Une femme Samaritaine rencontre le Christ

 eau

 

par Francis Estève

 

 

 

 

Cette deuxième rencontre dans l’Evangile de Jean peut nous aider à comprendre comment Jésus présente sa Bonne Nouvelle à quelqu’un que les normes culturelles de son clan et de son époque demandaient de ne pas aimer. Il est étonnant de noter que, dans les Evangiles, les premiers à reconnaître Jésus sont souvent des exclus : des mages non juifs (Mt 2.1-12), des possédés (Mc 1.23-26, 34), des bergers (Lc 2.8-18). Ici ce sont des Samaritains… et en plus il s’agit d’une femme, personnification de l’hérésie pour de nombreux rabbins !


Ce chapitre va nous rappeler que le salut est proposé à tous, qu’il n’est pas propre à une race, mais qu’il est pour toute l’humanité (v. 42). Si les Juifs avaient la vérité, hélas ils n’en ont pas toujours été éclairés pour autant. Voilà bien une leçon d’humilité à méditer pour nous chrétiens qui avons la vérité mais qui ne savons pas toujours en voir certaines implications essentielles.

 

 

Contexte de la scène

 

Sommes-nous conscients « qu’il fallait » (v. 4) que Jésus passât à travers la Samarie ? Si nous regardons une carte d’Israël cela nous semble évident, et pourtant… pour  un bon Juif, justement, « il ne fallait pas » passer sur cette terre souillée par l’erreur. Il « fallait » passer par la TransJordanie, ou au pire par les bords du Jourdain. L’utilisation de ce verbe nous rappelle la supériorité du plan de Dieu sur nos coutumes et nos préjugés.

 

Traiter quelqu’un de Samaritain était une insulte raciste et théologique, c’était l’équivalent d’hérétique et de possédé (Jn 8.48).

 

Sychar correspond peut-être à la Sichem de l’Ancien Testament. Aujourd’hui elle s’appelle Naplouse. Il ne faut pas la confondre avec Samarie, plus au nord, qui était la capitale de la province du même nom. C’est près de là que Moïse symbolisa le dilemme humain : sur le mont Ebal il fit proclamer les malédictions qu’encourent ceux qui refusent de suivre la voie de Dieu (Dt 27.13), en face sur le mont Guerizim, il fit rappeler les bénédictions qui attendent tous ceux qui s’appliquent à marcher selon l’Eternel (Dt 27.12). Et c’est justement sur la colline des malédictions que ce peuple hybride et syncrétiste (2 R 17.24-41) avait choisi d’édifier son temple concurrent de celui de Sion.

 

Jésus arriva au puits de Jacob fatigué (v. 6). On n’a pas affaire à un surhomme ni à un demi-dieu ignorant nos limitations. Sûrement avait-il parcouru des dizaines de kilomètres depuis le matin. On ne sait pas exactement si Jean utilise l’heure juive ou l’heure romaine (les Galiléens employaient le système romain). De toute façon, s’il était midi, la chaleur justifie bien l’épuisement et la soif, s’il était 18 heures la longue journée de marche explique aussi la fatigue et concorde bien avec l’heure où l’on venait puiser l’eau (v. 7) ainsi qu’avec l’hospitalité offerte pour la nuit (v. 40).

 

 

Jésus propose l’eau vive (4.4-15)

 

« Donne-moi à boire » (v. 7). Habitués que nous sommes à la mixité, la scène ne nous surprend nullement. Et pourtant, à l’époque, « il ne fallait pas » que les rabbins parlent en public à une femme, encore moins à une Samaritaine. Cela explique la stupéfaction des disciples (v. 27) mais aussi de la femme : Toi, un Juif, tu me parles alors que vous refusez de manger dans la même assiette que nous ? » (v. 9).

 

Jésus passe tout de suite au plan spirituel : « Si tu connaissais le don de Dieu » (v. 10). Elle avait refusé de lui donner le verre de l’amitié, Jésus lui offre l’eau vive à la place de l’eau stagnante et tiède de ce puits (Jr 2.13). Quel exemple de service ! Apprenons à donner ce qu’on nous demande, ce qu’on attend de nous, à donner de notre temps et de notre amour. D’autre part, ne nous chagrinons pas quand on nous répond froidement, mais continuons à proposer fidèlement la Vie à ceux qui nous froissent.

 

donsRemarquez que le Christ propose la grâce, le cadeau, sans demander un changement de vie. Ce n’est qu’après qu’il abordera la situation scabreuse de cette femme. Il laisse sa conscience lui dicter ce qu’elle aura à faire. Cette approche de Jésus n’est pas unique (8.3-11). Pourrions-nous éviter d’annoncer de but en blanc le jugement ? Avons-nous suffisamment de foi pour laisser le Saint-Esprit agir dans le coeur de ceux qui sont en « situation irrégulière » ou préférons-nous commencer par « l’exhortation » ?

