Temoignage

 

Un Dieu présent dans nos échecs

 

adulte-enfant

 

par Jacqueline RANC1

 

 

 

Tout au long de ma vie chrétienne, Dieu ne m’a pas enlevé les épreuves et les échecs, mais il a permis que je vive avec.

 

Souvent des amis qui traversent un moment difficile me demandent de prier pour eux. Lorsque je leur réponds affirmativement, je ne peux pas m’empêcher de leur dire aussi : « je vais surtout demander à Dieu de vous aider à discerner comment accepter votre situation présente parce que c’est là tout le mystère. »

 

Qu’est-ce que le chrétien demande à Dieu la plupart du temps, quand il y a un obstacle, une épreuve, une maladie ou un échec ? On demande aussitôt à Dieu de résoudre le problème, d’enlever l’obstacle, de guérir immédiatement ! Cela paraît logique.

 

Que nous soyons croyant ou non, la vie sur cette terre est parsemée d’embûches. Cela semble injuste, car il y a ceux qui réussissent et ceux qui ratent.

 

L’homme ne comprend pas toujours ce qui lui arrive. Il se pose des questions, notamment des « pourquoi ? ». Mais il est préférable de dire : « comment ? » – « comment accepter, comment surmonter l’épreuve ? » Dieu ne va peut-être pas nous tirer de là comme ça, d’un coup. Il ne va pas non plus nous expliquer ce qui nous arrive, on le découvrira peut être plus tard. Mais il nous dit : « Je suis là, au milieu de tes échecs et de tes épreuves. »

 

Ce n’est pas seulement quand tout s’est bien passé que l’on doit dire : « Ah ! C’était formidable, Dieu était avec moi ! »

 

L’échec est présent dans nos vies. Je crois qu’il faut l’accepter. Mais la foi est là aussi, et c’est ce qui nous aide à voir l’échec avec un regard différent.

 

Avoir un enfant handicapé, est-ce un échec ?

 

Le jour ou nous avons compris que notre fils Emmanuel n’avait pas été complètement guéri de sa méningite, il m’a fallu admettre la réalité de la situation.

 

Attention ! Ne croyez pas que je sois venue vous dire : « J’ai eu plein de difficultés et j’ai très bien réussi à les surmonter ! » Non, je voudrais partager ce que j’ai compris au travers de ces difficultés et raconter ce que Dieu a fait dans ma vie.

 

Dieu m’a aidée à surmonter les circonstances de la vie de tous les jours qui étaient pour moi différentes de celles des autres mères de famille. Pour ma part, ce que je considère comme une possibilité d’échec, c’est la manière d’aborder ce qui nous arrive : si je me tourmente, si je culpabilise ou si je m’accuse, j’aurai tendance à considérer que c’est un échec personnel. Et pourtant, il faut admettre son incapacité, et c’est le seul moyen de progresser. L’échec m’a été utile dans la mesure où j’ai accepté de faire un pas en avant. Et je ne crois pas que Dieu veuille nous condamner si on se pose des questions.

 

Quand nous nous sommes rendu compte du retard d’Emmanuel, nous avons prié, et chaque fois, après, j’avais la paix, alors même que les progrès d’Emmanuel étaient loin d’être rapides.

 

Je raconte ce que j’ai vécu dans le livre « Je suis la maman d’un enfant handicapé! »2.

 

Vingt-quatre heures après sa naissance, notre enfant fut terrassé par une méningite. Alors que je ne l’avais presque pas eu dans les bras, il fut transporté d’urgence à l’hôpital où il resta 15 jours entre la vie et la mort. C’est à ce moment-là que j’ai compris pourquoi nous lui avions donné ce prénom : Emmanuel, qui signifie « Dieu avec nous ». Dans cette chambre de clinique, Dieu était avec moi, j’avais la paix malgré l’angoisse, malgré la séparation d’avec mon bébé.

 

Emmanuel nous fut rendu à six semaines et nous avons cru qu’il était guéri. Je suis très reconnaissante d’avoir eu une période de quelques mois pendant laquelle je me suis occupée de mon bébé sans me rendre compte qu’il n’était pas comme les autres. Puis les doutes ont commencé, les progrès étaient lents et je le comparais avec les enfants de mes amies.

 

Ce fut alors la période des hauts et des bas, des espoirs déçus et des efforts par moi-même : je voulais trouver une solution humaine à cette situation. Chaque fois que je priais, j’avais la paix, la même paix qu’à la clinique : Emmanuel est bien comme ça, Dieu le bénit et cela suffit. Pourtant cela paraît un peu simpliste et de ce fait j’oubliais vite cette certitude pour retomber dans mes questions.

 

D’un autre côté cet enfant, malgré son retard, était un rayon de soleil qui chantait et riait toute la journée. Progressivement je m’habituais à l’accepter comme il est.

