La dignité de la personne et le handicap

 

 

Par Natalie METZ

 

 

 

En apercevant au loin une personne handicapée vous vous dites peut-être « Oh le pauvre ! Cela doit être difficile à vivre tous les jours… » ou encore « Quel fardeau pour les proches ! » Le regard que nous portons sur le handicap nous est propre. Seulement, je ne peux m’empêcher d’associer «différence» au mot «handicap». Nous ne savons comment réagir face à lui, la crainte d’être maladroits nous paralyse. Pourtant quelle différence y a-t-il réellement entre ces personnes et nous ?

 

Cette différence se manifeste si clairement dans nos regards vis-à-vis d’eux et notre facilité à les considérer comme des personnes dépendantes d’autrui, à charge et par conséquent inférieures. La personne handicapée perd sa dignité aux yeux du monde, bien malgré elle, parce qu’elle n’est pas capable d’accomplir ce qu’on attend d’elle, au même titre que tout un chacun. Pensez simplement au malaise que vous ressentez quant vous ne pouvez pas vous rendre utile vis-à-vis de quelqu’un et ajoutez-y la gêne de demander de l’aide dont vous avez besoin pour vous en sortir. Votre fierté en prend un sacré coup. Les êtres humains se jugent malheureusement davantage par leur utilité que par leur vraie valeur. L’incapacité devient alors un fardeau aux yeux de tous, en plus de la personne handicapée elle-même, parce qu’elle ne pourra répondre aux attentes ; sa fierté est rabaissée, sa valeur bafouée.

 

Contrairement à la fierté, la dignité est le respect que mérite l’être humain de par son humanité, cette valeur particulière que le Créateur lui a donnée. C’est un don accordé à tous et pourtant nous le leur refusons. Aux yeux de certaines personnes, le handicap est perçu comme une punition, un héritage ou encore le résultat d’une malédiction, d’un sort quelconque. La Bible laisse aussi transparaître que les personnes handicapées étaient considérées comme des « laissées pour compte », vivant parmi les mendiants. J’ai, d’ailleurs longtemps, été frappée par la manière dont ces mêmes personnes étaient vues au sein du peuple de Dieu. Au temps de Moïse, les Lévites ayant des malformations ne pouvaient être au service de Dieu1. Mais connaissant l’amour infini du Père, s’ils étaient rejetés du peuple – qui craignait d’être souillé à leur contact et sur ordre de Dieu – ils n’étaient certainement pas rejetés par Dieu lui-même. Il voulait apprendre aux Israélites combien il est saint et combien la création ne l’est plus. Seulement le peuple est allé plus loin en les excluant même de toute vie sociale.

 

Aujourd’hui, dans nos sociétés modernes, malgré tous les efforts de sensibilisation, il n’en résulte pas moins un décalage permanent. Interrogez seulement une personne handicapée sur ce qui est le plus difficile à vivre pour elle. Ne pas être «comme tout le monde» est un fardeau lourd à porter. Finalement c’est le monde dans lequel nous évoluons qui met ce poids sur leurs épaules, qui leur enlève une si grande part de leur dignité.

 

Et si, depuis des siècles, les personnes handicapées ne sont pas traitées de la même manière que les valides, c’est parce qu’en eux réside plus fortement le lourd poids du péché. Non pas que leur état soit une quelconque punition, mais ce n’est qu’une des conséquences de la chute dans le jardin d’Eden. Leur intégrité physique et/ou mentale est davantage touchée, leur faisant alors perdre une certaine estime à nos yeux. Ils sont désormais moins adaptés pour la vie présente sur Terre. Ainsi le handicap reste un élément difficile à vivre pour la personne concernée et pour ceux qui l’entourent. Le malaise persistera de génération en génération jusqu’au rétablissement de toute la Création au retour de notre Seigneur. Quelle joie ce sera alors, pour tous, de retrouver, à jamais, un corps glorifié et parfait.

