D’où viennent les évangéliques1 ?

 

Par FRANÇOIS-JEAN MARTIN


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Évangéliques » ou « évangélistes » ?

 

L’adjectif « évangélique » se réfère à l’Évangile. Il désigne certaines Églises (et certains chrétiens) rattachées au protestantisme. Ce terme, longtemps considéré comme synonyme de « protestant », identifie aujourd’hui un courant particulier du protestantisme.

 

Il ne faut pas confondre « évangélique » et « évangéliste ». Une remarque s’impose du fait de l’utilisation de l’appellation « évangélistes », par les médias pour identifier nos Églises. Cet emploi, qui est à présent commun, montre une réelle ignorance du fait religieux par notre société. Ce vocable, « évangéliste », désigne les auteurs des quatre évangiles. Ce terme, en français, désigne une fonction dans l’Église, un ministère : celui d’évangéliste, c’est-à-dire le propagateur de l’Évangile du Christ. Le Nouveau Testament en parle comme il le fait pour d’autres ministères, par exemple ceux du pasteur ou de l’enseignant/ docteur. Le terme utilisé depuis les origines de nos Églises est celui d’« évangéliques ». Bien sûr, d’autres confessions chrétiennes peuvent à juste titre se réclamer de ce qualificatif, mais historiquement et sociologiquement, c’est celui qui a été attribué à cette partie importante du protestantisme.

 

Les Français sont habitués à la structure pyramidale et monolithique du catholicisme.

 

Par comparaison, chez les évangéliques, l’absence d’une hiérarchie affirmée, d’un clergé ou d’une structure unique surprend et parfois déroute.

 

Les évangéliques peuvent être considérés comme une famille dans laquelle l’essentiel du patrimoine génétique est commun à tous les membres qui la composent. Seuls quelques gènes diffèrent et vont donner naissance à des personnalités distinctes et uniques. Les évangéliques ont l’essentiel en commun. L’histoire, la compréhension variée de certains aspects théologiques et ecclésiaux secondaires, expliquent que les croyants se regroupent en diverses dénominations : baptistes, méthodistes, pentecôtistes, frères… en France, un peu moins de 45 familles, plus environ 250 Églises totalement indépendantes.

 

 

Un peu d’histoire : « Depuis quand existez-vous ? »

Notre identité est liée à notre héritage : Je suis ce que mes ancêtres et mon environnement ont fait de moi. Je leur dois énormément, mais je suis en partie différent. Je ne suis pas seulement le produit du passé et de mon milieu : j’ai mon identité propre.

 

Dans les lignes qui suivent, nous allons relever des exemples de réforme de l’Église. Ceci ne signifie pas pour autant que les Églises évangéliques actuelles soient des filles directes de celles-ci. Mais elles se reconnaissent dans ces démarches et expressions de l’Église du passé. De tout temps, Dieu a suscité des témoignages fidèles de son Église dans les différentes périodes. Nous allons signaler très brièvement les principales, qui représentent pour les Églises évangéliques des jalons essentiels qui font pour elles référence.

 

Tout au long de l’histoire de l’Église, des groupes de chrétiens ont cherché à vivre fidèlement leur foi. Ainsi naquirent, parfois à l’intérieur, parfois en marge des Églises établies, des communautés qui tendaient à retrouver la simplicité des Églises des premiers siècles, s’attachaient à la Bible et témoignaient de leur foi.

 

Les « Pauvres de Lyon » auxquels succèdent les Églises vaudoises du Piémont en sont un exemple à la fin du XIIè siècle. Leurs points forts ont été leur amour de la Bible et leurs efforts pour la traduire pour la mettre à la portée du peuple2. Ils ont insisté sur son étude entre laïques et sur le principe de l’évangélisation individuelle.

 

La Réforme protestante du XVIe siècle redécouvrait la Bible et la diffusait. Elle posa trois principes fondamentaux : sola scriptura, sola fide, soli deo gloria.

 

Les anabaptistes puis les mennonites ont vécu des Églises composées de vrais croyants ayant fait une expérience personnelle de vie nouvelle en Christ et ont souligné le baptême des croyants.

 

Cent ans plus tard, les prédicateurs moraves réclamaient une piété de coeur fondée sur l’expérience de la repentance et du pardon. Ils ont rassemblé les enfants de Dieu par-delà des barrières dénominationnelles, placé la cène au coeur de leurs cultes et concrétisé la mission hors des frontières.

Pierre Valdo,

Initiateur des Eglises vaudoises

 

Le mouvement méthodiste, les grands évangélistes des XVIIIe et XIXe siècles amenaient à la foi des foules immenses. Ils ont constitué des classes bibliques où l’on s’exhortait les uns les autres.

 

De cette époque datent aussi les premières grandes sociétés missionnaires protestantes.

