Libre ou prédestiné ?

 Election

 

par Jean-Pierre Bory

 

 

 

Le débat n’est pas nouveau, mais encore d’actualité. Comment comprendre les textes bibliques qui parlent de l’élection ? Comment concevoir la responsabilité de l’homme ? Quelle liberté lui reste-t-il de chercher Dieu, de choisir sa vocation, ou son épouse, si le plan divin pour sa vie est déjà « écrit dans le livre de la vérité » (Dn 10.21 ) ?

 

 

En théologie, dit-on, ce qui est neuf est rarement bon, et ce qui est bon est rarement neuf ; aussi ne prétendons-nous pas révéler ici un scoop théologique qui pourrait clore ce débat vieux comme l’Eglise et réconcilier ceux qui s’opposent sur cette question. Pourtant nous croyons que la Bible n’est ni obscure ni paradoxale en ce qui concerne la liberté de l’homme.

 

 

L’autonomie de la raison

 

En se réclamant d’Aristote, on a proposé une raison autonome. Elle observe et recueille des renseignements, fait des déductions. Ensuite seulement vient la foi qui confirme et démontre les données extérieures à la Bible1.

 

Cette proposition donne une réelle indépendance à l’être humain vis-à-vis de Dieu. L’homme pense, conçoit, conclut, et doit trouver une confirmation de sa propre proposition dans l’Ecriture. Cela suppose que la raison de l’homme est capable de saisir, de façon juste et complète, ce que le Dieu infini est en lui-même et ce qu’il peut créer.

 

Mais c’est oublier que, comme tout ce qui est créé, la raison de l’homme est limitée (comment pourrait-elle comprendre l’infini 2 ?). En outre, la chute a perverti l’esprit et la volonté de l’homme, a détruit son système de valeurs (Rm 1.21b-22, 25), de sorte qu’il ne peut plus comprendre correctement le plan de Dieu ; l’homme réduit le Dieu infini à une image anthropomorphe (v. 23) tout en se croyant sage, alors que ses raisonnements sont sans fondement.

 

A. Probst souligne bien le fait que les philosophes religieux butent sur l’inerrance3 de la révélation biblique, la trinité, l’incarnation du Fils de Dieu, l’expiation substitutive, la justification par la foi seule, etc. L’autonomie de la raison est une illusion, la mort de Jésus-Christ sur la croix le démontre, et toute sagesse humaine face à elle n’est que folie (1 Co 1 et 2).

 

 

La souveraineté de Dieu

 

Elle est par contre largement affirmée dans l’Ecriture :

 

– Dieu est appelé Seigneur : « Notre Dieu est au ciel, il fait tout ce qu’il veut » (Ps 115.3). L’argile qu’il pétrit est docile dans sa main (Rm 9.21 ).

 

– Tous les jours de l’homme sont inscrits dans son livre (Ps 139.16).

 

– Le dessein de Dieu pour notre salut est déterminé dès avant la fondation du monde (Ep 1.4-5).

 

– C’est Dieu qui incline le coeur (= volonté), jusqu’à celui du roi, homme libre entre tous ceux du royaume ! (Pr 21.1).

 

– Et même le péché de l’homme, que Dieu ne veut pas et n’ordonne pas, se produit « selon son dessein arrêté et selon la prescience de Dieu » (Ac 2.23).

 

– C’est Dieu qui fait venir les choses à Christ sur la terre (Jn 6.44, 65).

 

– C’est Dieu qui donne la repentance (Ac 11.18 ; 2 Tm 2.25).

 

– C’est lui qui produit le vouloir et le faire (Phil 2.13).

 

Luc va même jusqu’à écrire que ce n’est pas la foi qui est première dans la conversion de l’homme, mais que ce sont ceux qui sont destinés à la vie éternelle qui trouvent la foi ! (Ac 13.48).


L’Ecriture affirme donc sans réserve la souveraineté de Dieu dans toute chose et en particulier dans la conversion de l’homme, dans sa marche quotidienne, dans ses décisions et ses actions.

 

Et pourtant la Bible affirme aussi que l’homme doit lui-même faire des choix.

 

 

La responsabilité de l’homme

 

La Bible présente l’homme comme un être responsable : c’est sa décision de se repentir ou non qui détermine l’avenir de chaque homme. Autrement dit, son salut dépend de son choix, de sa réponse aux nombreux appels à la repentance que nous rapporte la Bible, tels ceux de Jean-Baptiste par exemple (Mt 3.2), de Pierre (Ac 2.38), de Paul (Ac 17.30), de Jésus lui-même (Lc 13.3), du Saint-Esprit (Hé 3.7-8), etc.