 

La Samaritaine essaye d’esquiver le sujet : « Tu n’as rien pour puiser » (v. 11 ), elle relance la discussion de casseroles, implicite depuis le verset 9. Malgré cela elle pose une question capitale : « Es-tu plus grand que notre père Jacob ? » (v. 12). La réponse est claire, l’eau de Jésus est la seule à donner la vie éternelle, il est donc bien supérieur à Jacob, à Israël et à la Samarie réunis !

 

L’eau est parfois symbole de l’Esprit-Saint. (Jn 7.37-39). Ce que Jésus propose c’est une eau de source, bien différente de celle de ce puits. C’est l’image même de la vie et de l’action. Il n’est plus question de boire mais de se baigner comme l’annonçait Jean le Baptiseur (Jn 1.33).

 

On retrouve donc ici le Jésus donateur de la vie comme au chapitre premier (1.3-4) ; mais Jean va plus loin en précisant que c’est une autre vie, bien plus importante, c’est la vie éternelle. Pas plus qu’on ne peut comparer l’eau tiède et sablonneuse d’un puits profond à l’eau de source fraîche jaillissant au milieu des rochers, on ne peut confondre la vie terrestre avec la vie à perpétuité.

 

« Donne-moi de cette eau » (v. 15). Une fois encore les propos de Jésus sont compris littéralement. La Samaritaine pense qu’en buvant ce que cet homme lui offre elle n’aura plus à se fatiguer pour puiser l’eau. Combien de croyants tombent dans le même piège ? Croire ne dispense pas des corvées quotidiennes (2 Th 3.10-12) ! Combien notre esprit est opportuniste, égoïste et matérialiste ! Combien nous attachons-nous aux choses concrètes, oubliant en même temps de voir les merveilles célestes bien supérieures aux ombres d’ici-bas (Hé 8.5).

 

 

Jésus dévoile la condition de la Samaritaine (4.16-19)

 

Une fois qu’on a compris qu’on a besoin de Jésus, il faut encore reconnaître son besoin de changer. Le Christ va le réaliser sans accuser, en mettant la personne devant ses fautes. Il va même jusqu’à approuver le fond de vérité dans le mensonge de la femme ! Pour mieux comprendre, voici une paraphrase de ce dialogue :

 

« Tu dis : « Je n’ai pas de mari », tu croyais pouvoir encore une fois éviter mon appel, mais tu as dit vrai… simplement tu n’as pas dit toute la vérité. Alors voici ce que tu n’oses pas avouer : tu as bafoué la tradition qui n’autorise que trois époux au maximum, tu es mal dans ta peau et tu cherches à fuir la réalité. S’il te plaît, ne cherche plus à fuir la vérité, elle est devant toi, reconnais-moi, accepte-moi. »

 

Nous insistons sur le fait que Jésus ne l’accuse pas aussi directement. Il lui présente la « vraie » vérité à la place de sa « petite » vérité avec laquelle elle essaye de calmer sa conscience.

 

« Tu es prophète » (v. 19). Enfin elle fait un pas vers la connaissance de Jésus. Elle l’admet comme voyant, aujourd’hui certains diraient : « Tu es télépathe ».

 

 

Jésus présente le vrai culte (4.20-24)

 

Revoilà la tradition : « Nos pères disent… vous dites… » (v. 20). « Tu es Juif, je suis Samaritaine, nous ne pouvons pas être d’accord ! » Mais Jésus clôt net le débat en demandant la confiance : « Crois-moi » (v. 21). Il répond en des termes qui auraient choqué bien des religieux de l’époque s’ils les avaient entendus : il annonce révolus le temple de Guerizim (d’ailleurs détruit à cette date) et celui de Jérusalem (qui ne va pas tarder à être rasé lui aussi).

 

La Torah est la vérité, le salut vient des juifs… mais tout ça va bientôt changer radicalement. Il n’est plus question de lieux ni de pratiques mais de spiritualité véritable. C’est ce que Dieu a toujours attendu. Dieu étant esprit, il ne peut résider dans un sanctuaire. Salomon l’avait pourtant dit en achevant le temple de Jérusalem (2 Ch 6.18). On ne peut pas non plus le confiner à Israël ou à la Samarie. Les prophètes l’avaient déjà clamé : ce ne sont pas les sacrifices qui comptent le plus, mais la disposition du coeur (Es 1.10-17).

