Daniel, homme politique ?

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par Alain KITT

 

L’Homo politicus, tel que nous le connaissons dans les pays démocratiques du 20e siècle, est une espèce plutôt rare dans les pages de la Bible. La démocratie n’y est pas connue : celle d’Athènes, née au 5e siècle av. J.-C., était bien limitée ; seule une minorité de la population avait le droit de voter. Dans l’empire romain de l’époque du N.T., la voix du peuple ne comptait pas beaucoup, encore moins dans les provinces occupées telles que la Judée.

 

 Les régimes politiques que nous rencontrons au fil des récits bibliques étaient tous d’un type que nous appellerions « totalitaire ». On était roi, soit de façon héréditaire (p. ex. la dynastie des rois de Juda), soit par l’intrigue et la force des armes, comme c’était souvent le cas dans le royaume d’Israël après le schisme. Le pouvoir et l’influence dans le royaume dépendaient du bon vouloir du souverain, et celui-là ne les confiait pas toujours aux plus capables, loin s’en faut ! Même si on possédait les qualités nécessaires, il fallait encore que ces qualités soient portées à la connaissance du souverain et que celui-ci veuille bien s’en servir pour le bien de son royaume.

 

 

La Bible parle malgré tout de quelques hommes et femmes qui ont pu accéder à des positions élevées où ils ont exercé une influence bienfaisante et parfois modifié le cours de l’histoire pour la gloire de Dieu. Parmi ces personnages figurent Joseph, Néhémie, Esther, Mardochée, Daniel, qui ont tous vécu à l’étranger, sous des régimes qui n’étaient pas du tout soumis à l’autorité de la parole de Dieu comme devaient l’être les royaumes d’Israël et de Juda. Réfléchissons brièvement à ce que fut la carrière de Daniel telle que nous la décrit le livre du même nom.

 

La longévité de sa carrière politique est étonnante : déporté de Juda en 606 av. J.-C. et promu rapidement à un poste de responsabilité par le roi Neboukadnetsar (Dan 2.1), Daniel exerce encore d’importantes fonctions publiques près de 70 ans plus tard, après l’accession au trône du roi Darius en 539. Daniel a donc servi l’Etat sous trois régimes successifs (ceux de Neboukadnetsar, de Nabonide et de son régent Belchatsar, et finalement de Darius).

C’est d’autant plus surprenant quand on se rappelle que les changements de régime s’accompagnaient souvent de règlements de comptes où le nouveau pouvoir s’efforçait de supprimer tout ce qui pouvait rester de l’ancien, surtout lorsqu’il y avait eu une confrontation armée comme ce fut le cas pour Darius. Quelles étaient les qualités de Daniel qui lui ont permis de servir si utilement et pendant si longtemps ?

 

 

1. Sa fidélité à Dieu

 

Deux fois au chapitre 6, Darius rend ce témoignage à Daniel : tu sers avec persévérance ton Dieu (v. 17 et 21). La réputation de Daniel est clairement établie dès le premier chapitre du livre : avant d’être serviteur de l’Etat, il est serviteur de Dieu. Il a pris la ferme résolution de servir Dieu là où il est placé, que les circonstances soient favorables ou non, même au sein de la cour de rois païens. Ses adversaires (ch. 6) savent d’ailleurs que là réside leur seul espoir de pouvoir l’accuser : sa loyauté au Seigneur passe avant sa loyauté à l’Etat. Rien ne l’empêchera de prier son Dieu, pas même un décret royal, injuste, promulgué à la hâte sous la pression de quelques conseillers flatteurs, et dans lequel le roi dépasse ce qu’un souverain terrestre peut exiger de ses sujets. Dans d’autres cas, la fidélité à Dieu vaut à ses serviteurs d’être écartés de toute sphère d’influence dans la vie publique. Soumis d’abord à son Dieu souverain, Daniel est resté fidèle, mais en même temps il a gardé la confiance de ses supérieurs.

