interview

 

 

 

 

Mark Noll, historien

 

 

 

Propos recueillis par Reynald Kozycki

 

 

Du 14 au 16 mars 2002, le Groupe de Sociologie des Religions et de la Laïcité (GSRL) dépendant du Centre National de Recherche Scientifique (CNRS) et de l’École Pratique des Hautes Études (EPHE) a organisé un colloque international sur le protestantisme évangélique. Quelques impressions de ces trois journées studieuses. Le titre général du colloque fut : « Entre rupture et filiation : Le protestantisme évangélique, un christianisme de conversion ». Mark NOLL, un des plus éminents experts du mouvement évangélique, professeur au Wheaton College était présent. Nous le remercions d’avoir accepté une interview pour « Servir ».

 

 

dialogue1SERVIR : Comment définiriez-vous le « protestantisme évangélique » ?

 

Mark Noll : Je favoriserai deux voies pour approcher la question difficile d’une définition, elles fonctionnent assez bien dans les milieux anglo-saxons. Mais d’un pays à l’autre, le mot « évangélique » ne désigne pas toujours la même chose.

 

a) La première définition a été établie par l’historien britannique, David BEBBINGTON, et souligne quatre caractéristiques générales qui ont marqué les « évangéliques » depuis le XVIIIe siècle : attachement à la Bible en tant que source suprême d’autorité spirituelle, accentuation de la conversion comme l’entrée normale dans la vie chrétienne, accent mis sur sur le côté actif de la vie chrétienne (particulièrement dans le rôle de témoin du Christ) et une concentration sur l’oeuvre de Christ à la croix comme vérité théologique fondamentale.

 

b) À l’excellente définition de BEBBINGTON, j’aime ajouter également une composante historique : les évangéliques sont ceux qui sont historiquement reliés aux grands Réveils et au mouvement piétiste du XVIIIe siècle et qui maintiennent les convictions de ces mouvements.

 

 

dialogue1Après la Réforme, quelles sont les étapes principales dans la construction de l’identité « évangélique » ?

 

Dans les milieux anglo-saxons, le mouvement « puritain » du XVIIe siècle a repris et développé plusieurs principes de la Réforme, en particulier la nécessité d’une expérience spirituelle personnelle et la nécessité de la sainteté pratique. Puis les mouvements de Réveil du XVIIIe siècle (John et Charles WESLEY, George WHITEFIELD, Jonathan EDWARDS) ont insisté tout spécialement sur la conversion, l’engagement personnel dans la foi, et l’établissement d’églises composées uniquement de vrais croyants. La pratique des Réveils du XIXe (Charles FINNEY, Dwight L. MOODY) a poussé le courant évangélique dans une direction plus « arminienne », en appuyant davantage sur ce que le croyant doit faire en réponse à Dieu, plutôt que sur l’oeuvre de Dieu déjà accomplie pour le rachat du croyant. Vers la fin du XIXe , on pouvait constater une sorte de retrait par rapport aux problèmes sociaux du monde. Vers la même période apparaissait, d’une part, le mouvement de Keswick insistant sur une vie spirituelle plus profonde, et d’autre part, les accents dispensationnalistes et prémillénaristes à propos de la séparation d’Israël et de l’Église. Au XXe siècle, le courant évangélique a été profondément influencé, d’abord par le Pentecôtisme puis, plus généralement, par le mouvement charismatique. Au début du XXe, les Églises ont rejeté en général plusieurs formes de culture populaire, pour finalement s’y accommoder progressivement (notamment dans la musique, le cinéma, la société de consommation). Dans les récentes décennies, les évangéliques occidentaux ont relevé le défi de développer des contacts avec les Églises du Tiers-Monde. Enfin deux points forts très souvent présents dans l’histoire des évangéliques : de solides chants religieux (souvent nouvellement composés) et une préoccupation de l’expansion missionnaire.

 

 

dialogue1Pourquoi, d’après vos données, la France est-elle encore si fermée au protestantisme évangélique ?

 

Je le redis, je ne suis pas un expert du tout dans ce domaine, mais je proposerais quatre éléments de réponse :

a) Dans l’histoire française, le christianisme se réduit bien souvent au Catholicisme, religion majoritaire.
 

b) La tradition révolutionnaire, avec son anticléricalisme prononcé, a laissé une empreinte décisive d’inimitié face au christianisme sous toutes ses formes. En France, et contrairement aux États- Unis, la République a intégré un certain anticléricalisme.
 

c) L’Église réformée de France a été poussée dans son histoire à dépenser plus d’énergie à sa survie qu’à une vision d’expansion, d’où peut-être aussi une certaine méfiance en elle du témoignage évangélique contemporain.
 

d) Ces dernières années, le courant évangélique à travers le monde – et pas simplement en France – a parfois été identifié à « l’expansionnisme » nord-américain et à son armée ; ainsi les personnes opposées à cette influence ou simplement méfiantes, comme les Français, ont fait une sorte d’amalgame. En réalité les évangéliques français sont plutôt indépendants de l’influence nord-américaine.
 

 

Pourquoi, selon vous, y a-t-il eu beaucoup de missionnaires américains en France ces dernières décennies ?

 

Pour les évangéliques américains, l’Europe n’a jamais été l’objectif principal des activités missionnaires. Celles-ci ont démarré par l’Inde, l’Asie du Sud. Puis la Chine a été un lieu privilégié de la mission et plus tard l’Afrique. Mais à cause de la Deuxième Guerre mondiale et des expériences vécues par les troupes américaines, plusieurs évangéliques américains se sont préoccupés d’une certaine pauvreté spirituelle en Europe, appelée aussi « le vieux monde chrétien ». Je ne suis pas un expert en la matière, mais je pense que c’est à partir de la Seconde Guerre mondiale que le virage missionnaire s’est opéré.