 

Notre culte est-il inspiré par l’Esprit Divin ? Avons-nous réduit Dieu au matériel ou au symbole ? Est-il seulement sur la croix de nos lieux de réunion ou autour de notre cou ? Règne-t-il dans nos coeurs comme dans l’univers ? Jésus nous propose un principe capital : « il faut » (et non pas « il faudrait ») que ceux qui adorent l’Eternel le fassent conformément à ce que Dieu est et à ce qu’il attend d’eux. Il n’est pas question d’un culte uniquement intérieur, mystico-individualiste, mais d’un culte ouvert à tous ceux qui sont devenus ses enfants par adoption spirituelle

 

 

Jésus se révèle comme le Messie (4.25-26)

 

Ces dernières paroles semblent avoir eu un effet fabuleux sur cette pécheresse. Elle se rend compte que Jésus lui révèle non seulement sa vie mais aussi la vérité. Elle est enfin prête à poser la vraie question : « serait-ce le Messie ? » (v. 25). Au passage, notons que Jean explique que Messie signifie Christ (en grec…). Pourquoi n’en faisons-nous pas de même dans nos traductions en rajoutant le sens en français ? Le terme de Messie n’a pas plus de sens que celui de Christ pour nos contemporains.

 

D’ailleurs, tous les chrétiens savent-ils que c’est le même mot (l’un en hébreu, l’autre en grec) ? En connaissent-ils la traduction (« oint ») ainsi que la signification théologique profonde (« envoyé reconnu et choisi par Dieu ») ? Beaucoup de langues semblent penser que le Fils de Dieu s’appelait tout bonnement Jésus-Christ (avec un trait d’union en français) ou même en un seul mot (en espagnol). Les protestants francophones utilisent aussi le terme Christ sans article (donc comme un nom propre !), chose qu’il ne font pas avec le terme Messie qui reste bien un substantif.

 

Toutes ces remarques pour nous rappeler que nos traductions et traditions protestantes sont parfois limitatives. Nous avons peur d’introduire des notes textuelles plus nombreuses dans nos Bibles, même quand le Texte Sacré lui-même nous montre l’exemple et le besoin de s’adapter à la langue du lecteur pour être compris.

 

C’est la première fois dans l’Evangile de Jean que Jésus se révèle sans attendre que les autres le confessent. En disant : « Je (le) suis » (v. 26) Jésus va certainement bien au delà de l’assertion de sa « messianité ». Il se révèle totalement, pour la première fois à un pécheur, femme et de surcroît Samaritaine ! Sept fois Jean va mettre dans la bouche de Jésus cette expression qui fait immanquablement penser à la révélation de l’Eternel dans Exode 3.14s. Il veut diriger ses lecteurs vers la confession totale, absolue de la divinité de Jésus. Il est plus que Jacob, plus qu’un prophète, plus que le Messie, il est Dieu. Les Samaritains vont le constater dans un instant.

 

 

Jésus parle de sa mission (4.27-42)

 

La scène change, petit à petit les disciples passent au premier plan, semblant presque interrompre la révélation de Jésus, alors que la Samaritaine s’éclipse pour aller annoncer la Bonne Nouvelle à ses compatriotes, un peu comme André le fit envers son frère (Jn 1.40-42). Un nouveau choc culturel apparaît : « Quoi ? notre maître est en train de violer la loi rabbinique en parlant avec une femme ! ». Cependant aucun disciple n’ose lui dire : « Pourquoi parles-tu avec elle ? » (v. 27).

 

Le contenu du dialogue ne les intéressait guère. Cette attitude nous rappelle un des secrets de la foi : Dieu ne s’est jamais engagé à répondre à nos pourquoi, d’ailleurs il ne le fait que très rarement (voir Job et Habaquq). Dans tous les cas, l’essentiel n’est pas de savoir pourquoi Dieu fait ou laisse faire, mais bien de croire que Dieu est présent (derrière ou à côté de tout ça). L’important est d’admettre qu’il est « Je Suis », toujours là, et que rien ne peut passer à côté de sa Personne et de sa Volonté. Au pourquoi de Job, Dieu a répondu par « C’est Moi » (Job 38.41 ).

 

On est ébloui par l’enthousiasme de cette femme qui court annoncer le Messie en oubliant sa cruche. Il est dommage cependant de voir que la vérité n’est pas encore ancrée en elle. Ce qu’elle confesse c’est un homme qui est « peut-être » le Messie (v. 28). La remise en ordre des idées, des valeurs, des sentiments, du mode de vie ne peuvent pas se faire en un instant. Dieu le sait et l’accepte puisqu’il est le Créateur. Respectons, nous aussi, les principes de la vie. Trop souvent nous voulons changer en un clin d’oeil, tout saisir de Dieu en un flash révélateur. Acceptons que les changements prennent leur temps.

