Par François-Jean MARTIN

 

 

Le prologue de la Genèse1 définit l’homme comme une créature en image de Dieu. C’est une formule décisive de l’anthropologie biblique.

 

 

 

D’après Henri BLOCHER2, quatre interprétations peuvent être retenues. Ainsi, l’image fait référence soit :

 

• à la spiritualité : l’homme comme Dieu a l’esprit. Cette interprétation remonte à Philon et au livre de la Sagesse (2.23) : « Dieu a créé l’homme pour qu’il soit incorruptible, et il l’a fait image de ce qu’il possède en propre. »

 

à la domination : comme Dieu règne sur tout l’univers, l’homme – son représentant3 – régira la Terre. Cette interprétation se mêle à la première dans le judaïsme ancien. Elle est attestée dans l’Ecclésiastique4. La Genèse développe le thème de l’autorité donnée à l’homme dans le contexte immédiat de la déclaration sur l’image. L’homme représentait et gouvernait au nom de Dieu.

 

• à la justice originelle, l’excellence morale perdue lors de la chute. L’homme a été créé bon, pur et saint comme Dieu. La rédemption restaure cette ressemblance détruite.

 

• à la sexualité, après le fait de la création, le texte précise : « mâle et femelle, il les créa ». C’est à Karl BARTH que l’on doit cette interprétation. Il voulait dire par là, non que l’image consiste en la sexualité, mais que la différence mâle/femelle appelle l’homme au vis-à-vis comme Dieu lui-même existe dans le vis-à-vis (explication du pluriel faisons).

 

 

 

Une image n’est qu’une image

L’image n’existe qu’indirectement. Elle n’est pas l’original, elle n’existe pas sans l’original. Ce fait essentiel souligne la dépendance totale de l’homme. Ce que je vois dans le miroir n’est qu’image, elle disparaît si j’enlève ce qui existe vraiment. Même si l’on voit des images hyperréalistes, le verbe créer exclut cette pensée. L’homme reste infiniment inférieur à son créateur : créature, rien que créature.

Le peintre MAGRITTE a peint un tableau qui représentait une pipe avec une inscription : « Ceci n’est pas une pipe ». Quand on lui a demandé pourquoi il avait écrit cette phrase, il a répondu que c’était parce qu’on ne pouvait pas la bourrer de tabac. Il ne voulait pas que l’on confonde l’image avec l’original. L’apôtre Paul reproche aux êtres humains de confondre la créature avec le créateur5.

 

 

La solidarité homme-animal

L’esprit donné à l’homme n’est pas une parcelle de l’esprit de Dieu. Zacharie (12.1) emploie pour la création de l’esprit de l’homme au-dedans de lui, le même verbe qui est employé dans Genèse 2 pour le corps, à savoir « modeler », le verbe du potier.

 

L’homme apparaît au 6e jour, comme les animaux, et Dieu assigne à tous en même temps leur nourriture. Ainsi, la Bible avertit l’homme de ses attaches avec le règne animal.

 

Si le premier texte de la Genèse ne mentionne pas la glaise (l’argile), matériau de l’être humain, il indique bien le rapport à la terre en l’appelant Adam (Gn 5.2 : âdâm) ; c’est le « terrien ».

 

Dans notre langue, homme vient aussi d’humus et c’est la même racine qui a donné humilité… Ainsi, notre nom même nous indique qu’il faut nous souvenir que « Dieu est au ciel, et tu es sur la Terre » (Ec 5.1).

 

 

Cette humilité précède la gloire

Mais cette humilité précède la gloire. Car s’il est l’image, il l’est de Dieu. Cela n’est dit dans le texte que pour l’être humain. Et cela est souligné dans le récit par l’absence de vis-à-vis parmi tous les animaux que Dieu fait venir à lui. Cette nomination donne un caractère d’autorité à l’homme. En fait, par lui-même, il occupe un rôle de vizir, de gouverneur. Même des anges, pourtant « supérieurs en force et en puissance » (2 P 2.11), la Bible ne dit nulle part qu’ils aient été créés à l’image de Dieu. Henri BLOCHER dit qu’ainsi l’intention du texte est aussi de « magnifier la générosité du Créateur qui fait frôler (à l’homme : mâle et femelle) la condition divine (Ps 8.6) ».

 

Le récit indique ainsi de plusieurs manières que la création de l’être-image est le moment suprême de l’oeuvre de 6 jours. Elle vient au terme et le verbe créer est employé là pour la troisième fois, la dernière dans ce texte (1.27). Ce moment est précédé d’une délibération à l’intérieur de la nature divine par le « faisons » qui est ainsi souligné pour la seule fois du texte en marque de solennité et d’engagement des trois personnes de la divinité dans cet acte.