 

Puisque Paul, aussi, exhorte tant de fois ses correspondants à rechercher la sanctification, c’est bien sûr parce qu’ils ont la possibilité de le faire ; l’apôtre les encourage à discerner la volonté de Dieu et à faire les bons choix dans leur vie chrétienne.

 

 

Le dilemme

 

Au XVIIe siècle, les calvinistes et les arminiens4 se disputent et prennent chacun une position diamétralement opposée.

 

– Pour les premiers, puisque Dieu est souverain, rien n’échappe à son pouvoir ; la destinée de l’homme est dans la main de Dieu.

 

– Pour les seconds, l’homme possède le libre-arbitre, c’est-à-dire le libre choix de déterminer son avenir en acceptant ou en refusant l’offre de la grâce de Dieu. Aux yeux des arminiens, c’est ce qui fonde sa responsabilité (mais limite la souveraineté de Dieu).

 

Il est tout à fait stérile de vouloir dresser l’une contre l’autre la souveraineté de Dieu et la liberté de l’homme. La Parole de Dieu affirme que « Dieu est souverain, et la justice de Dieu exige que l’homme soit responsable ». Ces deux vérités sont inconciliables si nous les décrivons dans les limites de nos conceptions humaines, avec la définition que nos philosophes humanistes donnent de la liberté.

 

La souveraineté divine ne se manifeste pas uniquement comme un destin aveugle, comme le « Dieu l’a voulu » du Coran, comme un mécanisme enclenché depuis toujours, que l’on n’explique pas, que l’on ne comprends pas et que l’on subit avec résignation.

 

D’autre part, l’homme n’est pas libre qu’à la condition d’être seul dans l’univers, venu de nulle part, n’existant que par lui-même, ne trouvant qu’en lui-même les sources de ses décisions.

 

 

Fausses pistes

 

On a tenté de tourner le problème de diverses façons :

 

– La prédestination serait fondée sur la prescience de Dieu : Dieu aurait décidé ce qu’il savait devoir se produire : mais alors où serait la souveraineté de Dieu si elle devait dépendre d’événements futurs décidés en dehors de lui-même ?

 

– Une grâce générale de Dieu permettrait à l’homme d’échapper à l’esclavage du péché, et de prendre la décision de croire, rétablissant ainsi exceptionnellement le libre-arbitre de l’homme, sa liberté de choix, mais sans que cela porte atteinte au grand plan éternel de Dieu.

 

– Ou bien encore le plan de Dieu conserverait une certaine élasticité qui lui permettrait de s’accommoder des décisions que pourraient prendre les hommes ; le plan de Dieu ne serait pas défini jusque dans le détail (Gretillat5), Mais ces deux dernières propositions portent atteinte à la souveraineté absolue de Dieu.

 

L’Ecriture a une autre explication : la liberté de l’homme, elle aussi, procède de la volonté créatrice de Dieu. Elle n’a donc pas à être mise en concurrence ou en opposition avec elle.

 

 

La liberté chrétienne selon la Bible

 

Auguste Lecerf disait que nous devons avoir une si haute opinion de la souveraineté de Dieu qu’il nous faut le croire capable de nous faire accomplir librement, ce qu’il a décidé souverainement.

 

En fait, nous n’avons pas à combattre pour affirmer ce qui semble un paradoxe à notre raison humaine ; la liberté face à la destinée, la libre initiative de l’homme face au dessein divin, tracé de toujours.

 

Nous ne devons pas tenter d’affirmer la liberté de décision de l’homme malgré, ou en face, du dessein éternel et souverain de Dieu, mais nous devons la situer à l’intérieur de ce dessein souverain.

 

L’apôtre Paul ne nous dit-il pas ceci dans l’épître aux Philippiens, au chapitre 2 et au verset 13 : « C’est Dieu lui-même qui agit en vous, pour produire à la fois le vouloir et le faire, conformément à son projet plein d’amour » ?

 

La volonté de Dieu n’est pas une nécessité impersonnelle. Notre Dieu, celui de la Bible « est capable, avec un tact infini, de susciter en nous le vouloir et le faire sans léser notre liberté: en nous faisant libres6 ! »

 

 

La responsabilité de l’homme pécheur

 

Le premier homme avait été créé par Dieu à son image, comme un être libre, un vis-à-vis, distinct des animaux ou des végétaux incapables d’aucune initiative. Malheureusement, l’homme a péché, Il est devenu esclave, il est coupable (Rm 3.9), ne sachant plus maintenant comment chercher Dieu ; « il est incapable de comprendre » les choses de l’Esprit de Dieu (1 Co2.14).

