Honore ton père et ta mère

 rouleau

 

par François-Jean MARTIN

 

 

Honore ton père et ta mère, ainsi que te l’a ordonné le Seigneur ton Dieu, afin que tes jours soient prolongés et afin que tu sois heureux, sur le sol que le Seigneur ton Dieu te donne. (Deut 5.1)


Le décalogue, après avoir dit les commandements concernant Dieu, place ceux qui concernent la famille avant ceux relatifs à l’individu. Le commandement concernant la famille est le premier devoir de l’homme envers l’homme. La cellule familiale est le fondement de l’ordre social et de la paix.


Honorer

 

Un verbe que nous ne savons plus définir. Nous avons tendance à lire ou comprendre « Obéis ! Adore ! Révère ! Crains ! ». Les religions païennes de l’époque de Moïse réclamaient pour les anciens, les vieux, une obéissance inconditionnelle et une crainte religieuse. Vivants ou morts, on les situait dans une sphère spirituelle d’où les jeunes étaient exclus.

 

Il en était tout autrement en Israël. Le verbe hébreu signifiait à l’origine « être lourd, donner du poids ». Cela revenait donc à dire « Donne du poids aux recommandations de ton père et de ta mère et de tous ceux qui t’ont précédé ! Fais les peser dans la balance ».

 

Ce n’était pas simplement leur « rendre les honneurs » comme devant une bannière. Ni dire : « Les parents, ou ‘mes vieux’, ont bien parlé », et n’en pas tenir compte. Il s’agissait de « donner du poids » à ce qu’ils avaient fait et à ce qu’ils avaient dit, de donner une certaine gravité à leurs paroles, à leurs oeuvres, de reconnaître l’importance de leur expérience et de toute l’histoire qu’ils avaient construite.

 

Il est intéressant de noter que Lévitique 19.3 inverse les termes : Chacun respectera sa mère et son père (la mère vient d’abord !). Il n’y avait pas prééminence de l’un sur l’autre dans l’honneur qui était dû aux parents.

 

 

Les parents, modèles et racines

 

(Romains 12.3-6a, 9-10).

 

Les rapports parents-enfants ne sont pas toujours aisés même quand les familles sont dites « équilibrées » ou « sans gros problèmes ». Un enfant s’aperçoit que les parents qu’il admire ne sont pas ceux qu’il croyait. Il doit alors apprendre à les aimer comme ils sont, avec leurs défauts et leurs qualités.

 

Les parents ont un rôle important. Mais qu’ils ne cherchent pas à passer pour des supermen, ils sont de chair et d’os. Pourtant, éducateurs, ils doivent être des modèles, des points de référence, non des dominateurs, simplement des « modèles » dignes d’être honorés plus tard.

 

Et l’enfant, acceptant ses parents tels qu’ils sont, construit sa propre identité, se trouve lui-même. L’identité d’un enfant ne lui est pas enlevée par les siens, par sa famille, au contraire ; ses bases, sa force, ses racines en proviennent. Assis sur des fondations solides, sa plante, son tronc, ses branches peuvent s’élancer sans problèmes vers de nouveaux horizons. Cet héritage-là est sa force.

 

Il y a quelque chose qu’on lit bien peu souvent dans sa lecture biblique : ce sont les généalogies. Elles portent pourtant l’histoire des descendants, elles sont leur histoire. Un oriental ne les sauterait jamais. Pour lui, ce serait se priver de son identité, de sa fierté. Il y voit la justification de sa vie, de ses droits. Tant de peuples déracinés cherchent leur identité à travers leurs racines, leurs ancêtres. Notre société occidentale a tendance à s’en débarrasser. Nous n’avons pas à céder à cette mode-là.

 

 

Comment faire aujourd’hui ?

 

Il reste un point délicat, mais qu’il n’est pas possible d’esquiver : c’est la façon dont notre civilisation, nos conditions de vie, d’habitat, de travail, ont brisé la famille traditionnelle. Les grands-parents, les parents, sont relégués dans des « pré-cimetières » où toutes les nécessités matérielles leur sont assurées, sauf le fait de donner du poids à leur vie, à leurs paroles, à leur expérience.

 

Le problème n’est pas de les confier ou non à une maison de retraite. Cela peut être une bonne solution, la moins mauvaise, parfois la seule possible. Toute la question est dans la façon de concevoir cette séparation, cette délégation de prise en charge. Une fois là, ont-ils encore effectivement «du poids» dans nos vies ou pas ? Est-on attentif à cet « honneur » qui leur est dû ?

 

Les honorer c’est leur prouver qu’ils ont un rôle important encore, que dans ce monde vertigineux qui se construit, ils ont leur place, leur mot à dire, leur pierre à apporter.

 

 

Quelle famille ?