 

Mais la vie n’était pas facile : Emmanuel était très vif et il s’agitait beaucoup, faisant toujours le même geste en se tapant la tête. Il criait fort dans la rue ou dans les magasins et je me faisais remarquer. À trois ans, il ne marchait pas, il fallait le tenir et mon dos me faisait mal. L’oculiste ne nous donnait pas grand espoir quant à sa vue.

 

Un jour dans une salle d’attente je tombais sur un article intitulé : « L’idiot du village est mort ». En résumé, la conclusion était la suivante : les gens qui connaissaient ce « retardé » pensaient que sa mort était une délivrance, mais sa proche famille qui l’aimait comme il était, le pleurait car leur rayon de soleil leur avait été enlevé.

 

Je crois que depuis ce jour je n’ai plus désiré qu’Emmanuel soit autrement. J’ai carrément arrêté de le comparer aux autres. J’ai compris que s’il n’était pas dans la norme humaine, il était comme Dieu avait permis qu’il soit. Notre échelle des valeurs n’est certainement pas la même que celle de Dieu. Sur cette terre tout doit être performant, depuis le berceau jusqu’aux hautes études, mais pour Emmanuel il en va différemment : il est lui, il est « Dieu avec nous ».

 

Pour moi, un enfant handicapé n’est pas un échec. La manière de l’accepter aurait pu en être un. Ma vie aurait pu être empoisonnée par l’amertume si je n’avais pas compris une chose essentielle dans la foi chrétienne, à savoir qu’aux yeux de Dieu, les valeurs sont à l’inverse de celles de notre monde. Conséquence pratique : finie cette recherche de la gloire, cette quête de l’absolu, ce désir de grimper toujours plus haut et cette déprime devant les échecs. Non ! l’important pour Dieu c’est tout autre chose. Grand ou petit, handicapé ou bien portant, conforme au moule ou marginal, semblable à tous les autres ou différent, peu importe ! Dieu nous aime, et il est avec nous dans nos épreuves.

 

Cette terre de labeur, de tristesse et d’espoir prendra fin un jour et l’Éternité dans la présence de Dieu nous attend. Nous connaîtrons alors un monde où il n’y aura plus ni pleurs ni souffrances. Les handicapés seront des êtres à part entière. Comme disait le Général de Gaulle à l’adresse de sa femme le jour du service funèbre de leur fille Anne, qui était handicapée : « Venez. Maintenant, elle est comme les autres ».

 

Je constate que dans ma vie, Dieu n’a pas enlevé les épreuves. Les circonstances… il faut faire avec. Le week-end, quand Emmanuel est là, on peut difficilement sortir. Je dois l’habiller, le laver, l’accompagner. Cependant, il nous apporte beaucoup, il est attachant, très gai, et comme il aime beaucoup la musique, nous avons du plaisir à en faire pour lui.

 

Mais je dois encore aborder un autre sujet d’échec qui est en rapport avec la surdité de mon mari. Quand Paul a subitement perdu l’ouïe en septembre 1986, j’ai été terriblement affectée. Depuis lors, notre façon de vivre a été perturbée. Avant, je menais une vie relativement calme, mais depuis que Paul a perdu l’ouïe, ma disponibilité a dû être accrue, principalement parce que tout passe par le téléphone. Du fait que Paul n’est plus en mesure de téléphoner, je suis devenue son oreille ! Au début, je n’étais pas capable de faire face à toutes les situations, mais avec le temps je progresse ! Je constate de temps à autre que mon tempérament reprend le dessus, que mon égoïsme remonte à la surface ; je commence à me révolter et rien ne va plus. Dans ce cas précis, c’est un échec.

 

Je crois que ce qui compte c’est de plaire à Dieu, et de s’accepter tel qu’on est ; c’est aussi lui faire confiance car Christ est là.

 

Si on veut vivre en chrétien, l’échec ou la réussite deviennent secondaires par rapport à nous. Ce qui compte en premier, c’est que Dieu soit glorifié par notre attitude de tous les jours.

 

Être enfant de Dieu, c’est vivre pour Christ, et c’est là une réalité bien plus importante que d’analyser ses échecs ou de se lamenter.

 

Le but de notre vie, c’est de rechercher la présence de Dieu. Or par les épreuves et les échecs, Dieu se révèle à nous.

 

J.R.


 

NOTES

 

 

1. Tiré du dernier Dossier de Semailles et Moissons (n°5/1995). Voir recension ci-dessous page 24. SERVIR est reconnaissant d’avoir été autorisé à reproduire ce témoignage.

 

2. Je suis la maman d’un enfant handicapé, Jacqueline Ranc, Éd. Contrastes, C.P. 84, CH-1806 Saint-Légier, 1986.