten in der Bibel (Berlin Evangelische Verlagsanstalt, 1953), p. 53.

 

2.  F.F. Bruce, Hard Sayings of Jesus, p. 91-92.

 

3.  F.F. Bruce, The Epistle to the Hebrews (London Marshall, Morgan & Scott 1974), p. 118s.

 

4.  F.F. Bruce, The Epistle to the Hebrews (London Marshall, Morgan & Scott 1974), p. 118s.

 

5.  La marche dans l’obéissance et dans l’amour (Vevey : Ed. Groupes missionnaires, 1961), p. 251.

 

6.  Epistles of John (London Tyndale Press 1969), p. 189.