 

César Malan

À la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, le christianisme des Églises établies était en maints endroits marqué par le rationalisme et l’indifférence. Des mouvements de réveil spirituel éclatèrent simultanément dans plusieurs régions d’Europe. Ils nous ont transmis leur amour de l’évangélisation. En particulier, le mouvement des Frères a insisté sur le sacerdoce universel. Au sujet de cette dernière dénomination, sa naissance est la suivante : en 1817, à Genève, Robert HALDANE rassembla des étudiants en théologie. Frédéric MONOD, Merle d’AUBIGNÉ, César MALAN, Émile GUERS, Louis GAUSSEN, Henri PYT, Henri EMPEYTAT et plus tard Félix NEFF fondent une première Église « dissidente ». C’est là que naquirent les Communautés et Assemblées évangéliques, alors désignées sous le nom d’« Assemblées de Frères », car ils refusaient un fonctionnement hiérarchique et pensaient que tout chrétien avait la possibilité de rendre un culte à Dieu sans devoir passer par un prêtre ou un pasteur comme intermédiaire. Ce refus d’une autorité paternelle (père) autre que celle de Dieu a conduit à l’utilisation du mot « frère » pour désigner nos membres et pasteurs et, par là, nos Églises.

 

Les Eglises de frères se multiplient en Suisse, Irlande, Grande-Bretagne, France et dans le reste de l’Europe puis du monde.

 

En 1847, ces Églises donnent naissance à deux courants dont l’un engendrera, en France, les CAEF (les Communautés et Assemblées Évangéliques de France). Nos Églises en tant que telles sont donc nées à ce moment-là.

 

 

« Évangéliques » ou « protestants évangéliques » ?

 

Comme nous venons de le voir pour les deux questions précédentes, les racines des évangéliques remontent en particulier au début du protestantisme, au XVIe siècle3. Ils partagent encore aujourd’hui les valeurs fondamentales des réformateurs (Martin Luther, Jean Calvin…). De plus, ils se reconnaissent volontiers dans la branche de la Réforme dite radicale pacifique qui a revendiqué dès l’origine la séparation des Églises et de l’État et a plaidé pour des assemblées autonomes composées de convertis.

 

Il convient donc de désigner les évangéliques en France par l’expression plus complète de « protestants évangéliques ». Celle-ci tient compte du passé tout en permettant de les distinguer des Églises protestantes dites historiques, comme les Églises réformées ou luthériennes. Cette distinction est d’ailleurs établie par le Groupe de Sociologie des Religions et de la Laïcité du CNRS4.

 

C’est un fait sociologique que les grandes Églises chrétiennes historiques voient leurs effectifs diminuer et vivent une crise des vocations. Ce sont elles qui le disent.

 

Cependant, les CAEF ne se réjouissent aucunement de cette situation. Elles souhaitent au contraire que toutes les Églises qui professent le message de paix et de pardon de Jésus soient pleines et qu’un maximum de nos concitoyens puisse y adhérer.

 

 

Les évangéliques sont-ils d’origine américaine ?

 

Considérer les évangéliques comme un mouvement américain colonisant le monde est partial et inexact. Le mouvement évangélique est apparu sur le continent européen, en Suisse, en Allemagne, en France, aux Pays-Bas, en Angleterre avant même… la naissance des États-Unis. D’ailleurs, de nombreux évangéliques ont émigré en Amérique aux XVIIe et XVIIIe siècles à cause du manque de liberté religieuse qui sévissait en Europe et singulièrement en France, et ont fortement contribué à la création de ce pays.

 

Il reste cependant la réalité qu’un certain nombre d’Églises évangéliques en France, comme dans d’autres parties du monde, ont été fondées avec le concours de missionnaires américains, essentiellement à partir de la Seconde Guerre mondiale.

 

En outre, le choix du terme d’« évangélistes » n’est pas anodin ; il fait aussi5 référence au terme américain, et a surgi avec force dans les médias avec la situation politique américaine liée à l’élection du président des États-Unis, Georges BUSH fils. Or, la majorité de nos communautés ne s’est pas sentie en accord avec ses décisions et a marqué ses distances6. De plus, l’utilisation de ce terme fait concevoir les Églises protestantes évangéliques françaises comme des Églises « étrangères », importées en particulier des Etats-Unis. Or, comme nous venons de l’indiquer, c’est méconnaître l’histoire.

 

Les évangéliques français ne dépendent d’aucune instance dirigeante située ailleurs dans le monde. S’ils entretiennent des relations internationales et favorisent des partenariats, ils le font par fraternité chrétienne tout en veillant à leur indépendance typiquement protestante.

 

FJ.M.

 


NOTES

 

 

1. Le présent texte a été obtenu par le résumé de la plaquette du Réseau FEF, Les évangéliques, petit Mexique…, 2004 et par les réponses faites par l’auteur à la demande de la CSR des CAEF à l’interview de la revue Valeurs actuelles, faite par Mme Mélanie VAST en 2008.

 

2. Les Églises vaudoises financeront la traduction de la Bible d’Olivétan, première traduction du texte biblique complet en français à partir des langues originales.

 

3. Elles remontent même aux origines du christianisme. « Elles [les Églises évangéliques] sont issues du courant évangélique qui remonte à Jésus de Nazareth et, à travers les siècles, a porté tous les vrais disciples de celui-ci. » L’Essor des Églises évangéliques, Philippe LARRÈRE (prêtre dominicain), Éditions Centurion, page 7.

 

4. Le Protestantisme évangélique : un christianisme de conversion, sous la direction de Sébastien FATH, Éditions Brepols, 2004, 379 p.


5. Le terme a été utilisé d’abord par les milieux catholiques pour critiquer le travail d’évangélisation des Églises protestantes évangéliques, conçu comme du prosélytisme, en particulier en Amérique du Sud.

 

6. Voir, par exemple, le texte publié par l’Alliance évangélique française sur la guerre en Irak.