 

Puisqu’il en est ainsi, quoi que nous fassions nous ne pourrions changer cet état de faits. Toutefois, même si notre humanité ne peut contribuer à cela, Dieu le peut. Quand bien même ces personnes voient leur valeur bafouée par les humains, elle ne l’est pas par le Créateur. Ses critères sont souvent bien différents de ceux des hommes. Ceux que la société et l’église refusent, il les accepte. Dieu a un même amour pour chacun de ses enfants qu’il a créés personnellement. J’ai mis un certain temps avant de pouvoir lire les versets 13 et 14 du Ps 139 avec force et conviction. Il est si difficile pour une personne handicapée, que des regards accusent et rabaissent si naturellement, de considérer qu’effectivement elle est une vraie merveille, d’une beauté extraordinaire. Cela vous paraît-il utopique ? Pourtant c’est tellement vrai. Nous sommes tous des créatures exceptionnelles, même avec une canne blanche ou dans un fauteuil roulant ; parce que dans nos corps il y a la vie, la plus merveilleuse chose qui soit. Même si celui-ci ne fonctionne pas parfaitement, il est digne d’y recevoir le souffle de Dieu. Notre Créateur fait des merveilles. J’aime être en présence de personnes trisomiques. Elles me surprennent toujours par leur simplicité, leur vivacité d’esprit et surtout leur générosité. L’appréciation qu’elles ont d’elles-mêmes et de ceux qui les entourent est tellement différente de la nôtre que je me sens bien stupide à leurs côtés.

 

Dieu nous a placés sur cette terre pour être des êtres qui le louent, l’adorent et lui rendent un culte pour Lui manifester notre attachement. C’est avant toute autre chose pour cela qu’il nous a placés ici-bas. Il n’a jamais été question de quelconque utilité ou attente particulière autre que celle de lui appartenir et être premièrement à sa disposition et non à celle des autres. Il a une tâche bien particulière et adaptée pour quiconque veut suivre ses voies. Personne n’est «inutile» pour Dieu, bien au contraire. Sachons seulement reconnaître comment Dieu se sert de telle ou telle personne pour son royaume. Une mère a dit un jour de sa fille autiste : « Si peu faite pour la terre, mais si bien faite pour le ciel. » Elle voyait en elle, au delà de son handicap, une enfant qui retrouve toute sa dignité en Dieu.

 

Dans les évangiles, la quasi totalité des passages mentionnant les personnes handicapées sont des récits de miracles de Jésus. Au travers d’eux, la prophétie d’Esaïe s’accomplit : «Il agira encore, jusqu’à ce qu’il ait assuré le triomphe de la justice. Tous les peuples mettront leur espoir en lui.»2 Et quand Paul demanda la guérison, Dieu lui a répondu que c’était dans la faiblesse que sa puissance se manifestait pleinement3. Le Seigneur fait ainsi resplendir sa gloire au travers des personnes handicapées et des malades. Même si aujourd’hui les miracles sont bien moins fréquents, ils existent encore parce que Dieu n’a pas cessé d’agir.

 

Mais au-delà même de tout ce que le Père peut faire au travers des personnes handicapées, leur redonnant une certaine dignité pour un temps, un élément encore plus important est toute la richesse que le handicap peut apporter de plus dans une relation intime avec Dieu. Étant enfant de Dieu, une dépendance bien plus grande va se tisser entre la personne handicapée et son Père. Nos propres forces nous éloignent si souvent du véritable bonheur qu’est la dépendance totale à Dieu. Dans nos limites nous pouvons le voir à l’oeuvre alors à plus forte raison. L’incapacité est un moyen extraordinaire d’apprendre à s’abandonner à Dieu et lui faire confiance en toute circonstance. Joni E. écrivait que chaque matin, quand elle se lève et voit son fauteuil électrique dans le coin de la pièce elle choisit de se dire que ce serait un jour de plus où elle apprendra à dépendre de son Dieu.

 

La foi en Dieu apporte bien plus que ce que notre humanité enlève aux personnes handicapées. Les valeurs du royaume divin font d’eux des êtres à part entière, leur donnant toute valeur. Au lieu d’être considérés comme différents et inférieurs, ils sont uniques et tellement plus dépendants du Père. Plutôt que d’être un fardeau et sans utilité, ils confondent ceux qui se croient forts et sont des objets de louange et de gloire manifestant la puissance de Dieu. Alors ne les méprisons pas par notre indifférence, mais rendons-leur toute dignité. La vision que le monde a des personnes handicapées, malgré toute bonne volonté, est bien différente de celle du Créateur. La respectabilité d’une personne ne réside pas dans la perfection physique ou mentale, même si nous réagissons comme si cela était vrai. Cette grandeur réside dans notre humanité, les créatures merveilleuses que nous sommes ; elle réside dans la beauté de nos âmes.

 

N.M.

 


NOTES


1. Lv 21.17-18
 

2. Mt 12.20-21
 

3. 2 Co 12.9