La Bible et les origines1

 

Par Reynald Kozycki

 

 

 

Introduction

 

« Les cieux racontent la gloire de Dieu, et l’étendue manifeste l’oeuvre de ses mains… La loi de l’Éternel est parfaite, elle restaure l’âme ; le témoignage de l’Éternel est véritable. » (Psaume 19.1,7)

 

 

Le même émerveillement est exprimé par David à propos de la création et de la perfection de la révélation biblique. Les observations de la nature, notamment les découvertes en géologie au XIXe siècle et les travaux de Darwin, semblent mettre à mal la compatibilité entre les sciences et la Bible. Pourtant nous osons affirmer que ces contradictions ne sont qu’apparentes. Entre ces deux « livres », il y a une seule vérité. Si contradiction il y a, ou bien notre observation de la nature est faussée, ou bien il faut revoir notre compréhension du texte biblique. Je reconnais que cette position est loin de faire l’unanimité auprès des penseurs de notre temps à cause d’une contestation quasi générale de la Bible et d’une surestimation de « La » science comme nous le verrons dans un premier temps. Nous survolerons ensuite plusieurs tentatives de conciliation ou de non-conciliation entre ces deux « livres ».
 

 

La contestation de la Bible

 

À l’époque de Jésus, les sadducéens glissaient déjà vers le « rationalisme » en refusant de croire aux anges, ou à la résurrection2. Ce phénomène n’a fait que s’amplifier au cours des siècles. La période la plus contestataire à l’égard de la Bible a probablement été le Siècle des Lumières. WELLHAUSEN (1844-1914), un siècle plus tard, est l’un des héritiers de ces « Lumières ». Il a marqué l’ensemble de l’aile libérale protestante puis l’aile progressiste catholique3. La leçon inaugurale de Thomas RÖHMER sur les Mélanges bibliques au Collège de France en 2009 est très révélatrice. Après une belle introduction sur l’impact de la Bible dans le monde et la richesse de son contenu, l’auteur explique que les récits de l’Ancien Testament n’ont quasiment aucun fondement historique, mais s’apparentent aux mythes et aux légendes4.

 

Heureusement au cours du XXe siècle, quelques grands noms de l’archéologie (de tous bords) ont, par leurs découvertes, mis en valeur la trame historique de la Bible. Il s’agit d’ALBRIGHT, BRIGHT, DE VAUX, PARROT5… Un auteur comme VON RAD écrit : « Rien de plus surprenant que la réserve, la sobriété, la froideur de l’histoire biblique en regard aux couleurs capricieuses et intenses des mythes d’autres peuples » 6.

 

Fin XXe et début XXIe siècle, les travaux d’évangéliques comme Alan MILLARD ou l’oeuvre magistrale de l’égyptologue Kenneth A. KITCHEN ont contrebalancé l’approche majoritairement « mythologique » de la Bible7.
 

 

Surestimation des sciences

 

Lydia JAEGER, physicienne et théologienne, écrit : « Les mythes anciens ne servent plus de repères pour comprendre l’origine du monde. C’est la Science, qui, pour beaucoup, les a remplacés dans leur fonction explicative. Il n’est pas rare de voir les théories scientifiques sur l’origine de l’univers de la vie investies d’une fonction quasireligieuse »8. VON RAD avait bien repéré, en son temps, la fragilité d’un certain nombre de théories actuelles donnant les réponses sur les origines : « La tendance si déconcertante des cosmogonies scientifiques modernes à passer de mode si rapidement permet de douter sérieusement que la science ait atteint le niveau d’intelligence du récit biblique »9. En conclusion de cette première partie, nous pouvons affirmer que malgré d’apparentes contradictions, la vision biblique et l’observation attentive de la nature ne se contredisent pas, tout au moins, me semble-t-il, pour les approches qui se situent dans les positions 5 à 7 décrites très sommairement ci-dessous.
 