 

La notion de famille, dans le peuple juif à l’époque du commandement de Moïse, était plus large que l’actuelle. La famille se composait de ceux qu’unissaient à la fois la communauté de sang et la communauté d’habitation. La famille était une maison ; fonder une famille se disait construire une maison (Néh 7.4). A la famille appartenaient plusieurs générations, mais également les serviteurs, les résidents étrangers, les apatrides, les veuves et les orphelins. Elle pouvait aussi désigner la parenté au sens large et même le clan. Ses membres avaient des intérêts et des devoirs communs et étaient conscients des liens qui les unissaient.

 

Aujourd’hui, la situation a évolué. L’habitat diffère, les transformations sociales ont réduit la famille aux parents et à leurs enfants. Les crises économiques, l’aggravation du chômage obligent souvent les enfants à chercher du travail dans d’autres villes.

 

Cet isolement des membres de la famille crée un besoin de sécurisation. On cherche une compensation à la chaleur et au capital de confiance qu’offrait la famille au sens plus large. Ces contraintes sont souvent imposées et il faut s’y plier. L’Etat m’avait donné un poste à Marlenheim, à 1100 km de notre cellule familiale. Comment réussir alors à garder des liens familiaux étroits ? Il s’agit peut être de mentalités à revoir, d’une nouvelle façon de concevoir les relations familiales. 1000 km ne devraient pas empêcher de donner du poids aux paroles des parents, à leurs actes, à leur vie.

 

 

L’Eglise est aussi une famille

 

repasII en est de même par rapport à l’Eglise ; est-elle une famille unie, luttant ensemble, se développant, s’agrandissant harmonieusement, les générations s’appuyant les unes sur les autres ?

 

L’Israélite considérait son peuple comme sa famille ; nous de même, vivons dans un peuple-famille, l’Eglise (Eph 2.19). Nous avons aussi des parents spirituels dans l’Eglise, des anciens, des diacres. Il nous est également demandé de respecter et d’honorer ces anciens, c’est-à-dire de leur reconnaître leur place et d’accorder du poids à ce qu’ils disent et font. Et non seulement ceux à qui un rôle est dévolu, mais les personnes âgées, les veuves, ceux qui ne prennent plus la parole, et qui pourtant auraient tant à partager si on prenait le temps de les entendre.

 

Les parallélismes sont nombreux entre ce qui est demandé dans la famille et dans l’Eglise. On y trouve de nombreuses similitudes. Là encore surgissent des conflits de générations, un rejet, l’indifférence, du mépris parfois. L’Ecclésiaste dit que chaque génération se croit être la première, mais imite la précédente sans le savoir. Toute Eglise locale a une histoire, un héritage, elle s’intègre dans toute une lignée d’Eglises qui l’ont précédée. Oserions-nous ignorer vingt siècles d’Eglises, leur fidélité, leurs expériences, leur enseignement ?

 

Il faut plaider pour des générations réunies, pour des activités communes, pour des camps communautaires, pour des cultes avec les enfants, tels que les conçoit la Parole. Pourquoi chaque génération penserait-elle qu’avant elle il n’y a eu que du vent ? Le passé, la tradition, la mémoire ne sont pas qu’une poignée de poussière.

 

On ne peut vivre les uns sans les autres.

 

 

Chacun a son rôle

 

II ne s’agit pas d’avoir des jeunes vieux ou des vieux qui se croient jeunes, mais des gens qui, surmontant le conflit, s’acceptent eux-mêmes à leur stade et ont de la considération pour les autres.

 

N’obligeons pas les jeunes à perdre leurs cheveux ou à se les rendre blancs, et les vieux à teindre les leurs. Le commandement biblique permet aux jeunes d’être eux-mêmes tout en s’enrichissant de la valeur de la tradition et du passé, mais sans pour autant en devenir esclaves.

 

Encore une fois, il n’est pas dit « sois soumis et tais-toi », mais accorde de l’importance à ce qui t’est dit. Les parents ou les anciens de l’Eglise ne sont pas obligatoirement rétrogrades, les professeurs des imbéciles, ni ceux qui rédigent et appliquent les lois des empoisonneurs publics.

 

Les parents ne sont pas obligatoirement des vieux uniquement préoccupés de sauvegarder le dépôt, le regard tourné vers un bon vieux temps appartenant à un monde dépassé et bloquant tout avenir.

 

 

Le Père

 

II reste encore un Père à honorer, notre Père Céleste, bien que le 3ème commandement ne le concerne pas directement : la meilleure façon de l’honorer, n’est-ce pas de mettre en pratique dans nos vies ses commandements, prouvant ainsi que nous donnons du poids à ses paroles et que nous Le croyons ? Accepter Dieu n’est pas facile, nous voulons le modeler à notre image, lui faire dire et faire ce que nous voudrions, le mettre dans notre poche. L’honorer, n’est-ce pas aussi respecter ce 3ème commandement : honorer nos parents terrestres ?

 

Peut-on prétendre aimer un Père Céleste que l’on ne voit pas, si l’on ne sait pas aimer celui qu’on voit (cf. Jean 8.19) ?

 

F-.J.M