 

« Rabbi, mange » (v. 31). Les apôtres ont interrompu la révélation de Jésus, ils brisent maintenant le ton spirituel. Mais Jésus ne se laisse pas prendre par nos réalités matérielles, il relance derechef le débat au niveau spirituel : « J’ai à manger une nourriture que vous ne connaissez pas » (v. 32). Comme à l’habitude, l’auditoire ne comprend pas, ou plutôt essaye de comprendre littéralement ce que le Christ vient de dire. Une fois encore, Jésus va s’expliquer plus nettement. « La faim de Jésus c’est de donner la Parole, comme la soif de Jésus c’était de distribuer l’eau vive » (A. Jaubert).

 

Ce principe devrait aussi s’appliquer à nos vies. Combien d’entre nous sommes capables de sauter un repas pour parler de Dieu ou pour parler à Dieu ? Le jeûne n’est plus à la mode et il peut sembler contradictoire de parler d’une « tradition » dans ce contexte qui affirme que Dieu veut du spirituel et non des traditions. C’est vrai que Jésus nous a libérés de la Loi, mais justement sommes-nous capables de réaliser les principes de cette Loi, simplement parce que nous n’y sommes pas tenus ? Sommes-nous capables de nous priver de nos libertés et de nos droits pour montrer à Dieu qu’il est le plus important dans nos vies ?

 

Prière« II y a encore quatre mois jusqu’à la moisson » (v. 36). La moisson étant en avril, beaucoup pensent qu’on serait ici en novembre ou décembre. Mais peut-être ne s’agit-il que d’un proverbe signifiant qu’il faut savoir attendre comme le paysan (Je 5.7).

 

Comme au chapitre 1 de Matthieu, celui qui sème n’est pas toujours celui qui récolte (Mt 13.27, 30, 39). A la moisson, il faut être nombreux, on emploie toute la famille, et s’il le faut on engage des ouvriers. Il est vrai que d’autres récolteront parfois ce que nous avons semé (1 Co 3.6-8) ; mais ce que Jésus met ici en avant c’est la joie des moissonneurs qui n’ont pas eu à labourer avant et qui voient de si beaux fruits en si grand nombre. Il faut se rappeler que c’est Dieu qui est passé avant nous dans les coeurs de ceux à qui nous pouvons parler du Seigneur.

 

Au lieu de voir la frustration et la peine de l’ensemencement, retrouvons le bonheur de savoir que la récolte n’a jamais été aussi proche et qu’elle ne dépend pas que de nous seulement : « Regardez les champs qui sont blancs » (v. 35). Y a-t-il là une allusion aux Samaritains habillés de blanc et qui justement viennent vers Jésus (v. 40). Ou est-ce plutôt une vision de la « cueillette » que fera plus tard Philippe dans cette contrée (Ac 8.1-25).

 

 

Jésus est accepté par les Samaritains (4.39-42)

 

Plusieurs raisons nous sont proposées à cette foi. Elles résument bien l’évolution de la confiance en Dieu : d’abord ils croient parce que quelqu’un leur a dit que Jésus était un voyant (v. 39), ensuite la majorité croit parce que Jésus leur parle directement (v. 41s.). La foi fondée sur la parole et l’enseignement est toujours plus durable que celle reposant sur le spectaculaire.

 

« Nous savons qu’il est vraiment le Sauveur du monde » (v. 42). Si le salut vient des Juifs (v. 22) il ne leur est pas réservé, et Jean le fait justement dire par des Samaritains. Jésus est venu pour sauver toute l’humanité, l’évangéliste ne pouvait mieux nous présenter cette notion universelle du salut.

 

On se rappellera que le titre de « Sauveur du Monde » était déjà donné à l’empereur romain. L’allusion est probable ; Jésus n’est donc pas un « petit Messie local », il est au contraire supérieur à César qui régit tout l’univers connu de l’époque.

 

 

Conclusion en forme de résumé

 

Tout ce passage nous a montré une très belle illustration de ce qu’est la révélation progressive de Dieu. Jésus se révèle et est découvert petit à petit :

 

– Jésus est un Juif (v. 9),


– Jésus est un Prophète (v 19),


– Jésus est le Messie (v 29),


– Jésus est le Sauveur Universel (v. 42).

 

Tout cela sans forcer à aucun moment l’humanité, simplement en dialoguant. On ne peut mieux condenser ce qu’aurait dû être l’évangélisation du monde. Pourquoi ne pas relire et méditer ce passage pour le mettre en pratique dans ces prochaines semaines ?