 

Essai de classification des approches face aux origines

 

 

Nous partons des positions les plus « strictes » au plus « libérales »10.

 

1. Les partisans de la terre plate

 

Une société a été créée en 1979 par Samuel SHENTON regroupant quelques centaines de personnes. Se basant sur une certaine lecture de la Bible et des sciences, elle démontre que la terre est un disque immobile11.

 

2. Les géocentriques

 

Gerardus BOUW, docteur en astronomie, est l’un de ceux qui soutiennent une interprétation très littérale de la Bible et affirme que la terre est fixe au centre de l’Univers.

Le monde a été fait en 6.000 ans et tous les fossiles s’expliquent par le déluge. Évidemment, on ne trouve qu’une poignée d’adeptes de ces théories.

 

3. Le créationnisme « Terre jeune »

 

Le monde a été créé il y a environ 10.000 ans. L’évolution est un grand leurre (excepté les microévolutions). La mort au sens littéral pour les hommes et les animaux a fait son apparition à la chute.

 

Au début du XXe siècle, les évangéliques nord-américains acceptaient assez facilement l’idée de l’évolution12. Un durcissement d’une aile évangélique « Terre jeune » est apparu dans les années 1920 avec le procès du singe. La position « Terre jeune » est probablement majoritaire actuellement parmi les membres d’Églises évangéliques aux USA. On la retrouve aussi chez plusieurs musulmans radicaux. En France, elle est moins courante, surtout chez les personnes plus informées scientifiquement. Il est notoire que, lors du colloque du Réseau de scientifiques évangéliques en janvier 2010, ce courant n’était représenté par aucun orateur et pratiquement aucun des chercheurs évangéliques présents ne soutenait cette position.

 

4. Le créationnisme « Terre ancienne »

 

Cette position accepte sans difficulté les dates habituelles de l’origine de l’univers de 13,7 milliards d’années. La « macro-évolution » est un leurre, chaque nouvelle espèce est apparue par des actes de création indépendants.

 

5. Le créationnisme « progressif »

 

Jean HUMBERT écrit : « Le Créationnisme progressif… admet que Dieu a été à l’oeuvre tout au long du processus créateurévolutif, tantôt par le moyen des lois de la nature qu’il soutient, tantôt par des actions directes (généralement qualifiées de miracles, mais qui sont peut-être des lois que nous ignorons) »13.

 

La suprématie de la sélection naturelle et du hasard est contestée. Cette position est soutenue, avec des nuances, par un nombre assez important de scientifiques évangéliques, mais parfois aussi agnostiques. Michael DENTON, par exemple, parle d’une évolution guidée par la nature (téléologie), l’homme reste le but de l’évolution de l’univers. La logique interne (inside story) de Rémi CHAUVIN, les approches de Pierre-Paul GRASSÉ ou d’Anne DAMBRICOURT-MALASSÉ rejoignent en partie cette position14.

 

6. L’Intelligent Design

 

Les principaux penseurs de ce courant se situent le plus souvent dans la position 5, parfois 4, mais les militants font souvent partie des positions 3 et 4, ce qui engendre parfois certains amalgames.

 

7. Le créationnisme évolutif

 

Dieu a créé les espèces vivantes par un processus évolutif qu’il a pleinement contrôlé et planifié, malgré son apparence aléatoire. Le parallèle est fait avec le processus chaotique du climat, qui est, malgré tout, sous le contrôle de Dieu. Ses partisans croient que la Bible est la Parole de Dieu, pleinement inspirée, mais le Saint- Esprit s’est mis au niveau « scientifique » des auteurs bibliques selon le principe « d’empathie ».

C’est la position par exemple de Francis COLINS, ex-directeur du Human Genome Project 15 ou des chercheurs français écrivant sur le site scienceetfoi.com. Une certaine liberté est prise par rapport à Genèse 1-11, quelques-uns remettent en question l’existence historique d’Adam et Ève.