 

Ésaïe 40.14 indique que Dieu n’a pas pris conseil d’autrui pour créer. Il s’agit donc bien d’un dialogue interne du Dieu trinitaire. En effet, le ‘nous’ de majesté n’existe pas en hébreu.

 

Mais théologiquement, ce pluriel prend une valeur forte et souligne le Dieu unique en trois personnes ; le texte mentionnant  l’Esprit dès le début. Cet engagement de l’ensemble des personnes de la Trinité souligne d’autant plus la valeur de l’être humain, et par là même, au niveau éthique, la valeur de la vie.

 

 

Le vocabulaire et ses conséquences

Le mot image répété attire l’attention. Soit l’image désigne la forme de Dieu prototype, soit l’image désigne l’effigie même qui est faite. Le terme employé, « sélém », désigne en général une image concrète, une statue, souvent une idole (Nb 33.52). Deux fois dans le psautier, le terme désigne une vision fantomatique : une image de rêve qui se dissipe (Ps 39.7 ; 73.20), une ombre. Cette utilisation ne peut pas convenir ici.

Le deuxième terme qui nous intéresse est le mot « demût », traduit par ressemblance ou similitude. Ce terme plus abstrait précise le premier, il s’agit donc d’une image ressemblante avec des traits analogues, bien que non identiques. Cette image « représente » Dieu dans les deux sens du verbe.

 

Cette métaphore du « sélém » met l’accent sur les relations constitutives : l’homme se définit par rapport à Dieu, il en sera la représentation créée et ici-bas comme le reflet de sa gloire. L’homme réfléchit la gloire de Dieu qu’il contemple (1 Co 11.7 ; 2 Co 3.18).

 

Si l’homme est image, l’interdiction de fabriquer des images de Dieu apparaît aussi sous un nouveau jour.6Henri BLOCHER va jusqu’à dire qu’ainsi l’homme apparaît comme le simulacre de Dieu dans son sanctuaire cosmique et que Dieu veut qu’on lui rende hommage par le service de l’homme, du prochain, créé à son image ! Il le voit aussi dans la logique de Jésus qui réunit les deux commandements « tu aimeras le Seigneur ton Dieu » et « tu aimeras ton prochain ».

 

Un autre aspect paraît aussi très fortement. Contrairement à la conception religieuse de l’époque qui faisait du grand prêtre, du roi, du pharaon, les représentants de Dieu sur Terre – seuls à posséder le privilège d’être l’image de Dieu –, Dieu publie que c’est tout homme, et non le roi seul, qui est fait à l’image de Dieu.

 

L’A.T. veille à éviter la confusion entre le signe et la chose, mais la mention spéciale de la ressemblance oblige à s’interroger sur les implications pour la nature de l’homme par rapport à la situation privilégiée que lui confère son image de Dieu.

 

Ce privilège et la tentation qu’il représente sont bien au centre de ces textes, d’où les limites posées par la présence de l’arbre dont le fruit était interdit.

 

En Genèse 2, l’insufflation divine distingue l’homme ; elle n’existe pas pour les animaux, pourtant eux aussi façonnés d’argile par Dieu. Cet esprit joue le rôle de « lampe du Seigneur » (Pr 20.27), c’est la conscience.

 

La dualité âme-esprit et corps propre à la nature humaine fait partie des thèses de l’anthropologie biblique. Cette caractéristique humaine est aussi exprimée par la notion de coeur. Le théologien strasbourgeois Edmond JACOB remarque que « l’animal n’a pas de coeur »7, alors qu’il a bien sûr un viscère cardiaque. On parle bien dans ce sens de circoncision du coeur.

 

Un des aspects de l’image concrète est celui du fils, vis-à-vis du père, aspect lié à cette notion d’image dans les textes babyloniens et égyptiens. On retrouve cela dans le N.T., dans Colossiens 1.15. Le Fils porte le titre d’image et déjà la Genèse dans le livre des tôledôts d’Adam, après avoir rappelé la création de l’homme « en ressemblance de Dieu » (Gn 5.1), rapporte qu’Adam engendra son fils « en sa ressemblance comme son image » (5.3). Il y a peut-être là une des clés pour comprendre. Dieu a créé l’homme comme une sorte de fils terrestre qui le représente et lui répond. Luc 3.38 ose dire qu’Adam est fils de Dieu, et Paul cite le poète grec Aratos : « De lui nous sommes race » (Ac 17.28). Si la Genèse ne le dit pas plus clairement, c’est certainement pour éviter la lecture panthéiste qui divise l’homme. En Christ, nous voici pleinement fait fils, en son oeuvre il nous a adoptés. « Ainsi, l’homme a été créé comme image vivante de Dieu dans une relation quasi filiale avec lui, doué de l’esprit à sa ressemblance.8 (p.83)

 

 

L’homme est créé pour dominer la Terre avec la femme

Le règne de la créature-image ne peut être que lieutenance, l’homme est un prince vassal qui doit suivre les directives du Souverain, de celui qui est9

et doit lui rendre compte. C’est son rôle de gestionnaire de la création.

