Un chrétien peut-il se faire incinérer1 ?

 maison funeraire

par Marc REY

 

 

Aujourd’hui en France, 75 villes sont pourvues d’un crématorium et offrent aux défunts que nous sommes tous en puissance la possibilité de se faire incinérer.

 

Dans les grandes villes se pose de façon cruciale le problème de place pour l’inhumation des morts. A Marseille par exemple, on en est venu à construire un cimetière vertical, « le mur de la mort », où les cercueils sont disposés dans des tiroirs en béton. A Rome, les cercueils attendent par centaines qu’une place se libère.

 

Nos municipalités sont confrontées à un véritable problème de saturation des cimetières. Avec 550.000 décès par an, la crémation apparaît comme une solution adéquate puisque le volume nécessaire à un seul cercueil suffit à loger 50 urnes funéraires.

 

 

Dans les pays nordiques, de culture protestante, la proportion des crématistes avoisine les 70% (à Stockholm, elle est de 94%), tandis qu’en France, elle était de 12% en 1994 et tend à augmenter. Les chrétiens s’interrogent donc sur cette pratique longtemps réservée aux religions orientales et aux adeptes de philosophies athées.

 

 

REPERES HISTORIQUES

 

La crémation est autorisée en France depuis 1886. L’Eglise Catholique s’y est fortement opposée jusqu’à une époque récente. Elle l’admit en 1963, à la condition qu’elle ne revête pas le caractère d’un rejet de la foi en la résurrection des corps2.

 

A Rome, jusqu’au troisième siècle de notre ère, les empereurs se faisaient incinérer. Seuls les esclaves et les pauvres n’avaient pas le droit au bûcher, sauf en cas d’épidémie.

 

Les chrétiens de l’Empire romain préféraient l’inhumation. Non en raison d’une prescription religieuse, ils suivaient simplement l’exemple du peuple juif et de leur Seigneur Jésus-Christ.

 

Au neuvième siècle, Charlemagne condamna la pratique de l’incinération dans l’article 7 de son premier capitulaire saxon : « Si quelqu’un fait consumer par les flammes, selon le rite des païens, le corps d’un homme défunt et qu’il en réduise les os en cendres, qu’il soit puni de mort3 ».

 

On n’hésitait pas cependant à brûler vifs les « sorcières » et les « hérétiques ». Jean Huss est monté sur le bûcher à Constance en 1415 et William Tyndale à Vilvoorde en 1536.

 

Le symbole de la tombe – poussière qui retourne à la terre – ne semblait cependant pas s’appliquer aux princes de l’Eglise ou de la société, qui étaient embaumés et placés dans les cryptes ou sous les dalles des églises.

 

Au cours de l’histoire de l’humanité, deux types de rites se distinguent : ceux de la conservation du corps et ceux de sa disparition. Aux deux extrêmes, on trouve la momification dans laquelle l’art égyptien excellait, et la crémation pratiquée encore aujourd’hui à 99% dans les pays asiatiques comme le Japon. En Iran, jusqu’au XVIIe siècle, le corps des morts était déposé dans les « tours du silence » où les vautours les transformaient rapidement en squelettes.

 

 

REPERES BIBLIQUES

 

commentaire BibleLes juifs avaient un profond respect de la mort. Créé à l’image de Dieu, le corps ne devait pas être laissé sans sépulture. Il n’y avait pas pire malédiction qu’un cadavre abandonné et livré aux bêtes sauvages. Ce fut le cas de l’odieuse Jézabel dont le cadavre fut mangé par les chiens (1 R 21.22).

 

Pratiques

 

Depuis les pleureuses qui accompagnaient le cortège funèbre jusqu’au parfum de grand prix réservé pour la sépulture, les détails ne manquent pas sur les rites funéraires des Israélites. La Bible nous livre aussi des renseignements sur la façon dont le mort était inhumé. Enroulé d’un linceul, il reposait dans un caveau taillé dans la pierre comme pour Jésus, ou tout simplement dans une tombe comme pour Elisée.

 

Contrairement aux Romains, les Israélites ne brûlaient pas leurs morts. Quelques exceptions cependant confirment cette règle. Les habitants de Yabéch enlevèrent les cadavres du roi Saül et de ses fils de la muraille de Beth-Chân où ils étaient exposés et les brûlèrent, sans doute pour empêcher les Philistins de les profaner.

 

Ceux qui se rendaient coupables d’infamie devaient être livrés aux flammes. L’incinération prend alors valeur de châtiment (Gn 38.24 ; Lv 20.14 ; Jos 7.15).

 

Peut-on cependant dire, comme l’affirment certains, que l’incinération est une abomination devant Dieu ?

 

Les anticrématistes évoquent souvent le cas de Moab qui est jugé par Dieu « parce qu’il a brûlé, calciné les os du roi d’Edom » (Am 2.1). Mais on peut comprendre ce texte en soulignant que le crime que fustige le prophète n’est pas tant d’avoir brûlé les os d’Edom que d’en avoir fait de la chaux, et d’avoir ainsi assouvi sa vengeance au-delà de la mort comme s’il continuait à s’acharner sur son cadavre4. C’est la profanation que Dieu condamne ici, plutôt que l’incinération en tant que telle.

 

Dans un document sur les enterrements évangéliques, la Fédération Evangélique de France écrit que « le sujet de l’incinération n’est pas abordé dans la Bible » et que « le fait même d’incinérer ne semble pas être regardé comme répréhensible en soi »5.

 

Si l’inhumation s’est imposée sous l’influence juive et chrétienne au cours de l’histoire de l’Eglise, on ne peut pas dire qu’elle soit la seule pratique respectant l’autorité de l’Ecriture. « Retourner à la poussière » est tout aussi vrai de la crémation que de l’inhumation. Seul le mode et le temps nécessaire pour y parvenir diffèrent !