 

 

2. Son indépendance envers le pouvoir

 

Dès le début de sa carrière, Daniel a poliment mais clairement annoncé la couleur : il ne veut pas se souiller en mangeant et en buvant ce qui vient de la table du roi (1.8). Est-ce qu’il craint de se compromettre avec les idoles en consommant de la viande qui leur a peut-être été préalablement consacrée ? ou est-ce qu’il veut tout simplement éviter d’être redevable au roi Neboukadnetsar, dont il connaît la cruauté et l’exercice arbitraire de l’autorité ? Toujours est-il que Daniel se démarque du pouvoir, tout en restant un fidèle serviteur de l’Etat dans les limites que lui impose sa conscience.

 

Et plus tard, lors des crises que connaîtront Neboukadnetsar et Belchatsar, il semble que Daniel soit considéré différemment des autres sages du royaume (voir 4.5 et 5.8-11). Il n’a apparemment fait partie d’aucun des clans du pouvoir, et cette indépendance compte certainement en sa faveur lors des changements de régime. Cela ne nous rappelle-t-il pas qu’aucun parti politique, qu’il soit de gauche ou de droite ou du centre, ne mérite notre approbation sans réserve ? Tous sont faillibles et nous devons rester lucides quant à leurs programmes.

 

 

3. Son souci de vérité

 

Dans un monde où l’on use souvent de flatteries mensongères et de demi-vérités, où certains sont prêts à tout faire pour avancer aux dépens des autres, Daniel, lui, reste véridique. En tant que serviteur de Dieu, son avancement personnel n’est pas prioritaire, ni même sa survie physique. Devant Neboukadnetsar (4.24) et devant Belchatsar (5.22-23), deux despotes qui avaient pouvoir de vie et de mort sur lui, il dit la vérité, que celle-ci leur plaise ou non. Il le fait sans manquer de respect envers ces hommes, mais il est clair que sa loyauté envers le Seigneur l’empêche de mentir ou de déguiser la vérité.

 

 

4. Son souci de justice

 

Dans sa propre vie il s’efforce de suivre la justice de Dieu, refusant les compromis qui pourraient lui rendre la vie plus facile. Dans la mesure de ses possibilités, il cherche aussi à obtenir la justice pour les autres. Il encourage Neboukadnetsar dans ce sens (4.24), reflétant ainsi le souci de Dieu pour les pauvres, souci inscrit dans la loi de Moïse (voir p. ex. Deut 10.17-18). C’est ainsi que se sont comportés les meilleurs des rois de Juda, qui, au lieu de profiter de leur pouvoir pour s’enrichir personnellement, l’ont utilisé pour le bien de tout le peuple. Les reproches adressés par le prophète Jérémie au roi Yehoyaqim à cet égard sont très instructifs : au contraire de Yehoyaqim dont le premier souci était son bien-être personnel, son père Josias s’occupait sincèrement des malheureux, et de la sorte tout allait bien pour lui (Jér 22.13-19).

 

 

5. Son attitude consciencieuse

 

Daniel n’est pas seulement un fidèle serviteur de Dieu, il est aussi très compétent et efficace dans son travail professionnel. Il est promu à cause de ses capacités, qui viennent de Dieu, et parce qu’il se montre digne de confiance. Au ch. 6, les chefs et les satrapes, jaloux de son succès et voulant empêcher qu’il soit nommé au-dessus d’eux, cherchent des motifs pour l’accuser ; ils n’en trouvent aucun. Nous lisons ce témoignage éclatant concernant la qualité de son travail au service de l’Etat : il n’a commis ni négligence, ni erreur (6.5).

 

 

Conclusion

 

On ne peut pas chiffrer l’influence d’un homme comme Daniel. Par la foi, il a exercé la justice et fermé la gueule des lions (Héb 11.33). Par sa vie et par son témoignage, dans un contexte humain très défavorable, il a fait réfléchir sérieusement Neboukadnetsar et Darius, amenant chacun de ces deux grands rois à confesser la grandeur et la puissance de son Dieu. C’est à cause du témoignage de Daniel que Darius, roi païen, a composé le poème magnifique que le prophète nous rapporte dans son livre (Dan 6.27-28), poème qui inspire des chants encore de nos jours !

 

Que ces réflexions nous encouragent aussi à prier pour nos responsables politiques, et plus spécialement pour les croyants qui, exerçant d’importantes responsabilités dans le service de l’Etat, ont la possibilité d’apporter là aussi un témoignage chrétien.

 

A.K.