Un appel pour partir, un appel pour rester

 decision

 

par Dany GOUNON

 

 

 

 

« Rien ne me préparait à devenir missionnaire … »


C’est par ces mots, qu’il y a quelques années, je débutais le récit de mon départ au Tchad.


Existerait-il une filière obligée pour « partir » au service de Dieu ? A l’évidence, non ! Apparemment rien, dans ma vie, mon entourage, l’Eglise que nous fréquentions, ne paraissait m’y conduire, et ce fut par une conversation, entendue fortuitement – fortuitement ! – que le plan de Dieu pour ma vie s’est dessiné. Il en fut autrement pour ma collègue Christiane Bouttet de Roanne qui partit en même temps que moi : dans une assemblée bien engagée, visitée régulièrement par des missionnaires, la conviction que c’était là son chemin grandit peu à peu en elle, sans qu’elle puisse en préciser le moment exact. L’itinéraire de chacun est différent.

 

 

Dieu parle

 

Une chose est sûre. La Bible le dit. Dieu parle et c’est lui qui envoie. Par exemple : Gn 12.1 ; Jr 17.19-20 ; Jn 17.18… Ce sont aussi les ordres d’un Maître à des disciples et ceci nous rappelle l’exigence d’un Maître : l’obéissance.

 

Jésus, dans Luc 9.57-58, tempère d’ailleurs l’enthousiasme d’un homme venu vers lui et prêt à le suivre n’importe où : il y a un prix à payer ! Celui qui veut le suivre doit « s’asseoir », réfléchir à ce que cela implique et ordonner ses affections : « Qui aime père et mère plus que moi… », en Mt 10.37, rappelle aussi l’indispensable ordre de priorité. Un mot enfin : renoncer. Ce n’est pas, comme dit un poème, « renoncer à telle ou telle chose », objet d’un libre choix, pour trouver dans telle autre un dédommagement, mais se renoncer soi. En Marc 8.34, Jésus dit : « Si quelqu’un veut me suivre, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix… »

 

Mais le Maître ne laisse pas ses disciples démunis. Il promet de marcher lui-même avec eux : « Je suis avec vous tous les jours » et « le Saint-Esprit descendra sur vous » : sa présence et sa puissance.

 

Du côté du Maître tout est donc clair. Il appelle et il équipe. Ses exigences sont précises. Ses promesses le sont aussi.

 

J’avais grandi auprès de parents chrétiens. Ma foi était réelle, mais sans consécration ni zèle véritable. C’est dans cette tiédeur que Dieu, dans sa grâce, a précisé ce qu’il attendait de moi. Mais mon service va longtemps souffrir de ce manque de vie chrétienne authentique. On ne peut en faire l’économie. Elle précède et prépare toute vie de service. Inconséquente, je restais bénéficiaire de sa grande patience. Comme Jacob, dans Genèse 32, je pouvais dire : « Je suis trop petit(e) pour toute la bienveillance et pour toute la fidélité que tu as témoignées à l’égard de (ta servante) ». Je le dis encore aujourd’hui.

 

 

Ecouter… !

 

Le temps d’un appel plus précis, d’une possibilité qui se présente, d’un questionnement intérieur viendra peut-être. Comprendre puis entrer dans la volonté de Dieu est la règle d’or de toute vie de disciple, dans les petites comme dans les grandes décisions, tant est important le feu vert du Maître : « Etre rempli de la connaissance de sa volonté » (Col 1.9).

 

Jamais, si nous sommes sincères et patients, Dieu ne manquera de répondre en son temps, d’une manière ou d’une autre, à nos interrogations. Et nous saurons. La patience est l’école de Dieu, et nos impatiences, effets d’incrédulité. Je me rappelle avoir attendu pendant 9 mois la réponse à ma première lettre de future candidate et 2 ans et demi avant de partir enfin ! C’était sans doute nécessaire.

 

 

Avancer… !

 

Vient aussi le temps d’avancer. Le chrétien n’est pas un dormeur qui attend sans rien faire parce qu’il a prié Dieu. C’est un homme, une femme d’action. Celui qui se voit préciser le chemin à suivre doit avancer, faire des choix, des démarches, prendre des décisions et même des risques. Mais pas tout seul. Toujours relié au Maître. J. Ellul dit que la vraie prière engage une action et qu’elle implique l’engagement.

 

La présence et le conseil d’amis et de responsables chrétiens fait aussi partie de ce temps de prière et d’action.

 

Dans le livre des Actes (ch. 13.1-5) se situe le premier « départ en mission » de Barnabas et Saul. C’est alors qu’ils jeûnaient et priaient que le Saint-Esprit désigne aux responsables d’Antioche ces deux frères. Et ils les laissent partir. « Envoyés par le Saint-Esprit », précise le v.4.

 

Si de telles conditions sont vécues, manquerons-nous d’envoyés conséquents et d’Eglises fidèles à les soutenir ?