 

Résurrection

 

La puissance de Dieu pour la résurrection des corps n’a pas besoin de support corporel pour transformer le corps animal en corps spirituel (1 Co 15.44). C’est se méprendre sur la résurrection que d’argumenter qu’il suffit qu’« un noyau nucléaire de la cellule existe pour que Dieu puisse recréer un corps nouveau, ayant la même identité qu’auparavant »6. Une telle position revient à confondre le matériel et le spirituel ! La chair et le sang (même réduit à l’état de germe protoplasmique) ne peuvent hériter le Royaume de Dieu, et la corruption n’hérite pas l’incorruptibilité (1 Co 15.50). La résurrection ne dépend pas d’une partie, même infime, de la réalité corporelle.

 

Paul écrit : « Nous savons en effet que si notre demeure terrestre, qui n’est qu’une tente, est détruite, nous avons dans les cieux un édifice qui est l’ouvrage de Dieu, une demeure éternelle qui n’a pas été faite par la main des hommes » (2 Co 5.1). Paul parle bien de destruction, en rapport avec le corps des croyants. « Vouloir donc préserver une certaine continuité, d’ailleurs fantasmatique, entre notre défroque défunte et notre vie à venir selon la foi en la puissance universelle de la résurrection de Jésus-Christ pour nous tous, serait un reste de superstition païenne », écrit le professeur André Dumas7.

 

Le corps est, pour l’être vivant, le moyen du contact avec le monde. La mort est rupture, dissociation tragique de ce lien. Lorsque la vie s’éteint dans le corps, et que « le souffle de vie remonte à Dieu, qui l’a donné » (Ec 12.7), le corps n’exprime plus la personne. Pour ceux qui restent, la dépouille évoque, certes, la mémoire de la présence au monde du défunt, mais elle traduit également la douloureuse rupture : ni la vie, ni la personne ne s’y expriment plus désormais.

 

N’étant plus « animé », le corps connaîtra la corruption, puis la destruction. La vie et l’identité personnelle subsistent, dans une nouvelle sphère d’existence, mais elles dépendent de l’action de Dieu, qui les porte par son pouvoir de soutenir toute chose. Que le corps aille plus ou moins rapidement vers la destruction peut avoir une incidence émotive et psychologique sur ceux qui restent, mais n’a aucune incidence sur la résurrection, que Dieu opérera pour tous les corps, quelle qu’ait été la manière dont ils auront subi la destruction.

 

Motivations

 

Pourquoi donc les Israélites privilégiaient-ils l’ensevelissement au détriment de l’incinération ?

Sans doute voulaient-ils marquer leur différence avec les cultures païennes avoisinantes. Les éléments comme le feu, l’eau ne devaient pas être hissés au rang de la divinité. Ils mettaient leur confiance dans le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob qui, comme le rappelle Jésus, est le Dieu des vivants et non des morts, car pour lui, tous sont vivants (Luc 20.38).

 

D’autre part, ils étaient très attachés à la terre que Dieu avait donnée à leur pères à tel point que Joseph ordonna à ses descendants d’emmener ses os avec eux lorsqu’ils retourneraient en Canaan (Gn 50.24-25).

 

Quant à nous, nous savons que nous n’avons pas de cité permanente ici-bas, mais que notre cité est dans les cieux. Si riche que puisse être la mémoire d’un lieu que nous avons aimé, l’endroit de notre inhumation n’a pas d’incidence sur notre destinée !

 

Pendant longtemps les crématistes se faisaient incinérer pour marquer leur rejet de Dieu et de la doctrine de la résurrection d’entre les morts. Ce n’est pas l’intention des chrétiens qui, par motif économique, par souci d’urbanisation, ou tout simplement par choix personnel, préfèrent la crémation à l’inhumation. Quand on pense également au culte rendu aux morts dans notre pays et à l’argent que les gens engloutissent dans les tombes, certains peuvent légitimement vouloir marquer leur différence.

 

Comme Job, nous pouvons dire : « Quand ma peau aura été détruite, moi-même, en personne, je contemplerai Dieu » (Jb 19.26).

 

Les chrétiens favorables à l’incinération ne craignent pas le jugement final car « il n’y a maintenant aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ ». Ayant mis leur foi en Jésus-Christ, ils sont sauvés quelle que soit la façon dont leur corps est traité après leur mort.

 

« Laisse les morts ensevelir leurs morts, et suis-moi », dit Jésus à l’un de ses disciples (Mt 8.22). Suivre Jésus jusqu’à l’heure de notre mort, le servir sur cette terre jusqu’à notre dernier souffle, voilà ce qui compte aux yeux du Seigneur. La façon dont notre corps est livré à la destruction n’a qu’une importance secondaire. Pouvons-nous paraphraser une parole de Jésus, en disant que se sont les païens qui s’en préoccupent ?

 

Ce qui compte aux yeux de Dieu, c’est ce qu’il reste de notre vie : « Heureux, dès à présent, ceux qui meurent dans le Seigneur, car leurs œuvres les suivent » (Ap 14.13).

 

M.R.


NOTES

 

1. Article tiré du Lien Fraternel avec permission.

 

2. Catéchisme de l’Eglise catholique, art. n° 2301.

 

3. Cf. Denise Paul-Frirz, « La crémation », in Positions Luthériennes.

 

4. Voir la note « 0 » sur Am 2.1 dans la Bible à la Colombe.

 

5. Fédération Evangélique de France, dossier Enterrements Évangéliques (ch.3, p. 15).

 

6. Position d’un certain Dr Schleich, cité en note dans la documentation ci-dessus p.6.

 

7. « Les Eglises Protestantes et la crémation », in Positions Luthériennes.