 

Pourtant, même là, sa responsabilité reste engagée : « L’âme qui pèche, c’est celle qui mourra » (Ez 18.4). Mais la Bible constate que « pas un ne cherche Dieu » (Rm 3.11), « que l’homme étouffe la vérité par sa malhonnêteté » (1.18): bien que pécheur, l’homme conserve la possibilité de refuser la vérité ou de la reconnaître, la possibilité de s’écarter de Dieu ou de le chercher. (Remarque importante : c’est ce qui non seulement légitime l’évangélisation, mais aussi nous y oblige : nous devons avertir les hommes, les sensibiliser à la nécessité de ce choix avant qu’il ne soit trop tard – Ez 3.18-21; Rm 10.13-14). De son côté, Dieu est toujours prêt à les attirer à lui, selon la promesse de Jésus.

 

Ce statut extraordinaire d’homme responsable reste un mystère ; l’on ne saisit pas le comment de la possibilité de choix dans la dépendance ; mais l’homme est appelé à assumer cette responsabilité, et devra en rendre compte à Dieu.

 

Panneau-questionsDieu accorde véritablement de la valeur au «oui » de l’homme. Et cela fait, par la même occasion, reposer sur lui la responsabilité de ses choix, déjà en tant qu’homme pécheur.

 

De cette responsabilité, découle pour lui la nécessité d’examiner les diverses possibilités qui s’ouvrent devant lui, de les évaluer, de déterminer quelle est la meilleure, c’est-à-dire ce qui va correspondre au plan de Dieu pour lui.

 

Dieu dans sa bonté, a tracé pour l’homme le plan de vie qui lui sera le plus bénéfique. Il est alors du simple bon sens pour l’homme, sinon de son devoir, de faire tous ses efforts pour le découvrir.

 

Si cela est déjà vrai pour l’homme pécheur, à bien plus forte raison le croyant doit-il être attentif à ses choix.

 

 

La liberté du chrétien

 

Créés en Jésus-Christ (Ep 2.10), recréés en quelque sorte après la chute, nous sommes devenus fils, d’esclaves que nous étions. Nous avons donc reçu une liberté nouvelle, celle de fils dans la maison de leur père (Ga 4.5-7 ; 5.1), et celle d’amis (Jn 15.9, 13).

 

Avec le salut, nous recevons la liberté. Cette liberté commence par une communication divine («  Je vous ai appelés amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai appris de mon père » – Jn 15.15). En entrant dans le groupe des amis de Jésus, nous sommes informés de tout ce que nous devons savoir ; c’est ce qui nous permet de faire des choix intelligents. La possibilité de jouir de cette liberté, ou de la laisser de côté, est réelle (Ga 5.1b).

 

Cette liberté est une vraie liberté (Dieu ne crée jamais des ersatz, et ce qu’il fait est parfait, complet) qui inclut donc la possibilité de décider, et d’agir (Ep 2.10).

 

Vouloir opposer une certaine idée de liberté à la souveraineté de Dieu est un débat sans objet. Le Dieu Tout-Puissant nous aime, et désire rendre libres les hommes ; et il le fait pour tous ceux qui acceptent de quitter le statut d’esclaves pour celui de citoyens de sa cité (Ep 2.12, 19), en leur donnant une identité nouvelle (2.15) qui les libère de toute ordonnance légale contraignante et condamnatoire.

 

La seule réelle liberté n’est donc que celle que nous pouvons recevoir de Dieu. A ce moment, poser la question en forme d opposition : libre ou prédestiné ? N’a plus de sens. Nous pouvons tout simplement dire : prédestiné à être libre.

 

J.-P.B.

 


NOTES

 

1. Par exemple Tresmontant, cité par Alain Probst dans « Le christianisme et la raison», Ichthus, n°134, p. 12.

 

2. Pensées, Biaise Pascal, Fragment dit « des deux infinis», n°199 (Brunschwig n°72; Editions du Seuil, 1962), p. 103.

 

3. Affirmer l’inerrance de l’Ecriture, c’est affirmer qu’elle ne contient pas d’erreur.

 

4. Disciples d’Arminius (1560-1609) qui s’opposa à la doctrine calviniste de la prédestination.

 

5. H. Blocher, « Souveraineté de Dieu et décision humaine  » (Ichthus, n° 71 ), p. 5.

 

6. H. Blocher, Ibid., p. 7.