 

 

Partir loin… !

 

Tout de même, penseront certains, ceux qui partent « loin » ne sont-ils pas plus méritants, plus « spirituels » ? N’est-ce pas plus difficile et périlleux ?

 

Gardons-nous de généraliser. Les temps héroïques des pionniers sont révolus mais les mythes ont la vie dure ! Aujourd’hui, des voyages rapides et sûrs gomment les distances, l’information traverse les continents. Dans les bagages, l’ordinateur a remplacé la machine à écrire. On se dirige vers une existence qui n’a, la plupart du temps, rien d’extraordinaire. Disons le sans juger : on peut être parti loin et être « planqué », dans une petite vie pépère et confortable, sans grand soucis.

 

Christiane, rentrée au bout de 15 années pour raison de santé, a dit un jour : « Je n’ai jamais eu de vrais problèmes d’argent quand j’étais missionnaire ; j’en ai eu après… » A quelqu’un qui m’interrogeait sur les serpents du Tchad, j’avais dû avouer que m’entendre avec mes collègues, sourire en ouvrant la porte lorsqu’on me dérange en plein repas, c’étaient là mes serpents ! Etre un témoin fidèle de Christ dans le village où l’on habite est sans doute plus difficile que dans la campagne africaine…

 

C’est aussi un privilège de voyager, de connaître un autre pays, de s’enrichir au contact de peuples différents, d’autres façons de faire, de penser, de vivre, sans parler d’expériences et d’amitiés inoubliables… Combien l’ont désiré et ne l’ont pas pu…

 

Le privilège est bien plus grand encore de « partir » au service d’un tel Maître. Jésus parle de ceux qui partent « loin » dans Marc 10.28-30 : ils reçoivent la promesse de recevoir « au centuple, maison, frères, sœurs, mère, père, enfants ou terres… » C’est vrai. Mes « enfants », tel ce jeune homme qui m’écrivit un jour : « Mademoiselle, vous êtes vraiment ma mère », sont bien plus nombreux que ceux que j’aurais pu mettre au monde… sans parler aussi de ceux qui furent pour moi comme des pères, des mères, comme des frères et des sœurs bien-aimés…

 

N’empêche ! Traverser simplement la Manche signifie déjà dépaysement, autre culture, autre langue. Il y aura des climats pénibles, des contraintes particulières, des risques accrus… c’est sûr.

 

La séparation prolongée avec la famille, l’Eglise, les amis, le pays, parfois avec les enfants en études est réelle. C’est peut-être renoncer à un poste sûr, à des avantages financiers ou promotionnels ; faire face, au retour, à des problèmes de réinsertion dans le monde du travail… Encore une fois, il faut « calculer la dépense ».

 

 

Courts séjours… !

 

Autrefois, partir, si la santé ou la situation le permettaient, était pour longtemps, j’allais dit « pour la vie ». La question n’était pas posée. Il était impensable de partir pour un séjour limité, très rare que vos parents viennent vous visiter ou que de jeunes retraités envisagent un départ. Aujourd’hui c’est courant et bon.

 

La possibilité d’effectuer de courts séjours s’est généralisée et surtout les jeunes sont nombreux à partir. Le prix du voyage et un bon sac à dos suffisent pour s’intégrer à des programmes déjà en place, dans la grande diversité des actions de développement, surtout dans les pays du Tiers-Monde. Pourtant, l’engagement dans un travail fait au nom du Christ est un privilège exigeant qui a besoin d’un équipement, tel que le décrit Ephésiens 6.11ss. S’ils aiment le Seigneur, et que leur Eglise l’atteste – ce devrait toujours être le cas – avec de bonnes motivations de départ et une formation adaptée, pour un travail précis, prêts à recevoir autant qu’à donner, alors sûrement Dieu bénira.

 

Nous avons eu une jeune fille pendant 2 ans. Souriante, disponible. Elle s’était bien intégrée parmi les jeunes tchadiennes de son âge, leurs familles et l’Eglise. Avait-elle tout réussi, tout su faire et tout compris ? Que non ! Mais à son départ, un responsable africain a dit : « C’est l’une des meilleures missionnaires que je connaisse… » Pour ce qu’elle avait fait ? Plutôt pour le comment elle l’avait fait !

 

 

Partir longtemps… !

 

Mais alors, qu’en est-il de l’engagement « classique » pour un temps indéterminé ? Quels avantages présente le long terme ?

 

L’engagement de longue durée est certainement un engagement différent. L’Eglise d’accueil elle-même le ressent comme tel, preuve en est la question en général posée : « Est-il (elle) venu(e) pour rester ? ». Engagement qui n’est d’ailleurs pas tellement différent au départ : il n’y a pas de degré dans la consécration. Celle-ci devrait toujours être totale. Engagement pourtant très différent parce que devenu, pour le futur, disponibilité, obéissance, acceptation sans réserve.