 

8. L’évolutionnisme agnostique ou athée

 

Dans la version agnostique, l’évolutionnisme ne rejette pas nécessairement l’idée de Dieu, mais se distancie d’une révélation écrite. Dans la version athée, une opposition parfois farouche contre Dieu et les religions est exprimée. Conclusion Comment se situer dans ces différentes approches ? Dans une même Église, on trouvera peut-être des personnes soutenant les positions 3 à 7 : cela ne devrait pas empêcher une vraie « communion fraternelle ». Nous sommes dans le cas des différences d’opinions « secondaires » décrites en Romains 14. Pour ma part, lorsque j’ai découvert l’Évangile, j’ai adhéré à la position 3 puis, après de nombreuses lectures, j’ai trouvé les positions 5 et 7 (avec l’historicité d’Adam et Ève) plus convaincantes, tout en gardant, me semble-t-il, une harmonie entre le livre de la nature et la révélation biblique.

 

R.K.


NOTES

 

 

1. Cet article est un résumé et une adaptation d’interventions de l’auteur données à Grenoble ou lors de rencontres GBU en 2009, année « Darwin » !

 

2. Marc 12.18-27

 

3. Notamment depuis l’encyclique de Pie XII Divino Afflante Spiritu du 30 septembre 1943. Voir le bref commentaire dans le numéro de Servir 6-2009 dans l’interview : « L’inerrance : entretien avec Henri Blocher ».

 

4. Cette leçon donnée le 5 février est en ligne à ce jour sur le site du Collège de France.

 

5. W.F. ALBRIGHT, professeur à John Hopkins University ; John BRIGHT, de Union Theological Seminary ; Roland de VAUX, de l’école biblique de Jérusalem ; André PARROT, directeur du Louvre…

 

6. Auteur qu’on ne peut pas soupçonner d’être obnubilé par la défense de la Bible. Von RAD, La Genèse, University of Chicago, 1963, p. 98 cité dans Lydia JAEGER, Vivre dans un monde crée, Farel, 2007.

 

7. Kenneth KITCHEN, On the Reliability of the Old Testament, Grand Rapids, Eerdmans, 2003

 

8. Op. cit., Vivre dans un monde créé, p. 10.

 

9. Gerhard Von RAD (de l’Université de Heidelberg), The Old Testament and Archeology, The Huhlenberg Press, 1948, p. 135, cité par Pierre BERTHOUD, En quête des Origines, Excelsis, 2008, p. 211.

 

10. Cette classification s’inspire de nombreuses lectures, dont notamment les travaux de Jean STAUNE, Notre existence a-t-elle un sens ?, Presse de la renaissance, 2007 ; le site internet très fourni www.biologos. org fondé par le généticien évangélique Francis COLLINS et un plus modeste équivalent français www.scienceetfoi.com où un diaporama de Pascal TOUZET traite de ce thème de « classification ». Voir aussi l’article de Matthieu RICHELLE dans ce même numéro qui développe certaines facettes de la question.

 

11. Voir le site internet en.wikipedia.org/wiki/Flat_Earth_Society

 

12. Les évangéliques Asa GRAY (professeur de botanique à Harward, ami de Darwin), les théologiens George F. WRIGHT, James ORR, Benjamin B. WARFIELD ou Ruben TORREY s’affichaient ouvertement comme favorables aux théories de Darwin, tout en étant opposés à « l’évolutionnisme philosophique ».

 

13. Jean HUMBERT, Création, Évolution, faut-il trancher ?, Sator, 1989.

 

14. On pourrait aussi ajouter Jean CHALINE et ses gènes de régulation, les « macro-mutations » canalisées de Roberto FONDIN ou l’approche de Marcel-Paul SCHÜTZENBERGER. Voir la synthèse de ces différentes positions dans Jean STAUNE, op. cit.

 

15. Voir les interviews de Francis COLLINS dans le magazine Time de juillet 2006 (couverture) et son livre phare, The Language of God, Free Press, 2006, et son site internet célèbre www.biologos.org