 

Image de Dieu, l’homme peut assurer sa maîtrise non par la force, mais par la puissance de la parole et de l’esprit (il nomme les animaux) comme les vainqueurs changeaient le nom des vassaux vaincus10

. Le texte ajoute « et ce que l’homme donnait pour nom à un être vivant quelconque, c’était là son nom » (Gn 2.19). Nommer c’est séparer, c’est éviter la confusion.

 

La sexualité a Dieu pour auteur : « Mâle et femelle, il les créa. » (Gn 1.27 ; 5.2) L’homme est le seul vivant pour lequel manque la formule « selon sa sorte » (qui a un sens distributif), il ne se répartit pas en espèces différentes. Pas de distinction raciale, ethnique, sociale ; seule existe la distinction sexuelle. Elle est voulue et Dieu dit qu’il trouva cela très bon.

 

Ainsi, la sexualité dans le couple n’est pas incompatible avec le privilège d’être image de Dieu. La Bible exclut le mythe de l’androgynie primitive évoqué par Platon dans le Banquet et repris par Grégoire de Nysse qui, du coup, fait de la chute l’origine du sexe, donc le couvre d’un aspect négatif. Le texte ne dit pas « Il le créa homme et femme », mais « il les créa ».

 

D’une certaine façon, au travers de la sexualité par la procréation (terme qui en dit long), Dieu donne à l’homme et à la femme la grâce de mettre au monde un être image de Dieu. Ève11 s’émerveille de ce mystère (Gn 4.1) .

 

 

Après la chute…

Pour terminer, que reste-t-il de l’image de Dieu en nous après la chute ? Toutes les références claires (Gn 1.26 ; Gn 9.6 ; 1 Co 11.7 ; Jc 3.9) prouvent de façon indéniable la permanence de l’être en image de Dieu. C’est pourquoi la vie est sacrée et il est scandaleux de maudire l’homme alors qu’on bénit le Seigneur.

 

Si le péché entraîne la mort, cette dernière ne fait pas disparaître le sujet et l’être. L’homme reste homme après sa révolte et il a aussi radicalement changé. L’homme reste image, mais celle-ci est déformée, caricaturale. D’une certaine façon, cette image dans l’homme, comme sa conscience, témoigne contre lui. Mais en Jésus-Christ nous sommes rendus à notre humanité, l’image est redressée, et nous sommes plus qu’images puisque nous devenons fils dans le Fils.

 

F-J.M.

 


NOTES

 

1. Gn 1.26

 

2. Cet article doit beaucoup au travail de Henri BLOCHER, « Révélation des origines », Collection théologique Hokhma, PBU, 1979. Cet ouvrage a été pour moi un choc, une révélation réelle.

 

3. Henri BLOCHER emploie pour l’homme le terme de vizir. Je ne peux m’empêcher étant donné le sujet de l’autorité, de la domination, de penser que, après la rupture du péché, s’est posé le problème du pouvoir. Au fond, il s’agit du vizir qui veut devenir calife à la place du calife : « Vous serez comme des dieux. »

 

4. Sir 17.3-5

 

5. Rm 1.22-25

 

6. Peut-être pourrait-on en faire une lecture appropriée par rapport au clonage.

 

7. Article « Homme » dans Vocabulaire Biblique, dir. J-J Von Allmen, Delachaux et Niestlé, 1956

 

8. Henri BLOCHER, « Révélation des origines », Collection théologique Hokhma, PBU, 1979, p. 83

 

9. « Je suis celui qui suis » (Ex 3.14) et non pas une image

 

10. Changement d’Elyaqîm en Yoyaqîm (2 R 23.34) ou Mattanya en Sédécias (2 R 24.17), aussi bien par le pharaon que par le babylonien Nabuchodonosor.

 

11. Certains se demandent quelle est la place de l’homme en Gn 4. Il est à noter qu’il est présent dès le départ : « L’homme s’unit à Ève », et en Gn 5.1-3 l’accent est mis sur l’homme.