 

Rester assez longtemps donne le temps de bien connaître le pays, sa culture, au moins l’une des langues qui y sont parlées. Des liens très forts peuvent être tissés, dans l’Eglise et en dehors d’elle. Des programmes à long terme peuvent être menés à bien, un travail de suite est possible, dans une collaboration d’une autre dimension.

 

Ce service « long » n’est pas sans exigence : l’« ancien » qui a vécu d’autres temps doit bien veiller aujourd’hui à s’adapter aux profonds changements sociaux, culturels, économiques… Apprendre à collaborer au lieu de diriger, à partager et à « échanger » au lieu de « donner », se remettre en question et se renouveler, reconnaître la relève et céder la place, être attentif aux temps de Dieu pour lui-même et pour l’oeuvre. : tout cela exige réalisme et humilité !

 

 

Rester… !

 

Fuir ou rester peut se poser lors de troubles ou de guerre ouverte. C’est souvent une décision difficile à prendre. Chaque situation est différente. Les conditions de chacun varient, qu’elles soient familiales, de responsabilité, de sensibilité… Un cœur paisible n’est pas seulement affaire de foi. Gardons-nous de juger les décisions des autres. En général, personne n’en a voulu à la vie des missionnaires, mais le danger était grand pour les Tchadiens. Ils furent souvent admirables de foi et de courage et vécurent des délivrances exceptionnelles, comme le dit bien le verset 8 du Psaume 34.

 

C’est aussi, en quelque sorte, un temps privilégié. La vie normale s’est arrêtée et laisse beaucoup de place au partage, à la communion fraternelle, au support mutuel, à la lecture et à la prière. On ne sait pas toujours bien les vivre. On oscille entre paralysie et agitation…

 

Justement, se savoir où Dieu nous a voulus est un grand facteur de paix et de stabilité quand la tempête arrive. Esaïe 26.3 l’exprime bien. Aucune situation ne dépasse celui qui nous a guidés jusque-là. C’est lui qui « fait cesser les combats… ». Nous l’avons tellement cru, un jour, lorsque nous l’avons lu (Ps 46.10), que nous n’avons pas annulé un voyage prévu… Et c’était vrai ! Ce jour-là cette parole était pour nous…

 

Cette question : « Partir ou rester ? » s’est posée plusieurs fois pour moi. Et il n’est pas simple d’en décider. Je me souviens qu’une fois, sur le conseil pressant de notre ambassade, je devais traverser le fleuve quelques jours pour être à l’abri. La veille de la date limite, je lis le chapitre 2 de Michée et le verset 10 qui disait : « Debout ! Allez-vous en ! Car ce pays n’est plus un lieu paisible… ».

 

Je continuais à penser qu’il n’y avait pas de danger dans notre quartier, qu’il était utile pour le témoignage que je voulais rendre auprès de mes voisins de ne pas fuir sans raison valable. Et je suis restée. Mais cette nuit-là, j’ai eu une belle peur ! Dieu voulait-il me l’éviter ? A l’aube, une bataille s’engageait à l’autre bout de la ville et quelques heures plus tard, les vainqueurs, sur leurs chars, paradaient sur notre avenue !

 

Je veux témoigner du réconfort que procure la Parole de Dieu. Il faut s’en emparer par la foi. On la lit alors comme la lettre reçue pour la circonstance. On en pèse chaque mot. Lue et relue, à voix haute, pour mieux s’en pénétrer, y adhérer, en vivre. Lue jusqu’à ce que la paix ne soit plus seulement dans les mots mais dans le cœur… Un exercice de foi appliquée. Pour temps de guerre… et de paix !

 

 

Rentrer… !

 

Vient aussi le temps de rentrer. Dans mes premières années en Afrique, l’idée même de rentrer en France m’aurait remplie de désespoir. Je n’avais qu’un désir : rester. C’était bien, mais c’était moi. J’avais encore à apprendre. J’aime toujours autant le Tchad mais différemment, comme ceux qui s’aiment après toute une vie passée ensemble : un amour fait d’acceptation, de patience, de pardon.

 

L’heure de Dieu a sonné, au temps qu’il avait fixé d’avance, dans son infinie sagesse et dans sa bonté. Il m’a encore donné de vivre plus de 2 années avec Maman. J’entrai dans ce temps pressée par la nécessité, presque par force. Il est devenu, petit à petit, si précieux et doux que je suis confondue de tant d’amour de Dieu pour nous. Notre Père celeste ne rend pas tout facile. Mais il fait tout bien. Entrons, paisibles, dans les obéissances qui, c’est bien vrai, se couvriront de bénédictions (Psaume 84).

 

Voilà le Dieu qui est notre Dieu Eternellement et à perpétuité. Il sera notre guide jusqu’à la mort. Psaume 48

 

D.G.


NOTE

 

1. : Christiane Bouttet, infirmière, fut l’inséparable et précieuse collaboratrice de Danielle Gounon pendant 15 années à Moukoulou.